dimanche 4 novembre 2012

Dans la fournaise de Babylone

Mosaïque datant du IXe siècle représentant saint Jean Chrysostome

Les charmants Pères de l'Église ont toujours eu - et c'est là tout mon plaisir! - une profonde aversion pour la chose théâtrale. Les épithètes, les métaphores, les comparaisons ne sont jamais assez fortes pour décrier ce mal... À un point tel que saint Jean Chrysostome (lien vers la page Wikipédia), à la fin du IVe siècle, en parlait en ces termes joliment forgés: l'école de la volupté, le collège de l'incontinence, le siège de pestilence... mais mon expression préférée demeure la fournaise de Babylone

De cet homme, d'ailleurs, coule une intarissable source de fiel et de haine pour le théâtre qu'il est toujours intéressant de lire:

Les Théâtres sont l'école de la débauche, de l'incontinence, la chaire de pestilence: vous y voyez des femmes débauchées représenter, prononcer des blasphèmes. Avec quels yeux regarderez-vous au sortir du Théâtre votre femme, vos enfants, vos domestiques? Quel mal, dites-vous, y a-t-il d'aller à la Comédie? Cela mérite-t-il de séparer une personne de la Communion? Et moi, je vous demande s'il peut y avoir un crime plus grand que de s'approcher de la sainte Table après s'être souillé d'un adultère? Oui, c'est une espèce d'adultère d'aller à la Comédie. Et si vous ne voulez pas m'en croire, écoutez les paroles de celui qui doit juger de notre vie. Jésus-Christ nous dit que celui qui voit une femme d'un œil de convoitise, commet un adultère: que doit-on dire de ceux qui vont exprès dans des lieux où ils passent le temps à regarder des femmes qui n'ont pas une bonne réputation? Avec quel front soutiendront-ils qu'ils ne les ont pas regardées avec des yeux de concupiscence? d'autant plus que l'on entend dans les spectacles des paroles lascives, on y voit des actions déshonnêtes, on y entend des chansons d'amour, et des voix qui excitent des passions honteuses. On y voit des femmes fardées, parées, ajustées pour inspirer de l'amour. Les instruments de musique et les concerts et les airs ne sont pas moins dangereux; ils flattent nos sens, ils amollissent le cœur et le préparent à tomber dans les pièges qui leur sont dressés par des femmes perdues. Comment des hommes qui sont pleins de mauvaises pensées, qui sont attaqués continuellement par les yeux, par les oreilles, pourront-ils vaincre les mouvements de la concupiscence? Et si cela est impossible, comment pourront-ils s'excuser du crime d'adultère? Et s'ils sont adultères? comment osent-ils entrer dans l'Eglise et participer à la sainte Table sans avoir fait pénitence?

[...] N'est-ce pas là un étrange dérèglement de vie? Et n'est-ce pas là la source de la corruption des mariages, des mésintelligences et des dissensions des familles? Car il est très certain que lorsqu'en sortant de ces spectacles dangereux, vous rentrez dans votre maison avec un esprit rempli de toutes ces images impures, la vue de votre femme ne vous est plus si agréable.

[...] Comment donc espérez-vous de demeurer chastes si après que le Diable a enivré votre âme et qu'il a obscurci toute votre raison? Car c'est là qu'il vous fait voir tout ce que le vice a de plus honteux, la corruption des femmes, des hommes et des jeunes gens. — Quoi, me direz-vous! voulez-vous que nous fermions le Théâtre pour jamais et que nous renversions tout pour vous obéir? Tout est déjà renversé, mes Frères car d'où viennent tous ces pièges que l'on tend tous les jours à la chasteté des mariages,  sinon de ces représentations honteuses? [...] Quoi donc, me direz-vous , renversons-nous les lois en détruisant le Théâtre qu'elles autorisent? Quand vous aurez détruit le Théâtre, vous n'aurez pas renversé les lois, mais le règne de l'iniquité et du vice; car le Théâtre est la peste des villes. C'est de là que naissent tous les désordres. Ceux qui en sont la cause, sont ceux qui sont accoutumés à cette vie de Théâtre, qui vendent leurs voix pour avoir de quoi vivre, qui n'ont point d'autre occupation ni d'autre étude que de dire et de faire des folies, tous ces jeunes gens accoutumés à l'oisiveté et à cette vie de divertissement et de plaisir.

C'était un autre beau moment de littérature dramatico-religieuse... À cette époque, il faut le rappeler, le théâtre romain était en pleine décadence (si ce n'était pas encore terminé...)... avant que de ne ressurgir en force avec les mystère et les farces du Moyen-Âge...