samedi 8 novembre 2008
De l'amour et des griffes [journal d'une mise en scène]
Encore deux petites semaines de répétitions et ce sera terminé...
Bien qu'elle se coiffe toujours de la même façon, la Cantatrice Chauve surprend toujours!
Directeur artistique du Théâtre des Fonds de Tiroirs
Photographie: Louise Leblanc
La Rubrique présentait hier La Cantatrice chauve de Ionesco, une production du Théâtre des Fonds de Tiroirs mise en scène par Frédéric Dubois, l'un des metteurs en scène québécois "nouvelle vague" les plus en vue.
La Cantatrice chauve était la toute première production des Fonds de Tiroirs, en 1997, alors qu'une partie de la distribution n'avait même pas encore été admise au Conservatoire. Dix ans plus tard, tous diplômés et très actifs sur la scène québécoise, les six comédiens décident de replonger dans l'univers décalé de Ionesco, "pour le plaisir de retrouver cet esprit-là, ce texte qui appelle le délire, le dérèglement et la provocation", précise le metteur en scène. Mais cette fois, le salon bourgeois de monsieur et madame Smith, mais surtout leurs conversations pleines de vides, leur ont inspiré une réflexion sur l'angoisse.
"Ionesco disait que la solitude est le seul endroit où les humains se retrouvent. C'est notre prémisse de travail; à partir de là, j'ai réfléchi à ma propre angoisse devant, par exemple, mon père malade et les visages tristes croisés dans les chambres d'hôpital. On a aussi, dans les toutes premières phases du travail, regardé des documentaires sur l'Alzheimer, pas pour s'en inspirer directement, mais pour laisser cela s'implanter en nous, comme une base souterraine qui a inconsciemment nourri le jeu des acteurs."
Ainsi, dans les vides et les silences de la conversation des Smith et des Martin, Dubois a imaginé la cantatrice chauve prendre forme, telle une matérialisation du néant angoissant. À Québec, une chanteuse invitée venait chaque soir lui donner vie. L'idée a été abandonnée pour la tournée, mais le souvenir de l'énigmatique cantatrice est présent dans la trame musicale, d'abord composée des sonorités caverneuses de l'orgue et puis graduellement menée vers des rythmes tribaux et urbains, à mesure que la logique de la discussion s'étiole et que le langage se déconstruit.
(Philippe Couture, Frédéric Dubois - Québec-Montréal, Voir.ca)
Photographie: Louise Leblanc
La salle Pierrette-Gaudreault était pleine à craquer... pleine à craquer majoritairement d'étudiants des différents Cégeps de la région (contexte toujours un peu délicat) qui mettent encore, j'imagine, cette pièce phare à l'étude. Donc, ambiance un peu survoltée, fébrile de l'adulte nouveau qui assiste au théâtre pour la première fois, voit mis en scène un texte qu'il connaît. Une préparation qui ne fait qu'accroître l'excitation dans le public et qui ne s'affaiblira jamais en cours de représentation..
La première partie est une véritable jouissance pour les sens, alors que la distribution hallucinée (en ordre sur la photo à partir de la gauche: Monelle Guertin, Jonathan Gagnon, Christian Michaud, Julie Roussel (sur la photo, il s'agit toutefois de Catherine Larochelle), Sylvio-Manuel Arriola et Ansie St-Martin) se lance avec un plaisir manifeste dans ce vide langagier de ce texte. Monsieur et Madame Smith - fabuleuse St-Martin! - qui discourent sur la vie anglaise, la médecine, la mort... Monsieur et Madame Martin qui se perdent en conjonctures et ne se reconnaissent pas... Le capitaine des pompiers (seule réserve: pourquoi en fait-on un clown?) fertiles en anecdotes et en mots à l'emporte-pièce (Courteline)... La bonne étrange et un peu chaotique... Tous, à la manière d'un orchestre, sont bien accordées pour déclencher une cascade de rires chez chacun des spectateurs, malgré l'angoisse et le mal-être qui sous-tendent cette production.
Dubois signe là un vrai beau moment de théâtre, calculé, chorégraphié, travaillé (d'ailleurs, cette production que j'avais vue en 2007 m'a laissé la même impression de similitude avec ma propre Cantatrice Chauve montée en 2006...). Des trouvailles nombreuses, une direction d'acteur efficace, une maîtrise de la scène et du décor: deux pentes parallèles encadrées de voiles transparents; quelques chaises et de l'imagination à revendre... La finale laisse toutefois un peu à désirer et fait un peu brouillon...
Un mot - et c'est rare! - sur la musique. Pascal Robitaille, homme orchestre, prend place sur scène et ponctue toute la représentation de sons, d'instruments de musiques, d'airs anglais qu'on diraient sortis d'un orgue de barbarie... Son apport est essentiel et forme un canevas musical qui devient vite le personnage principal de cet univers embrouillé.
Ovation et enthousiasme!
La seconde partie, La leçon, mettait en scène, après tirage au sort entre les comédiens (qui modifie donc cette représentation à chaque fois) Jonathan Gagnon et Monelle Guertin.
Cette fable sur le langage, le pouvoir et la tyrannie se joue comme une numéro d'acrobatie vocale et explore un univers pour le moins complexe. Une jeune étudiante subit l'autoritarisme de plus en plus agressif d'un professeur littéralement en transe devant sa matière arithmétique et philologique.
Simple décor: une table (affreusement agrémentée d'un tulle), deux chaises devant un rideau blanc.
Cette deuxième partie souffre toutefois de la comparaison avec la précédente. Le discours y est plus sérieux, moins mécanique, plus noir. L'absurde n'y est pas remise en cause de l'ordre langagier mais plutôt mise en abîme de la cruauté.
Bien que la réception a semblé bonne, le comique fait résolument place au tragique.
Bref, un beau et bon moment de théâtre.