lundi 31 janvier 2022

Encore Ruz(z)ante

 


Dans le billet d'hier, je parlais de ma découverte de quelques oeuvres d'un célèbre auteur-acteur (comme Shakespeare, comme Molière) italien de la première moitié du XVIe siècle: Angelo Beolco dit Ruzante (ou Ruzzante), du nom de son personnage de paysan vif d'esprit et agile de corps qui inspirera, pour plusieurs, les contours du personnage d'Arlequin.

Toujours est-il que j'ai lu d'une traite son Anconitaine et Bilora. Deux courtes pièces dynamiques, proches du ton des farces françaises, amusantes, féroces, et d'une liberté assez prodigieuses. Autre temps, autres moeurs!

Aujourd'hui, la poste m'en apporte deux nouvelles (car oui, je suis un acheteur compulsif dans les bouquineries francophones un peu partout dans le monde au point où mon bureau est maintenant trop petit!): Les vilains (d'après Ruzante... mais je ne suis pas certain que ce soit de lui) et La Moscheta.

Une bonne découverte! 

Petit passage obligé par la bible du théâtre, Le Dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin:

Ruzante ou Ruzzante, pseudonyme d'Angelo Beolco (Padoue, vers 1502-1542). Auteur dramatique, acteur et metteur en scène italien.

[...]Un statut familial et social un peu marginal, une connaissance directe du monde paysan, telles sont les deux conditions qui vont déterminer le sens de son activité théâtrale; la troisième est l'expérience de la scène, car Beolco est aussi acteur et organisateur de spectacles, à la tête d'un groupe d'amis [...] qui constituent une troupe semi-professionnelle. Dans ce cadre Beolco «invente» et développe le personnage auquel son nom est associé [...].

[...] Beolco transcende ses modèles [note: des auteurs du passés] en conférant une évidence et une puissance scénique inouïes à l'univers paysan et à son protagoniste. Certes ce théâtre est fondamentalement ambigu de par sa finalité même: divertir un public citadin, aristocratique et cultivé aux dépens d'un monde et d'une langue (le dialecte padouan) subalternes. Mais cette ambiguïté même autorise une liberté de langage que l'auteur-acteur exploite jusqu'à dénoncer, parfois violemment, la misère des paysans et les vicissitudes historiques que traverse la campagne padouane (guerre, disette, épidémies).

Entre 1617 (dernière édition expurgée des pièces) et la fin du XIXe siècle [...], l'oeuvre connaît une longue éclipse [...]

[...] De toutes ces expériences [note: sur la langue, les dialectes, la forme en vers ou en prose, les monologues, les différents types de comédies], la plus originale est l'invention du «dialogue» dont le schéma souple et libre continue de fasciner les metteurs en scène contemporains.

Voilà. J'y retourne.

dimanche 30 janvier 2022

Ruzante ou le précurseur de la commedia dell'arte

Au fil de mes lectures thématiques portant sur la commedia dell'arte, je suis tombé à quelques reprises sur le nom d'un dramaturge italien du XVIe siècle: Angelo Beolco dit Ruzante (vers 1496-1542), du nom de son personnage fétiche qui revient de pièce en pièce.

Inutile de dire qu'il m'était parfaitement inconnu!

Mais s'il est important et significatif, c'est qu'il serait, en quelque sorte, l'auteur originel, le précurseur, à avoir donné, d'une certaine façon, les canevas et les personnages types qui feront la commedia dell'arte quelques années après sa mort, le 5 février 1545, à Padoue, quand huit comédiens signeront un contrat pour créer la première troupe de comédiens professionnels.

À bien des égards, Ruzante peut être considéré comme étant le premier à avoir posé les règles de la comédie « savante », professionnelle. En effet, en pleine Renaissance, seuls les dramaturges du théâtre antique et les grands auteurs contemporains ont pignon sur rue. Les farces populaires sont totalement méprisées, car « non parfaites ».

Ruzante, de son vrai nom Angelo Beolco, va alors écrire les premiers canevas de l’histoire. Ceux-ci vont refléter les nouveaux rapports entre les citadins, plus riches que jamais, et les paysans, évidemment plus pauvres. C’est ainsi qu’il va fixer les traits d’un des personnages les plus connus de la Commedia dell’arte : le paysan malin, une sorte de bouffon, fantasque, truculent, s’exprimant dans un dialecte padouan aux accents ridicules. L’on reconnaît là le célèbre Arlequin. (Commedia dell'arte: D'Arlequin à Molière)

Je me suis commandé quelques pièces de lui, dont L'Anconitaine et Bilora, écrites autour de 1530. C'est très drôle. Vif. Avec des personnages au fort potentiel comique, tenant des discours (en de longues répliques) qui frappent. Un peu comme le font ceux des farces médiévales et des premières comédies françaises de la Renaissance. Bien sûr, tout le jeu des dialectes ne passent guère la rampe de la traduction... mais ça donne quand même une bonne idée de la teneur de ses pièces!

Au théâtre, cette semaine! [Du 30 janvier au 5 février 2022]

 

Ça devrait être la dernière semaine de confinement du milieu théâtral alors que les salles pourront rouvrir à compter du 7 février 2022! Donc, pour les prochains jours, il n'y a encore rien à présenter au public... mais ça travaille! 

mardi 25 janvier 2022

D'où vient l'expression «commedia dell'arte»?


Voici l'explication de cette expression selon Dario Fo (et non, ce n'est pas le Dario qui m'a donné son prénom) dans Le gai savoir de l'acteur publié en 1990 chez L'Arche éditeur (p. 24):

Quel sens faut-il donner à l'étiquette de commedia dell'arte?

Si nous essayons de faire le point sur le mot arte, nous voyons défiler en esprit une foule d'images et d'expressions stéréotypées, tartinées de lieux communs: l'art, création sublime de l'imagination, l'art, expression poétique du génie, etc. En fait, le terme arte renvoie au métier. 

Au moyen âge, c'est bien connu, il y avait l'art de la laine, l'art de la soie, l'art des maçons, et des dizaines d'autres: c'étaient toujours des corporations d'artisans. Ces associations libres évitaient les conflits meurtriers entre concurrents. Elles servaient aussi à se défendre collectivement contre les exactions des grands négociants, contre les taxes imposées par les princes, évêques et cardinaux.

Commedia dell'arte signifie donc avant tout comédie montée par des acteurs professionnels. Les comédiens avaient un statut et des règles d'association, ils s'engageaient à se défendre et à se respecter entre eux. De même que les corporations protégeaient le marché contre la concurrence extérieure, les comédiens dell'arte combattaient impitoyablement les troupes isolées qui sévissaient «sur la place». Ils faisaient intervenir les autorités locales qui leur avaient accordé le privilège exclusif dans le duché ou le comté.

Ainsi, les baladins, les saltimbanques, les groupes d'acteurs occasionnels ou amateurs étaient littéralement «chassés de la place». [...]

[...] À propos de l'expression commedia dell'arte, d'excellents auteurs nous assurent qu'elle n'a rien à voir avec le terme de «métier» ni avec l'association corporative. Allardyce Nicoll, un très respectable savant anglais, soutient que arte doit s'entendre au sens de «qualité» (la quality shakespearienne): dell'arte signifierait donc della bravura, du grand talent. En revanche, Benedetto Croce est d'accord sur l'origine corporative, mais il y voit la preuve que les comédiens du théâtre à l'italienne étaient sans doute gens de métier, histrions habiles et mimes divertissants, mais sûrement pas des artistes: «On ne décèle nulle part la présence d'un auteur de génie. [...] Pas de texte (littéraire ou dramaturgique), pas d'art. [...]»

lundi 24 janvier 2022

Du pouvoir dynamique de la lumière


[...] Une œuvre forte rejette d'elle-même le superflu dans le décor, une œuvre plus faible l'appelle au contraire à son aide.

[...] Du côté technique, la lumière est le seul élément dont les progrès pourraient aider le théâtre sans l'appauvrir. Il ne s'agit pas bien sûr de la science des éclairages; je laisse pour ce qu'elle vaut cette déformation de l'élément lumière quand on l'emploie pour obtenir des effets faciles: tableaux de genre, fresque «à l'américaine», clairs-obscurs où les mots ont l'air d'être prononcés par des fantômes. Cela fait partie de cette mise en scène décorative qui se rattache à la conception de la scène à l'italienne.

[...] On a perfectionné des vieux trucs, on a remplacé dans les installations le gaz par l'électricité; ce ne sont pas des inventions comme la machine à faire les nuages et quelques trucs de ce genre qui constituent un apport sérieux; le rôle de la lumière est plus subtil; c'est le seul moyen extérieur qui puisse agir sur l'imagination du spectateur sans distraire son attention; la lumière a une sorte de pouvoir semblable à celui de la musique; elle frappe d'autres sens, mais elle agit comme elle; la lumière est un élément vivant, l'un des fluides de l'imagination, le décor est une chose morte.

C'est ce qu'écrivait Charles Dullin le 10 novembre 1929 (tiré de Charles Dullin, publié dans la collection Mettre en scène, chez Actes Sud-Papiers, en 2011), dans un article qui questionnait la prédominance du décor dans le théâtre à l'italienne (il est question ici de toiles peintes et de machines théâtrales de toutes sortes pour des spectacles basés sur l'illusionnisme). 

Par ailleurs, j'aime bien cette idée d'élément vivant (ou dynamique) en opposition à l'élément mort (ou statique).

dimanche 23 janvier 2022

Au théâtre, cette semaine! [Du 23 au 29 janvier 2022]


C'est une autre semaine silencieuse qui s'annonce puisque toutes les salles sont encore fermées jusqu'à nouvel ordre. 

samedi 22 janvier 2022

Le metteur en scène, selon Charles Dullin

Charles Dullin, dans l'un de ses rôles les plus marquant, soit l'Harpagon de L'Avare de Molière.

Charles Dullin (1885-1949) est un immense acteur et metteur en scène français - l'un des membres du fameux Cartel (ici) qui a fait école et qui réunissait les Louis Jouvet, Gaston Baty et Georges Pitoëff -  de la première moitié du vingtième siècle. C'était là une époque féconde, théâtralement parlant, avec de nombreuses révolutions et l'avènement d'un nouvel intervenant pour le spectacle: le metteur en scène!

Époque féconde, partout en Occident, mais plus particulièrement en Russie et en France où tous les grands noms ont tenté de théoriser cette nouvelle fonction. Les définitions sont donc nombreuses, parfois contradictoires, parfois complémentaires, parfois provocantes... mais toujours fort intéressantes parce qu'elles poussent à la réflexion, au questionnement, à sa propre prise de position.

Bref, je reviens à Dullin...

Voici la définition du metteur en scène qu'il a exposé à l'Assemblée générale du Syndicat des metteurs en scène de théâtre, en septembre 1944 (rapportée dans le petit opuscule Charles Dullin, publié dans la fort intéressante collection Mettre en scène, chez Actes Sud-Papiers, en 2011):

Ne peut se dire metteur en scène que celui qui, par son art personnel, apporte à l'oeuvre écrite par l'auteur une vie scénique qui en fit ressortir les beautés sans jamais en trahir l'esprit. À ce don de maître de jeu, il doit joindre des connaissances générales lui permettant d'ordonner et de diriger le travail pratique des acteurs, du décorateur, des musiciens, du régisseur, des électriciens, des machinistes et autres aides. 

C'est une définition que j'aime bien parce qu'elle demande que le metteur en scène connaisse le travail de ses partenaires. Et même plus. Il doit être en mesure de mettre la main à la pâte pour bien comprendre les différents enjeux, mécanismes, fonctionnement pour avoir une vision d'ensemble cohérente, accroître sa capacité de visualiser les choses (les demandes et les propositions), soutenir ses concepteurs. 

mercredi 19 janvier 2022

Les différentes déclinaisons d'«Edmond»

En 2017, Alix Michalik présente une nouvelle pièce de théâtre qui fait sensation partout où elle est jouée: Edmond

Dans cette histoire à l'humour bien français, il est question de la difficile (et fort divertissante) naissance du chef-d'oeuvre Cyrano de Bergerac, sous la plume du pauvre Edmond Rostand. Autour de lui de grands personnages historique: Courteline, Feydeau, Sarah Bernhardt... et Constant Coquelin qui lui commande une comédie. Les tribulations sont nombreuses et s'échafaude, scène par scène, un récit épique!

Bref, une bonne pièce. Qui connaîtra d'autres vie!

Dont une au cinéma (le film est disponible actuellement sur Toutv.ca), en 2019, adaptation et réalisation de l'auteur (qui y tient le rôle de l'arrogant Feydeau):

Mais aussi - et je suis très heureux de l'avoir reçue hier! - une version en bande dessinée, en 2018, réalisée par Léonard Chemineau. La lecture promet d'être fort amusante! 



mardi 18 janvier 2022

De la commedia dell'arte... (nouvelle acquisition)

L'évolution de ma bibliothèque suit le cours de mes projets. Ainsi, il est facile de cerner les divers projets qui m'occupent par la liste des ouvrages thématiques qui deviennent aussitôt mes lectures de chevet. (Et quand je suis plus actif sur ce blogue, par les différents billets qui se suivent!)

Aujourd'hui - en vue de la production estivale du Théâtre 100 Masques à partir de Goldoni - je suis bien heureux de recevoir ceci, publié en 1999 aux Presses universitaires de Grenoble:


Un petit ouvrage fort bien fait pour consolider les connaissances, rappeler des détails, faire découvrir des éléments plus pointus. 

Non, le théâtre estival qui s'en vient ne sera pas de la commedia dell'arte en bonne et due forme. Parce que ça demande une technique que moi, que les comédiens, ne possèdent pas. Mais il s'en inspirera grandement. Alors pour s'en inspirer, encore faut-il faut retourner aux bases! 

Il y a donc un volet historique sur la commedia (ses origines, son évolution); un volet descriptif (les personnages, les masques, les lazzis, les canevas); un volet pratique (avec la délimitation de l'espace scénique, quelques exercices d'assouplissements, quelques gestes types des principaux personnages, quelques propositions de mises en pratiques); un volet de réalisations (les masques, les patrons de costumes, etc.). 

Ce sera là un belle façon de plonger dans un univers qui sera un outil de travail fort intéressant!

dimanche 16 janvier 2022

De l'importance des consignes de sécurité au théâtre!

Voici un petit fait divers, tiré de l'édition du Courrier du Canada, le 20 janvier 1882:


J'ai essayé de retrouver le Chinois et le Théâtre... qui je crois est à New-York. En vain. 

Mais si ce petit article m'intéressait, c'est aussi parce que le dernier paragraphe prouve, finalement, que rien ne change...

Pour diriger aussi un lieu de diffusion (pluridisciplinaire), je pourrais aussi témoigner de plein d'exemples (moins explosifs, il va de soi!) de spectateurs qui, lors de spectacles, se fichent royalement de nos demandes et de nos consignes, ne pensant qu'à leur propre personne... avec ce que ça peut supposer d'insultes à l'égard de mon équipe, de propos impolis, de moqueries, de défis bornés. Parfois même, certains vont carrément à l'encontre de ce qui a été indiqué à l'accueil pour nous narguer!

Au théâtre, cette semaine! [Du 16 au 22 janvier 2022]

 


À moins que le gouvernement n'annonce une réouverture surprise des lieux de diffusion, il n'y aura toujours pas de représentation cette semaine.

Ce qui ne signifie pas pour autant que le milieu théâtral est sur pause. Plusieurs collègues/compagnies sont présentement en travail (notamment mon équipe pour Les morts sacrilèges), dans les salles de répétitions, en respectant les consignes sanitaires, pour préparer de nouvelles création. Si le contexte s'assouplit, nous aurons un hiver et un printemps bien chargé! Avis aux amateurs de spectacles!

samedi 15 janvier 2022

Chicane théâtrale (du moins, au départ) par journaux interposés... sur fond de moralité et de flétrissure!

 En janvier 1873, une troupe de théâtre Franco-Canadienne entreprend une tournée au Québec. À Trois-Rivières, ça achoppe! Le Journal Le Constitutionnel salue leur venue et en fait la réclame en ses pages. Entre temps, le clergé s'élève contre ces infâmes comédiens. S'ensuit une querelle par journaux interposés, impliquant son adversaire, Le Journal des Trois-Rivières. Une guerre à finir! 





Le Constitutionnel répond par une lettre ouverte publié en ses pages:





Et Le Constitutionnel répond à nouveau, en ses propres pages








jeudi 13 janvier 2022

Une (belle) définition de la tragédie

 

La tragédie est le récit d'une expiation,
mais pas l'expiation minable 
de la violation d'une loi locale
codifiée par des fripons
à l'usage des imbéciles;
le personnage tragique représente l'expiation du péché originel.
du péché éternel et originel qu'ils ont commis,
lui et tous ses socii malorum:
le péché d'être né.

C'est là, je trouve, une très belle définition de ce qu'est la tragédie. Elle nous vient de Samuel Beckett (la photo), l'auteur d'En attendant Godot, et est tirée de Proust, un essai en anglais écrit en 1930 (oeuvre de jeunesse qu'il a reniée) et qui ne sera traduit qu'en 1990.

C'est beau. C'est grandiose. Comme la tragédie. 


mercredi 12 janvier 2022

Saint Genès - comédien et martyr

Saint Genès (ou Genest... c'est selon) est, oui. le saint patron des comédiens. Sa fête est célébrée le 25 août de chaque année. J'en ai déjà brièvement parlé ici

Mais voici, ce matin, un long article du Radiomonde du 12 novembre 1949 sur le personnage:



dimanche 9 janvier 2022

Au théâtre, cette semaine [9 au 15 janvier 2022]

 

Avec la nouvelle année, je reviens encore une fois avec cette résolution: reprendre et maintenir un calendrier hebdomadaire de toutes les productions de la région (celles faites par le milieu d'ici et celles en tournées) de même que de tous les événements à caractère théâtraux. (Ceci étant, ce blogue le fait déjà de façon relativement régulière.)

Bon. Le contexte actuel ne s'y prête pas beaucoup alors que l'ensemble du milieu de la diffusion est confiné (cependant, les organismes poursuivent les répétitions). Mais j'ose espérer que cette situation ne perdurera pas et que nous pourrons reprendre - à brève échéance - là où nous étions rendus. 

Le milieu théâtral bouillonne. Plusieurs projets sont à nos portes si je me fie à la recension que j'ai faite... et il me manque sûrement des informations! Avis aux intéressés!

samedi 8 janvier 2022

La fin (légendaire) des grands tragédiens

Manifestement, il n'était pas facile d'être un tragédien, dans l'Antiquité: les trois grands auteurs qui nous sont parvenus - Eschyle, Sophocle et Euripide - ont tous connu des fins pour le moins théâtrales:



vendredi 7 janvier 2022

Les morts sacrilèges - genèse du projet


LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE est un projet de longue date pour le Théâtre 100 Masques, qui a connu de multiples évolutions depuis sa genèse. Un projet sur les traces de l’absolutisme des sentiments provoqués l’orgueil et de la trahison. Une quête de l’humanité dans toute son horreur.

Le projet prend donc son envol, sous une autre forme que celle envisagée.

D’abord, il y a quelques années, j'avais jeté mon dévolu sur le PHÈDRE de Racine. Lectures, analyses, ébauches de projet s’accumulaient… mais en vain. Il faut dire que le défi théâtral est important tant la forme est écrasante. Mais plus encore, dans ce récit par ailleurs fabuleusement écrit, les personnage d’Hippolyte et de son amante, Aricie, m'ont toujours parus superficiels, amoindris qu’ils sont dans une bête histoire d’amours contrariées. Les questionnements sur ceux-ci étaient nombreux.

Mes recherches m’ont donc mené vers les sources antiques du mythe, dont la version d’Euripide (écrite autour de 428 av. J.-C.). Dans celle-ci, titrée HIPPOLYTE PORTE-COURONNE, si Phèdre est toujours présente, le personnage pivot est justement le beau-fils en question. D’Aricie, aucune mention.  Il est montré dans toute sa splendeur : fougueux et fier, il n’a d’yeux que pour Artémis - déesse de la chasse -, refuse tout contact charnel et émotionnel avec une femme et, en ce sens, méprise royalement Aphrodite et ses disciples. C'est d'ailleurs pour ça que cette dernière - car oui, les déesses sont présentes et s'exposent - mettra en branle sa vengeance en instrumentalisant la pauvre belle-mère, déjà maudite par les antécédents de sa famille. Hippolyte est donc entier, tranchant, vindicatif, sans pitié. Devant lui, Phèdre succombe à sa passion et la fureur l’emplit. Du coup, les personnages acquièrent une toute autre dimension qui donne, à cette version, une cruauté troublante, féroce.

Après avoir parcouru plusieurs traductions de ce texte, il est vite apparu qu’aucune n’était tout-à-fait satisfaisante : souvent pompeuses, verbeuses, empêtrées dans une écriture désuète (celles que j'ai lues étant généralement écrites entre 1850 et 1900). C’est ainsi que l’idée de réécriture s’est imposée d’elle-même. Et plus encore, de travailler le texte de façon à pouvoir le faire porter par deux comédiens uniquement, dans une envie de créer une forte partition textuelle où l’interprète, de scène en scène, doit changer de rôles et revêtir les dynamiques soit du dominant, soit du dominé. Parce que dans ce jeu funeste qui se déploie, Phèdre, Hippolyte, Thésée, les déesses et même les serviteurs peuvent, au final, s’interchanger tant ils sont, au fond, pétris de ce même feu de l'orgueil qui couve et qui les consume inéluctablement. Effroyablement.

Sur une année (en 2017), j'ai, à partir des traductions existantes, recoupé le récit en 10 épisodes faisant alterner monologues et duos. Chaque réplique a été revue, comparée, sectionnée, allégée, minimalisée pour rester très près du squelette narratif, dans une ciselure quasi chirurgicale. Plusieurs passages, dont les choeurs, ont été gommés alors que d’autres ont été réécrits. (J'estime ainsi la proportion:  60% de texte original - si on peut dire - et 40% d'apport personnel.)

Une thématique s’est imposée d’elle-même tout au long de ce travail : le déchirement de l’intime sur l'autel de l'orgueil, chaque épisode étant ou une confession, ou une profession de sentiments, ou un repentir. Ce dévoilement, dans ses multiples formes, devient le véritable moteur dramatique, le déclencheur et le combustible de cette destruction annoncée.

Il en résulte un texte, LES MORTS SACRILÈGES, aux rythmes et syntaxes résolument contemporains, profondément rattaché aux échos de sa source antique d’il y a 2500 ans. Une partition énergique, prête à prendre vie avec vigueur et force. Et c’est à lui que nous voulons confronter nos expériences et nos envies scéniques!

Nous - moi et mon équipe de travail - en ferons donc une mise en lecture contemporaine très théâtralisée, aux allures d'un cabaret tragique!

Nous miserons sur cette forme parce que je crois fermement que la thématique de ce projet, telle que définie plus haut, trouvera, dans un tel contexte (présenté à l’Espace Côté-Cour,) peu conventionnel pour ce type de texte, un écrin intimiste, une proximité avec le public qui ne pourra que le servir. 

D’emblée, le cabaret vient avec un potentiel artistique puissant, décomplexé qui déconstruit et reconstruit ses propres codes, étalant également l’aire de jeu jusqu’à la salle. Chacun des dix épisodes de la pièce LES MORTS SACRILÈGES pourra, indépendamment des autres, trouver sa résolution scénique, en faisant intervenir différents moyens :
  • l’usage d’accessoires (objets, vêtements, mobilier);
  • l’usage de lumières de différentes origines (chandelles, torches, lampes, spots, blacklights, etc.);
  • l’usage de projections (que ce soient des images filmées spécifiquement pour ce spectacle, ou d’extraits de films, ou de créations numériques);
  • la création d’espaces sonores par la conception ou l’usage de micros et de programmes de transformations vocales.
Il ouvre ainsi un cadre de création qui allie efficacement le jeu traditionnel à la performativité contemporaine… essentiel à ce type de production syncopée, où les interprètes porteront plusieurs personnages, à coups de transformations à vue, de travail physique et corporel, d’accessoires évocateurs, d’effets produits par les technologies.

Il va sans dire qu’un jeu de monstration sera privilégié, rhapsodique. Une quête de virtuosité pour les comédiens qui devront passer d’un état à un autre avec justesse, avec célérité et efficacité.

Qui dit cabaret dit aussi forte présence musicale. Si les choeurs de la version originelle sont disparus, le projet LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE fera tout de même intervenir – tant entre les épisodes qu’ à l’intérieur d’eux - une autre entité, musicale et sonore!, ayant pour objectif de porter un point de vue extérieur sur l’action, les personnages, les enjeux dramatiques. 

Voilà ce que je veux faire avec ce projet.

Ainsi, au lieu de la constitution d’un univers scénique unique, LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE convoquera plutôt un cadre alternatif aux possibilités multiples qui prendra place, avec, sous-jacente, l’hybridation des genres, des formes. Et c’est comme ça que le Théâtre 100 Masques télescopera à nouveau l’Antiquité avec le monde d’aujourd’hui, pour faire vibrer à nouveau le spectateur, le frapper de plein fouet avec cette histoire dont on n’en a jamais assez!

29, 30 et 31 mars 2022, 20h
Espace Côté-Cour
Textes, mise en scène et conception générale: Dario Larouche
Comédiens: Erika Brisson, Bruno Paradis
Environnement sonore: Gabriel Gagné Gaudreault

jeudi 6 janvier 2022

Un couac pour Sarah Bernhardt


En 1916, Sarah Bernhardt est de nouveau de passage au Québec (pour voir tous ses passages au Canada, voir ce site - en anglais - qui présente les dates, les lieux et les répertoires joués). Ce sera son avant-dernier passage. Et elle attire toujours autant le public. Sauf que la magie commence à s'amenuiser: la grande artiste vieillit (la photo du billet est datée de mai 1916) et se flétrit un peu! En témoigne cet article - signé du pseudonyme de Baptiste Poquelin... hommage à Molière - publié dans Le Pays, en ce 14 octobre 1916:



mercredi 5 janvier 2022

Les prochains mois au Théâtre 100 Masques


2022 débute à peine que déjà le calendrier du Théâtre 100 Masques - que je dirige aussi - se remplit d'activités de toutes sortes... dans un contexte pandémique et sanitaire qui lui, peut toutefois entraver les bonnes intentions!

Il y aura d'abord, dès que nous le pourrons, ouverture des inscriptions pour une session d'ateliers réguliers (de dix semaines), destinée aux jeunes de 8 à 14 ans.

Le 27 février, je présenterai une édition spéciale de L'Heure du Théâtre, en collaboration avec les Bibliothèques publiques de Saguenay, consacrée aux différentes versions de Phèdre dans l'histoire théâtrale, de l'antiquité à nos jours (Euripide, Sénèque, Robert Garnier, Jean Racine, Jacques Pradon, Sarah Kane). Cette activité mettra la table au projet suivant.

À la fin mars (les 29, 30 et 31), le Théâtre 100 Masques présentera, au Côté-Cour, Les Morts sacrilèges, une mise en lecture fort théâtralisée sous forme d'un cabaret tragique, du texte du même nom que j'ai écrit à partir de plusieurs traductions de l'Hippolyte porte-couronne d'Euripide (et de mon propre apport également!). Deux comédiens, un musicien, et une version cruelle du mythe de Phèdre.

À la même période, ce sera l'ouverture des inscriptions de nos Camps de théâtre thématiques 2022, qui sont toujours une importante activité dont les résultats sont toujours fort surprenants:

Semaine 1 – Dans l’univers de…
Groupe 7-8 ans – … Calderon (La vie est un songe)!
Groupe 9-10 ans – … Shakespeare (Richard III)!
Groupe 11-12 ans – … Maïakovski (La Punaise)!
Groupe 13-15 ans – … Cocteau (La voix humaine)!
 
Semaine 2 – Explorons…
Groupe 7-8 ans – … le mime! (avec son corps comme matériau)
Groupe 9-10 ans – … la revue théâtrale! (avec ses numéros sur l’actualité)
Groupe 11-12 ans – … la tragédie classique! (avec les vers et les mythes)
Groupe 13-15 ans – … les contes urbains! (les récits un peu étranges)

Le 10 avril, je présenterai une seconde édition spéciale de L'Heure du Théâtre, toujours en collaboration avec les Bibliothèques publiques de Saguenay, cette fois consacrée à Goldoni, sa vie et son oeuvre, en marge des répétitions de la production estivale 2022.

Car oui, ce 23ième théâtre d'été se fera sous le patronage de Carlo Goldoni. J'ai deté mon dévolu sur la pièce Un curioso accidente (le titre français est souvent La plaisante aventure) qui sera présentée au Côté-Cour pendant tout le mois de juillet et qui s'inspirera de la commedia dell'arte avec une équipe de comédiens débordante d'énergie.

Bref, toutes ces équipes seront fort occupées!

mardi 4 janvier 2022

Quand le contempteur anonyme passe au tordeur...

 

Il est tellement rare de trouver des défenseurs du théâtre dans les archives journalistiques de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, qu'il m'est difficile de passer à côté de celui-ci, publié le 19 décembre 1894 dans L'Électeur

Il s'agit d'une lettre vitriolique - anonyme elle aussi - qui s'élève contre la bigoterie d'un autre signataire - sous le pseudonyme de la Société St-Vincent de Paul - qui s'acharne contre le théâtre:

lundi 3 janvier 2022

Le théâtre... un danger sans cesse renaissant

 

Il y a quelques temps déjà que je n'ai publié sur ce blogue de beaux petits morceaux de rhétorique contre le théâtre, tous pétris de vertu, de moralité, de religiosité. La littérature journalistique et les sermons du clergé sont, à  ce titre, une mine infinie de trouvailles en début du vingtième siècle.

Voici donc, en ce samedi 20 novembre 1909, ce que Le Courrier de St-Hyacinthe, sous la plume de Jules Dorion, avait à dire à ce propos (et j'ai particulièrement un faible pour les dangers qui guettent le bon père de famille...):


L'évêque de Montréal dont il est question ici est - l'article le mentionne au détour d'une phrase, Monseigneur Paul Bruchési (évêque de 1897 à 1939)...


...ardent contempteur du théâtre comme le démontre ces billets antérieurs de blogue.

samedi 1 janvier 2022

Pour nos scènes et pour le milieu en 2022!

 

La nouvelle année commence plutôt sombrement! Mais qu'à cela ne tienne. 

Je nous souhaite de la vision, de la conviction et de l'acharnement... parce qu'il nous en faudra... 

... pour soutenir notre visibilité et notre rayonnement...

... pour soutenir le développement de la formation nécessaire à la constitution d'une relève et d'une saine régénération 

... pour soutenir le renouvellement de la concertation... 

... pour soutenir la voix du milieu.

Je nous la souhaite,  cette année 2022, bonne et riche d'activités de toutes sortes! Avec des artistes en bonne santé (c'est le cas de le dire) mais surtout heureux et engagés dans les projets! 

Que ces mêmes projets soient rassembleurs, surprenants, motivants et qu'ils sachent, encore une fois, dire le monde, dire notre monde. Qu'ils divertissent. Qu'ils fassent réfléchir. Qu'ils questionnent. Qu'ils dénoncent. Qu'ils amusent. Qu'ils émeuvent. Qu'ils soient.

Que les organismes et compagnies soient en mesure de poursuivre leur mission sans trop d'entraves et qu'ils demeures proactifs! Que le financement soit à la hauteur des attentes et des besoins.

Avec des spectateurs à la tonne dans des salles accueillantes, à pleine capacité!

À tous...

... Théâtre Mic Mac, Théâtre La Rubrique, Amis de Chiffon, Têtes Heureuses, Théâtre CRI, Théâtre 100 Masques, Théâtre du Faux Coffre, Théâtre À Bout Portant, Tortue Noire, Théâtre du Mortier, Imprévu Improvisation, Valise Animée, Théâtre des 4 planches, artistes et artisans en théâtre des milieux professionnel, amateur, académique...

BONNE ET HEUREUSE 
ANNÉE 2022!