jeudi 2 février 2012

«Maître ou métreur?»

 
Dans la suite du billet précédent (et, d'une certaine façon, en parfaite opposition...), voici une partie d'un chapitre, titré comme ce billet, écrit par Patrice Pavis - dans son excellent (et nécessaire) ouvrage L'analyse des spectacles, en page 283 - portant sur la mise en scène, le metteur en scène et leur rôle et fonction...

En opposition? Oui et non... 

Deux dangers semblent guetter le metteur en scène: être un «maître en scène» ou un simple métreur. Depuis toujours, on se récrie contre sa prétention à tout régir [...]. Par réaction contre cette maîtrise, on ramène souvent son rôle à celui d'un simple métreur, d'un subalterne chargé de la mise en place des objets et des acteurs, d'un arpenteur et d'un manutentionnaire qui se borne à mesurer leurs distances, leurs placements ou déplacements.

[...] À présent, le metteur en scène tend à perdre sa responsabilité globale, artistique au «profit» d'une simple responsabilité technique [...]. L'ancien maître universel délègue fréquemment son pouvoir à divers agents de maîtrise, aux responsables des différentes composantes du spectacle (son, lumière, musique, technologie, etc.). La mise en scène est décentralisée et déléguée: elle ne regroupe ni ne compose plus rien, elle se borne à juxtaposer sons, bruits, images, corps.

Pavis parle ici de déhiérarchisation... et je suis assez d'accord. Le metteur en scène-roi n'est plus, d'accord... mais il est remplacé par le propos, la ligne directrice.


De la mise en scène



Donner ce cours de Dramaturgie et mise en scène, c'est réfléchir sur des notions qui semblent évidentes... mais qui demeurent complexes. Comme la mise en scène...

Faire une mise en scène (comme pour tout projet collectif...), c'est d'abord  (bon... ça reste ma propre définition...) s'approprier une œuvre. Élaborer un discours. Donner (après avoir bosser avec les différents concepteurs) les paramètres du travail à venir... 

Puis c'est ensuite veiller à ce que tout ce qui se crée (esthétique, jeu, promotion) suive ce discours (en complémentarité), lui réponde (en écho, en opposition ou en confrontation). Ce propos (incarné, dans le théâtre traditionnel, par le metteur en scène) devient en quelque sorte le centre d'un univers scénique autour duquel tourne les différents satellites... 

Mais un univers fragile.

Pour en préserver l'intégrité, le metteur en scène doit dès lors devenir psychologue et négociateur.

Psychologue parce qu'il lui faut tenter de comprendre les différents points de vue (sans y laisser le sien), de saisir les angoisses, les doutes, les problèmes de tout ordre qui peuvent surgir et qui peuvent vite miner l'atmosphère... Comprendre les autres tout en restant convaincu (sans être  borné). Le théâtre, quoi qu'on en pense, demeure encore un art d'ego... et c'est ce qui fait son charme!

Négociateur parce que, comme leader de ce type de groupe (généralement ponctuel), c'est à lui à convaincre, à appuyer, à faire comprendre les choix esthétiques et les besoins. Il lui revient de nourrir  (au sens figuré, bien sûr) les concepteurs et les comédiens, de les accompagner... en restant ouvert aux propositions. Et de voir à ce que les écarts entre celles-ci et les demandes initiales ne soient pas des incompréhensions mais de nouvelles approches riches et fécondes, discutées et choisies.

Art du compromis? Assurément. De part et d'autre. Pour des raisons économiques. Pour des raisons de manque de temps. Pour des raisons d'espaces. Pour des impossibilités physiques (quand il s'agit du jeu). Parce que l'idée amenée va plus loin et ouvre de nouvelles pistes. Etc. Et ici arrive l'image sublime du souque-à-la-corde. De la véritable émulation d'idées. Du «Voici ce que tu dis» et du «Voici ce que j'apporte». C'est là tout le côté grisant du travail esthétique, de la direction d'acteur, du théâtre: assister à l'évolution d'une idée jusqu'à sa concrétisation, colorée par l'apport de chacun...

Négociateur donc pour présider aux compromis (qui implique des échanges entre les collaborateurs, entre les comédiens... des échanges constructifs qui amèneront nécessairement ailleurs) sans tomber pour autant dans l'abandon.

Le metteur en scène est, en bout de ligne, le gardien du propos et en ce sens, il doit guider tout un chacun vers l'étape des représentations.

Bref, la psychologie et la négociation sont les deux éléments qu'il faut maintenir en équilibre, comme metteur en scène, pour que chacun donne le meilleur de lui-même, pour que la création se fasse dans l'enthousiasme et l'ouverture

Facile à expliquer. Maintenant, c'est une autre chose que de le faire!