Bertrand Poirot-Delpech
Il est de fait que, dans un quotidien, la critique joue un rôle d'information. Elle ne peut pas prétendre aller bien loin dans la réflexion et elle est, plus qu'aucune autre, sujette à l'erreur puisqu'elle doit opérer dans une hâte extrême. Aussi lui fait-on souvent [...] un procès: cette critique journalistique, trop hâtive, serait, de surcroît, trop subjective, approximative et finalement légère, elle n'irait pas au fond des choses. Sans doute, en tant que critique, suis-je souvent obligé de rester sur ma faim - ou plutôt sur mon appétit. Je préférerais prendre un certain recul dans le temps et amorcer une réflexion plus sérieuse, plus circonstanciée, mais, enfin, j'appartiens à un quotidien et je crois utile que, dans ce quotidien, on trouve dès le lendemain de la «première» un son de cloche de quelqu'un d'honnête - je maintiens le mot [...]. Sans doute est-ce là de la critique de consommation, mais c'est aussi, pour le lecteur du quotidien, à travers l'avis de quelqu'un dont celui-ci connaît les qualités comme les défauts, l'assurance de savoir à quoi s'en tenir et donc de pouvoir, en connaissance de cause aller (ou ne pas aller) consommer ce spectacle avant qu'il ait disparu de l'affiche. [...]
La critique d'une revue opère bien après coup. Or, si l'on y revient, dix ans après, on se rend compte qu'elle ne se trompe pas moins que la critique journalistique. Et elle n'a pas l'excuse d'avoir travaillé dans les douze heures!
C'est là un extrait d'un fort intéressant débat, publié dans la revue Travail théâtral (no. 9, octobre-décembre 1972), entre Bernard Dort (1929-1994), éminent théoricien du théâtre rattaché à ladite publication, et Bertrand Poirot-Delpech (1929-2006) alors critique dramatique au quotidien Le Monde.
Un débat où le premier questionne l'utilité, l'efficacité, la valeur de la critique quotidienne et où le second la défend et la distingue de la réflexion poussée inhérente aux revues spécialisées. Le plus étonnant, c'est que les enjeux de la critique (spécialisée ou grand public) se posent pratiquement dans les mêmes termes cinquante ans plus tard... comme ils se posaient probablement déjà bien des années auparavant.
Conclusion: nous n'aurons jamais terminé de réfléchir et débattre sur la fonction critique! Et encore moins dans une région comme la nôtre qui voit son espace médiatique se réduire de plus en plus...