jeudi 30 octobre 2008

Le mélo québécois

Tit Coq, de Gratien Gélinas, dictant les lettres qui doivent être écrites
par son frère Jean-Paul Désilet à Marie-Ange (22-31 mai 1948)

Je l'ai déjà dit, j'ai toujours eu un peu de difficulté avec le répertoire dramatique québécois... particulièrement celui des années cinquante (Marcel Dubé, Yves Thériault, Gratien Gélinas, etc.) une bonne partie de celui des années 70 et 80 (plusieurs des Tremblay et des Bouchard, Michel-Marc de son prénom) et un large pan de l'écriture actuelle. Non pas que stylistiquement parlant ou structurellement ce soit mauvais... je ne le pense pas. Seulement, ces pièces finissent toutes - et c'est encore et trop souvent le cas de nos jours - par patauger dans la même fable mélodramatique familiale. À croire que notre dramaturgie (sauf exception) ne s'ouvre pas encore sur le monde...
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Jean-Pierre Ronfard fut (et demeure) un monument dans le paysage théâtral québécois. Expérimentateur, professeur, auteur, metteur en scène, comédien, essayiste, polémiste... Il fut, comme le rappelle Caroline Garand (qui fut chargée de cours à l'UQAC de nombreuses années), un interlocuteur ironique de la communauté théâtrale.

Lu - en souriant - hier soir avant de me coucher, dans Études théâtrales #35 (dossier Jean-Pierre Ronfard: l'expérience théâtrale), où cet homme, en 1989, écrit tout haut (!) ce que plusieurs pensent tout bas:

Il faut que j'exprime ce qui me dégoûte de plus en plus - parce qu'exploité avec indécence - dans la grande tradition du mélo québécois. [...]Le virus du mélo frappe et prolifère, comme il y a vingt-cinq ans le virus brechtien, comme il y a cent ans le virus naturaliste de Zola, comme il y a trois cents ans le virus tragique en alexandrins qui nous a valu une masse impressionnante de navets. Le navet mélodramatique québécois se cultive selon les lois imperturbables qui en font (selon moi) le succès, la niaiserie, l'inutilité, l'ennui.

D'abord le terrain: bien sûr d'abord et avant tout la famille. Mais pas n'importe laquelle. Une famille codée au départ. Père absent, mort ou enfui. Mère abusive: la môman type ou la matante qui s'y substitue. [...] Les enfants: en révolte, bien sûr. [...] Quelques comparses: le voisin qui pelote la mère, la cousine morone, le professeur vicieux qui lorgne la petite fille ou le petit gars (au choix), quelques vieux amoureux transis qui rappellent entre deux crises cardiaques que l'amour c'est beau mais c'est triste. Ghetto familial. Cour des miracles des coeurs et des corps estropiés. Et là-dedans, ça gémit, ça pleure, ça se mouche, ça se masturbe dans les coins, ça jouit honteusement dans la cour arrière.


Et le pire c'est que derrière cette caricature de fin de texte se profile véritablement ce qui compose généralement ce qu'on appelle le théâtre québécois...