C'est un dramaturge que je ne connaissais pas. Et bon... ce serait mentir de dire que je le connais mieux maintenant après n'avoir lu qu'une seule pièce! Mais quand même...
Dans ma quête des différentes versions de l'histoire de Phèdre, je suis tombé sur cet auteur humaniste de la Renaissance - période creuse du théâtre français après une époque médiévale riches en mystères et en farces et juste avant un classicisme qui fera date - considéré comme un des grands de son époque et célébré, notamment, par Ronsard:
Bref, c'est une réelle découverte.
J'ai donc lu la version originale en vieux français (c'est là un exercice qui demande une attention particulièrement éprouvante!) de son Hippolyte... pour y trouver l'une des bonnes pièces sur le sujet... sinon la meilleure... très proche de la version antique tout en étant débarrassée des conventions théâtrales désuètes des Grecs et des Romains.
Dans celle-ci, il y est beaucoup (vraiment beaucoup) question de Thésée (dont le long prologue énoncé par le fantôme de son père Égée qui donne une mise en situation détaillée de la vie conjugale de ce roi fantasque), de son caractère déloyal et infidèle qui jette Phèdre dans un désarroi (et un destin divinement contrarié) qui la piège dans une passion incestueuse pour le fils Hippolyte. Le grand roi de la version racinienne y est dépeint dans toute son humanité viciée par l'orgueil, le calcul, l'aveuglement.
La reine y est, du coup, une figure encore plus pitoyable, profondément malheureuse, tourmentée. Femme déçue. Femme désespérée. Femme sans attaches, sans famille et sans patrie. Son destin se conjugue avec ses choix, avec son passé, avec son présent.
Hippolyte y est aussi présenté sous son aspect le plus intéressant: chaste et austère, complètement dégoûté de l'amour et de la chair. Ce qui le rend doublement - voire triplement - perturbé par les aveux de Phèdre. La rencontre entre les deux est d'ailleurs l'un des passages les plus beaux alors que le fils aborde sa belle-mère avec une certaine piété filiale et que celle-ci lui demande de porter la couronne en lieu et place du père disparu avant que de ne se lancer dans le déferlement de sa passion. Les répliques sont saisissantes. Pathétiques. Cruelles.
Il y a d'autres monologues (la pièces est construite sur les monologues ou sur des échanges à deux personnages alors que chaque acte - il y en a cinq - se termine par un choeur poétique) magnifiques:
- le présage d'Hippolyte qui combat un lion féroce;
- les suppliques de Phèdre aux dieux pour qu'ils la délivrent de son mal;
- ses accusations envers son époux absent;
- ses confessions;
- le discours brutal de la nourrice pour sortir Phèdre de sa léthargie;
- la description de l'état physique et émotionnelle de Phèdre par la nourrice;
- le retour de Thésée plus ébranlé que triomphant;
- l'échange insistant et terrible entre lui et son épouse qui finira par porter une fausse accusation envers le fils;
- la malédiction insensée que porte Thésée sur la tête de son fils (le dernier de ses trois voeux à Neptune où il appelle la mort d'Hippolyte comme vengeance);
- le remords de la nourrice qui a fait germer l'idée de la fausse accusation dans l'âme fiévreuse de sa maîtresse;
- le récit du messager... sur six pages!;
- l'horreur de Phèdre face à la mort d'Hippolyte.
Si je m'écoutais, je tasserais la partition préparée à partir de la version d'Euripide (et avec laquelle je compte travailler à l'hiver 2022) pour me consacrer à celle-ci!