lundi 31 août 2020

Le Phono-Cinéma-Théâtre

Ce matin, je vous propose une petite incursion dans l'histoire théâtrale pour découvrir une curiosité technologique du tournant du vingtième siècle: le Phono-Cinéma-Théâtre.


Il consistait [selon Wikipédia] à synchroniser les voix des acteurs, enregistrées sur un phonographe à cylindre, aux images projetées. Les images étaient parfois colorisées. 

Lors de l'Exposition Universelle de Paris, en 1900 (voici, en lien, des articles promotionnels du Phono-Cinéma-Théâtre), Clément Maurice, l'un de inventeurs, présente de courts films, mettant en vedette les grandes stars scéniques de l'époque... 

... comme Coquelin l'Aîné (biographie ici) dans la scène du duel de Cyrano de Bergerac (et ce serait le premier film alliant son et image):


... comme le même Coquelin, jouant dans Les Précieuses ridicules de Molière (malheureusement, je n'ai qu'une captation fixe de l'extrait):


... comme Sarah Bernhardt dans la scène du duel de Hamlet (mais le son n'est pas avec le vidéo):


... comme Cléo de Mérode dans Gavotte (dont l'accompagnement sonore orginal n'a pas traversé le temps):

Voici, en lien, la liste (du Catalogue des restaurations et tirages de la Cinémathèque française) des extraits qui ont été filmés par Clément Maurice et tout une histoire, par ailleurs fort intéressante, de la sauvegarde de ceux-ci. 


dimanche 30 août 2020

L'art et la vie...

Dans ses écrits sur le théâtre (publiés en français sous le titre Le théâtre libéré), Alexandre Taïrov rapporte (p. 32) cette amusante anecdote:

Connaissez-vous la vieille fable d'Esope que Coquelin cite comme ayant été vécue? À la foire, un bateleur imita le grognement d'un cochon de lait et le fit si habilement que tous, transportés d'enthousiasme, se mirent à l'applaudir très fort. Alors, un paysan paria qu'il crierait aussi bien: il cacha sous son manteau un cochon de lait vivant et se mit à le pincer; le cochon, naturellement, poussa des cris perçants, mais on siffla le paysan. «Que voulez-vous! dit Coquelin, le cochon criait fort bien, sans doute, mais il criait sans art.» 

[...] Il y a deux vérités, celle de la vie et celle de l'art. Certes, par endroits elles se recoupent, mais dans la majorité des cas la vérité de la vie est un mensonge dans l'art et, inversement, la vérité de l'art sonne faux dans la vie. 

Le Coquelin en question est l'un des grands comédiens de l'histoire du théâtre (1841-1909). C'est lui qui sera le premier Cyrano de Rostand. Il sera de beaucoup d'autres créations illustres. Le portrait qui illustre ce billet (de Raimundo de Madrazo y Garreta peint en 1879) le représente dans le rôle de Don Cesar de Bazan du Ruy Blas de Hugo. 

samedi 29 août 2020

Les archives théâtrales saguenéennes

 

Le théâtre est éphémère et du coup, sa mémoire (à long terme) pose un sérieux défi de conservation. De décennies en décennies, que de noms, que de troupes, que de projets sombrent dans l'oubli.

Pourtant, chaque projet, chaque production, chaque événement laisse dans son sillage des documents papiers (photos, affiches, programmes, croquis, budgets et demandes de subventions), un dossier de presse, une captation. Souvent, tout est là: de l'idéation à la réalisation en passant par les crédits des artistes et partenaires. Une solide mine d'informations plus souvent qu'autrement inaccessible (parfois inconnue quand il s'agit de spectacles plus anciens)... ou, à tout le moins, dispersée! Une partie de celle-ci est assurément disparue...

Le tout est rangé tant bien que mal dans des classeurs, des boîtes... chez d'anciens participants (pour les troupes aujourd'hui disparues) ou au sein d'organismes qui manquent de plus en plus d'espace. Et le temps fait son oeuvre... aidé parfois par des envies de ménage et de soulagement spatial!

Chacun (artiste et organisme) pourrait s'ouvrir un fonds d'archives, il va de soit. 

Mais il pourrait aussi y avoir plus... 

J'ai déjà évoqué (et d'autres aussi) la création d'un fonds d'archives pour le théâtre régional (ceci dit, il en existe déjà certains). Un fonds d'archives constitué en concertation. Un fonds d'archives créé et entretenu par des professionnels, dans des conditions professionnelles. 

Dans un monde idéal, ce fonds pourrait contenir de multiples sources:

  • de nombreux documents: photos, affiches, programmes, croquis, budgets et demandes de subventions, captations (sur différents supports dont plusieurs seraient à numériser!);
  • ceux des troupes anciennes (plus difficiles à récolter, mais certaines personnes ont encore de ces éléments au fond d'un album ou dans une boîte à souvenir);
  • ceux des compagnies actuelles, actives ou non;
  • ceux d'artistes indépendants et de concepteurs;
  • ceux des institutions scolaires (université, cégeps, séminaire, polyvalentes);
  • des entrevues avec des artisans, des artistes de la première heure pour garder une trace tangible de l'histoire;
  • des artéfacts (comme des costumes significatifs, des accessoires remarquables, des maquettes);
  • une liste faisant la recension de fonds théâtraux déjà existants et les liens pour y accéder.

Le but serait d'abord de réunir une masse d'informations (la plus exhaustive possible) sur le milieu théâtral régional tout en permettant une préservation optimale des souvenirs d'un milieu dynamique. Par la suite, par son accessibilité, ce fonds serait disponible pour les chercheurs, les historiens intéressés à dresser l'évolution de la pratique théâtrale ici en région éloignée... à tracer les contours de sa professionnalisation, par exemple... Enfin, d'un point de vue romantique (!), ce serait aussi donner à ce qui se fait aujourd'hui et ce qui se fera demain, un ancrage historique, une continuité.

Comme artistes, comme praticiens, comme organisations, il est de notre responsabilité de nous assurer de mettre en place les mécanismes nécessaires à une transmission de la mémoire théâtrale...

vendredi 28 août 2020

Taïrov et le théâtre libéré


Une autre semaine, une autre nouvelle lecture... enfin, presque... parce que j'ai déjà lu ce bouquin il y a une quinzaine d'années, du temps de ma maîtrise à l'UQAC.

Taïrov est une drôle de figure, dans l'histoire du théâtre russe (1914-1949): anti-Stanislawski... anti-Meyerhold... anti-Vakhtangov... et pourtant, il puise dans l'un et l'autre (avec oui, semble-t-il, un réel talent). Il prône un théâtre libéré de ses traditions sclérosantes, de ses illusions bourgeoises... mais prône, du même souffle, un théâtre de divertissement d'abord et avant tout... pour une élite s'il le faut. Sa pratique théâtrale s'appuie sur les classiques et les opérettes à la mode à une époque où tous - et ce fait devient presque loi! - réclament une dramaturgie soviétique, populaire, venue de la masse ouvrière.

Lui aussi, comme Meyerhold, sera taxé de refus nihiliste de la tradition russe, formalisme esthétisant, art de laboratoire coupé du peuple. (p.23)

Et dans son sillage, il entraîne une très grande interprète: Alica Koonen (dont j'ai déjà parlé, selon différentes graphies, ici , ici et ici).

Un grand metteur en scène (même s'il n'est pas mon préféré) qui a écrit de belles pages sur la diction et le rythme vocal et sur le corps du comédien, principal émetteur de la théâtralité selon lui.



jeudi 27 août 2020

De retour au Moyen Âge!

Ce matin, je reprends le chemin des vraies répétitions!

Et c'est sur un matériel dramaturgique que j'apprécie beaucoup que ce retour se fera! Pour l'occasion, pour le projet en question, je travaillerai sur La Confession Margot, un texte anonyme daté du début du XVIe siècle. Cette (relative) courte farce médiévale réunit des éléments récurrents du genre: la parodie du curé, la confession naïve, le mélange d'obscénité et de lubricité! Le sujet: la luxure péché mortel!

Le Margot du titre serait le nom du personnage... mais serait également le diminutif de Marguerite, nom donné, semble-t-il, aux personnages féminins de moeurs légères. Ca donne le ton... 

C'est cru. C'est osé. C'est drôle. 

Un travail de présence. De rythme. De respirations et de sens du punch

Il est toujours étonnant de revenir à ces pièces comiques du Moyen Âge pour mesurer, au final, le peu de décalage entre ces univers déjantés, permissifs, disgressifs... et le monde de l'humour et de la comédie d'aujourd'hui!

samedi 22 août 2020

L'espace du «Pageant Historique du Centenaire» (1938)

 Avant La Fabuleuse histoire d'un Royaume (créée en 1988 et jouée depuis presque sans interruption) il y eut le Pageant historique du Centenaire, écrit par le Père Laurent Tremblay, en 1938, pour marquer le centième anniversaire de la colonisation de la région. 

Ce grand spectacle a pris place dans un monumental amphithéâtre temporaire conçu par l'architecte Léonce Desgagné (qui laissera sa marque sur de nombreux édifices significatifs du territoire): 



Les plans et images sont tirés de Fêtes et spectacles du Québec - Région du SLSJ de Rémi Tourangeau (publié en 1993)... ouvrage qui décrit ainsi ce monumental espace:

Le lieu théâtral choisi pour le jeu du pageant de 1938 est situé à l'endroit de la première terre ensemencée au Saguenay: le déclin d'une colline face à la Baie-des-Ha Ha! Il prend l'aspect d'un immense théâtre en plein air, appelé le Théâtre du Centenaire et construit selon les plans de l'architecte Léonce Desgagné. Selon les plans, la scène mesure 36,6 mètres de longueur sur 30 mètres de profondeur et 14,5 mètres de hauteur. Pourvu d'aires de jeu multiples, cet espace comprend une scène intérieure, une avant-scène extérieure et un parquet de trois plateaux disposés en demi-cercle. Les plateaux fermés de chaque côté par des rampes latérales sont assez vastes pour contenir tout un village et permettre l'évolution de jeux de plus de 1 000 figurants. Des estrades pouvant contenir 10 000 personnes sont dressées en face de ce théâtre, mais ne suffiront pas à asseoir tous les spectateurs certains soirs de représentations.


Les photos de ce premier grand spectacle rendent bien la démesure de celui-ci. On peut en voir ici (sur un article paru en 2015), ou encore ici (sur le site de la BaNQ), ou encore sur ce petit document mis en ligne sur Youtube par la Société Historique du Saguenay en février dernier (qui nous permet de voir un peu plus la construction et son occupation par les comédiens):



vendredi 21 août 2020

Quand le Grand Guignol fait des incursions au Québec

Le Grand Guignol, ce théâtre de l'horreur et des angoisses de cette fin du XIXe siècle (période de changements sociaux et de la science), a quelque chose de fort intéressant. Comme une incursions dans la psyché du public d'alors.

Puis, bien sûr, le genre s'est un peu caricaturé lui-même pour devenir un théâtre où le sang et la folie s'entremêlent à des intrigues de séries B. 

Il n'en demeure pas moins qu'il a imposé un style et attiré de nombreux spectateurs... et que son attrait s'est manifesté jusqu'à notre côté de l'Océan. 

Voici quelques éléments tirés des archives...

... une tournée du Théâtre du Grand Guignol lui-même (comme annoncée ici dans L'Autorité du 6 décembre 1923):

... une série sur les ondes de Radio-Canada en 1942, intitulée Le Théâtre de la Peur:

Radiomonde, 6 juin 1942

Le Devoir, 22 juillet 1942

Radiomonde, 8 août 1942

L'Avenir du nord, 14 août 1942

L'Avenir du nord, 6 novembre 1942

... une émission sur les ondes de CKVL (remerciement du Radiomonde du 11 septembre 1948):

... des spectacles avec des grands artistes d'ici (comme celui-ci annoncé dans Radiomonde du 16 juin 1951:

jeudi 20 août 2020

De la douleur du metteur en scène en représentation!

Autant je n'ai pas peur du public avant et après, autant j'en ai peur pendant la représentation. Je me dis: ça y est, ils ont été gênés, ça y est, ils n'ont pas vu ceci qu'ils auraient dû voir, ça y est, ils ont vu cela qu'ils n'auraient pas dû voir, voilà ils sont distraits, voilà qu'il fait trop chaud, qu'il fait trop froid. Je redoute tout ce qui peut rompre le précieux fil tendu entre comédiens et spectateurs. Ce fil tellement fragile, tellement fin. [...] Je ne supporte pas qu'il se passe en scène quelque chose que je n'aime pas. Quand je ne suis pas dans les gradins, mais sur les côtés, je peux au moins courir derrière, faire semblant d'être utile. Depuis trente ans donc, je suis resté debout sur les côtés. Sauf lors de ces fameuses fausses premières, c'est-à-dire des premières non-payantes. Là, je reste à la table de régie au milieu de la salle, parce que je considère que ce sont des répétitions publiques. Mais dès que les gens ont payé, impossible de prétendre que c'est une répétition. Le metteur en scène doit disparaître.

Ce sont les mots d'Ariane Mnouchkine, grande metteure en scène du Théâtre du Soleil tirés des entretiens publiés sous le titre L'art du présent. J'ai beaucoup aimé cette lecture. 

Mais pour revenir à cette citation... 

Je comprends parfaitement ce qu'elle veut dire: je suis aussi incapable de regarder un de mes spectacles à travers les yeux des spectateurs. C'est trop intense. Trop heurtant. Souffrant même. 

Je suis incapable de me retrouver au milieu d'eux pendant une représentation (sauf dans les cas où, comme du temps de la SALR ou lors du Procès à l'ancienne, j'officie également comme régisseur). Une absence de recul et une incapacité d'agir. C'est comme me regarder travailler de façon interposée par les acteurs. Une incapacité de lâcher prise. Mon niveau de plaisir avoisine le zéro!

C'est d'ailleurs ce qui m'empêchera toujours de monter sur scène comme comédien! 

Mais pour revenir à Mnouchkine... 

Voici un documentaire sur elle, sur sa vision du théâtre:



mardi 18 août 2020

Toujours à la recherche de notre histoire théâtrale!

C'est avec un vif plaisir que je parcours le présent bouquin. Il faut savoir que Rémi Tourangeau, chercheur associé à l'UQTR, s'est particulièrement démarqué par son champ d'études: les grands spectacles et les pageants scéniques. Et il s'avère que notre région a particulièrement été fructueuse à ce chapitre!

Dans le dit livre, il se penche en long et en large sur deux grands spectacles marquants: Le Pageant historique du Centenaire de 1938 et La Fabuleuse Histoire du Royaume de 1988. (D'ailleurs, les textes originaux de ces deux oeuvres se retrouvent, dans leur entièreté, en annexe!)

Il y va d'une étude approfondie de la région culturelle, de ses antécédents en matière de spectacles, des legs de ces grands rassemblements, de l'évolution du théâtre... 

Et c'est là que je retire beaucoup de satisfaction alors qu'à travers cette lecture, je peux mettre à jour, peaufiner, enrichir mes connaissances (ici sur ce blogue) de l'implantation du théâtre au Saguenay-Lac-Saint-Jean! La recension se poursuit! 



lundi 17 août 2020

Théâtres de papier

Voici une petite sélection de théâtres de papier, destinés à amuser les enfants, glanés ici et là sur le web... parce que je les trouve magnifiques!












dimanche 16 août 2020

Mise au point sur la création collective

 

Le travail collectif n'est pas la censure collective. Quand on discute d'une idée, il faut éviter qu'elle soit combattue par trois ou quatre avant même d'être totalement exprimée. Cela, nous avons appris à ne pas le faire. On essaie les idées les plus folles de certains. On ne les écrase jamais dans l'oeuf.

Ensuite, il faut laisser avancer ceux qui avancent, c'est-à-dire laisser apparaître les éclaireurs, ceux que j'appelle les «locomotives». Le travail collectif est tout sauf un travail égalitariste. Il y a ceux qui mènent, qui inventent, à tous points de vue, et ceux qui sont moins expérimentés, ou moins en forme, et qui suivent, mais qui sont aussi indispensables. 

[...] Du coup, l'émulation s'accroît, et l'exigence. Il s'agit pour chacun de placer chaque jour la barre plus haut.

Chacun apporte ce qu'il est capable d'apporter. Le beaucoup de certains, et le petit peu des autres.

C'est là une mise au point essentielle, d'Ariane Mnouchkine (dans le bouquin dont je parlais hier) sur ce qu'est, un véritable fonctionnement d'une création collective. Je trouve intéressant sa distinction entre collectif et égalitariste, sa vision du collectif porté par des leaders, sans renier l'apport de chacun des participants. 

samedi 15 août 2020

Le bobo ou la peste

 

Parmi les grands metteurs en scène toujours de ce monde, il y a l'incontournable Ariane Mnouchkine et son Théâtre du Soleil qui est installé, depuis des années, à La Cartoucherie, une ancienne usine d'armement, à Paris. Une grande artiste... et pourtant, je connais assez peu sa démarche, son travail. D'où l'achat d'un bouquin, L'art du présent, publié en 2005 et réédité (et augmenté) en 2016, qui présente une série d'entretiens entre elle et Fabienne Pascaud.

Le Soleil est une troupe au sens premier du terme: une communauté de créateurs, tous égaux, qui vivent pratiquement ensemble. Et c'est ce qui rend cette aventure encore plus intéressante.

Voici ce qu'elle dit (p.14), d'ailleurs, sur cette vie de troupe:

Même quand tout va bien dans une vie de troupe, il y en a toujours un pour qui ça ne va pas. Celui-là, il faut l'écouter, et, en même temps, éviter qu'il n'impose son humeur. Quelques fois c'est juste un bobo, quelques fois c'est la peste. Il faut bien faire la différence entre bobo et peste. Quand j'étais plus jeune, je prenais l'un pour l'autre. Or, un bobo se guérit avec une parole. La peste, il faut couper! [Et quand s'aperçoit-on que c'est la peste?] Trop tard, en général. 

C'est tellement vrai. Parce que l'humain - avec ses forces et ses faiblesses - reste le matériel fondamental du théâtre. 

Le commentaire de Mnouchkine vaut (et se vérifie!) pour les troupes, oui... mais aussi pour chaque équipe, chaque distribution rassemblée pour une production. 

Nous avons tous vécu de ces expériences de tracas passagers, qui minent, à plus ou moins grande échelle, le travail: retards, tensions, problèmes monétaires, problèmes de santé, irritants conjugaux. Ça peut jeter un froid sur la répétition mais ça finit par se résorber le jour même ou la répétition suivante.

Puis il y a de ces moments (plus rares, mais plus épuisants) qui deviennent des crises, des guerres froides, qui peuvent aller jusqu'à mettre en péril le projet en cours (et c'est pourquoi il faut agir): rancoeurs tenaces, tensions profondes, jalousies, égocentrisme, rejets radical de la proposition principale, remise en cause majeure, insouciance et indifférence... Cette dernière catégorie de problèmes est bien sûr la pire, parce qu'elle prend racine au coeur du groupe, s'étend et s'incruste, envahit l'atmosphère... et peut aboutir à une formidable explosion, un départ ou un renvoi de l'un des artistes, voire l'annulation pure et simple du spectacle. Et entretemps, que d'énergies déployées ailleurs que dans un but commun!

Et ça ramène, du coup, à deux des principales fonctions du chef de troupe ou du metteur en scène (ou du directeur artistique): faire preuve de psychologie pour préserver l'efficacité (et l'ambiance créatrice) du groupe. 

Je sens que je vais bien aimer Mnouchkine!

jeudi 13 août 2020

R.I.P. Michel Dumont

 
L'acteur Michel Dumont est décédé. 

Originaire de la région, il a fait ses débuts sur scène avec Ghislain Bouchard (une collaboration qui dura longtemps), au sein de La Marmite avec un très grand succès... comme le relate cet extrait d'un article paru le 24 mars 1966 dans La Presse:

Avant que de ne prendre le large vers la grand'ville où il fit carrière.

À la télé. Sur la scène. Partout. Avec sa prestance et sa voix grave.

Cette voix qu'il a prêté, en 1988 - et pour de nombreuses années (est-ce encore la sienne aujourd'hui?) à l'Esprit du Fjord de La Fabuleuse histoire d'un Royaume

Puis il s'est impliqué pendant des années, à titre de directeur artistique, chez Duceppe

Et il a encore joué. À la télé. Sur la scène. Partout.

C'est une grande perte pour le milieu artistique du Québec et, par conséquent, pour le nôtre.

Comme une mémoire théâtrale qui tout doucement s'efface.

mercredi 12 août 2020

Une autre semonce apostolique

Parmi les grands personnages (anti-)théâtraux de notre histoire québécoise, il y a, bien sûr, Monseigneur Paul Bruchési, le virulent archevêque de Montréal pendant une quarantaine d'années (de 1897 à 1939).

Sous la cape et la soutane se cache un adversaire acharné de la scène, des comédiens, des pièces et de l'immoralité du théâtre en général, décriée sur tous les tons. La vertu de l'époque était, semble-t-il, bien faible... Mais Bruchési veille! Au point, d'ailleurs, de devenir un incontournable sur ce blogue (le petit florilège de ses apparitions ici) comme ses distingués confrères - Mgr Bourget et Mgr Bégin - qui n'ont, d'autre part, rien à lui envier.

Voici donc que le journal La Croix, en ce 9 décembre 1905, relate un autre de ces anathèmes théâtraux dont les journaux d'alors se font souvent messagers. La même rhétorique qu'habituellement: grandiloquence, mise en garde, déception, railleries, menace, attaque, chantage, supplication... 

Cette petite histoire de l'Église contre le théâtre est fascinante parce que terriblement paradoxale.

Si l'Église se pose plus souvent qu'autrement (comme ici) en juge féroce de l'art dramatique, elle semble oublier que c'est aussi grâce à elle que cet art qu'elle voue aux gémonies a pu survivre ici ... et refuse sans doute de voir l'avenir alors que de ses rangs sortira le réformateur tant attendu: le père Émile Legault et ses Compagnons de Saint-Laurent...

mardi 11 août 2020

Contre la censure...


Le journal Les Vrais Débats (dont la devise était, par ailleurs, Ni vendu ni à vendre à aucune faction politique) y allait, en ce 14 octobre 1900, d'un rare plaidoyer (public) contre la censure théâtrale:


lundi 10 août 2020

Âme sensible ou petite nature?

Au tournant du vingtième siècle, les âmes étaient peut-être un peu plus sensibles qu'aujourd'hui... en témoigne ces deux petits entrefilets publiés dans le journal Les Débats, en ce 8 juillet 1900: 

Par café concert, il faut attendre ici cabaret... et ceux-ci pullulaient à cette époque! 

dimanche 9 août 2020

Deus ex machina

Dans la Grèce antique, il y eut principalement deux grandes machineries théâtrale utilisées lors des spectacles: un plateau roulant qui sortait de la skènè (le bâtiment construit) et aussi, il y avait une grue (présumée) qui permettait de faire voler un acteur et de .

De celle-ci, en voici une petite description tirée (pp. 138-139) de Théâtre et société dans la Grèce antique de Jean-Charles Moretti: 

La grue est restée célèbre par l'expression latine du deus ex machina, équivalent du grec [...] théos apo mèchanès, qui désignait le dieu apparaissant en suspension à la fin d'un drame pour en dénouer l'intrigue, selon un procédé qu'Aristote condamnait. Il n'est aucune représentation figurée antique de l'engin ni aucune trace sûrement identifiée de l'implantation de son axe au théâtre de Dyonisos à Athènes ou dans quelque autre édifice. Les textes dramatiques qui y recourent, les quelques allusions qui y sont faites dans le reste de la littérature et ce que l'on peut savoir par ailleurs des grues antiques conduisent à restituer un mât vertical qui avait une hauteur un peu supérieure à celle de la skènè derrière laquelle il était érigé.  À sa base, il était fiché dans un encastrement ou maintenu sur un croisillon à quatre contrefiches. À son sommet était fixé un bras contrepoids qui pouvait pivoter horizontalement et verticalement. Un treuil, actionné par un machiniste, permettait de lever ou d'abaisser le bras à volonté.

Concrètement, donc, ça pouvait ressembler à quelque chose du genre (ce sont toutes des images tirées d'internet). Les formes diffèrent et le moyen de déplacer l'acteur aussi: crochet? corbeille? plateau? 


samedi 8 août 2020

Que nous reste-t-il du théâtre de la Grèce antique?

De la littérature dramatique grecque antique sont conservés les textes complets de quarante-cinq pièces: six ou sept d'Eschyle, sept de Sophocle, dix-huit ou dix-neuf d'Euripide, onze d'Aristophane et une de Ménandre. Relativement à la production antique, c'est très peu. Les Anciens, pour ne citer que deux exemples, connaissaient cent vingt-trois drames de Sophocle et plus d'une centaine de comédies de Ménandre. C'est donc d'une portion infime des oeuvres antiques que nous disposons et ce corpus n'est ni fiable, ni représentatif.

Pour chacune de ces pièces, l'établissement du texte demeure en effet sujet à controverses. Nous ne possédons pas le moindre fragment des manuscrits qui furent écrits par les dramaturges sur des rouleaux de papyrus, en lettres capitales, sans indication ni de mise en scène, ni de répartition des répliques entre les personnages. Nous pouvons seulement tenter d'en restituer la lettre par la collation de rares papyrus antiques de seconde main et, surtout, de manuscrits qui ne sont pas antérieurs au Xe siècle. Il est de la sorte douteux que nous ne connaissions jamais précisément la forme exacte du texte original, tel qu'il fut écrit pour sa première représentation, et ce d'autant plus que, dès l'Antiquité, certaines pièces furent modifiées, après leur création, par leurs auteurs ou par leurs interprètes. Quand bien même il en serait ainsi, tout une partie du spectacle nous échappe: sur les mises en scène ou les costumes, sur les musiques ou les danses qui entraient dans la composition des drames, nous n'avons presque aucune information directe.

Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane et Ménandre [représentés, dans l'ordre, plus haut], de plus, ne forment pas un choix représentatif de l'ensemble de la production dramatique dans la Grèce ancienne. Tous ont écrit à Athènes, entre le début du Ve siècle et le début du IIIe siècle av. J.-C. De ce qui a été composé pour la scène dans le reste de la Grèce ou, à Athènes, avant et après cette période, il demeure seulement quelques fragments. Presque rien, en particulier, ne date de l'époque hellénistique [fin du IVe s. av.J.-C.], qui fut pour le théâtre grec la période la plus florissante, celle qui vit le nombre de dramaturges se multiplier et presque chaque cité se doter d'un édifice de spectacles [construit en pierres au lieu des échafaudages en bois... ce sont d'ailleurs ceux-là qui nous sont parvenus]

Cette petite mise au point antique est tirée (p. 13) d'un petit bouquin que je viens de recevoir et qui est passionnant à lire: Théâtre et société dans la Grèce antique de Jean-Charles Moretti, édition (de 2001) republiée en 2011 chez Le Livre de Poche


Un ouvrage fort intéressant (j'en ai lu la moitié hier) qui fait un tour d'horizon de ce monde d'il y a 25 siècles: les textes dramatiques, les concours et les prix rattachés, les caractéristiques des édifices, l'utilisation des édifices en dehors des concours, la composition des publics et leurs réactions, les décors et la machinerie utilisés, les costumes et les accessoires, la mise en scène, la gestion des théâtres et, bien sûr, les artistes (poètes, acteurs, musiciens). 

Cette Antiquité - je devrais y replonger dans les prochains mois avec le Théâtre 100 Masques - reste mythique parce qu'elle pose, de façon magistrale, les jalons de tout le théâtre occidental tout en laissant, derrière elle, des chefs-d'oeuvres, qu'ils soient écrits (bien qu'ils ne soient le fait que de trois auteurs tragiques et deux auteurs comiques pour tout ce qui en reste) ou construits.

jeudi 6 août 2020

Une anecdote piquante!

Je lis présentement, des biographies de grands artistes du théâtre d'ici. Et celle qui m'occupe précisément: Jean-Louis Millette. Enfin... il s'agit plutôt d'entretiens de l'acteur (le fantôme du Petit Théâtre de l'UQAC, lieu où il a donné sa dernière représentation!) avec Daniel Pinard qui ont été publiés en 2000 (sous le titre Portrait d'un comédien), quelques mois à peine après son décès.
Parmi ses confidences, on y retrouve cette truculente anecdote, qui met en scène deux grandes dames, elles aussi disparues: La Poune et Andrée Lachapelle:

Moi-même, plus tard, j'ai travaillé au Théâtre des Variétés et Mme Ouellette [La Poune] y jouait. Je suis allé voir comment ça se passait. Je décide d'aller la visiter en coulisses, ne serait-ce que par respect et courtoisie. Elle me dit: «Mon ti-chien, ça va bien?  Veux-tu travailler avec moi l'été prochain? On va faire du théâtre d'été. J'ai sorti un vieux bit [un bit, c'est en quelque sorte un canevas]. C'est bien bon! Ça s'appelle La noune me pique!» Je suis resté un peu perplexe...

Je ne dis ni oui ni non. Je raconte ça à des amis et ils trouvent mon aventure très drôle. C'est parvenu aux oreilles d'Andrée Lachapelle et elle m'a joué un coup pendable! On se trouvait à une première, dans le hall d'un théâtre. Andrée est là, raffinée, élégante, avec ses fourrures. Alors, j'entends une voix et je me retourne. C'est Andrée qui me crie: «Jean-Louis, j'ai tellement hâte d'aller te voir l'été prochain dans La noune me pique!» Évidemment, tous les gens se sont retournés. C'est une des fois où j'ai le plus rougi de toute ma vie.

Cette anecdote, plusieurs la racontent! Et plusieurs en rient. Eh bien, cette pièce a bel et bien pris la scène, ainsi que l'atteste cette parution dans Télé-radiomonde, du 8 avril 1972 qui permet d'en apprendre un peu plus: