La comédienne Rachel (Rachel Félix), gravure d'après C.L. Müller, 1905
Le groupie que je suis devant son monument au Père-Lachaise, Paris, novembre 2011
De tous les grands monstres sacrés du théâtre français du XIXième siècle (ce qui me rappelle qu'un même devoir de mémoire devrait agir pour le champ dramatique saguenéen!), Rachel est sans conteste l'un des plus fascinants (et elle a déjà fait l'objet d'un billet sur ce blogue, le 20 octobre 2011). Elle n'a pas la théâtralité de Sarah Bernhardt. Elle n'a pas la beauté de Julia Bartet. Elle n'a pas la puissance outrancière des Mounet-Sully et des Frédérick Lemaître... Non. Et c'est là tout son intérêt... aux dires de ses contemporains qui ont chanté ses louanges.
Comme Jules Janin, un critique dramatique français, le 20 août 1838, dans Les Débats: Quelle chose étrange! Une petite fille ignorante, sans art, sans apprêt, qui tombe au milieu de la vieille tragédie! Elle la ranime en soufflant vigoureusement sur ces augustes cendres. Elle en fait jaillir la flamme et la vie. Oui, cela est admirable et notez bien que cette enfant est petite, assez laide; une poitrine étroite, l'ait vulgaire et la parole triviale. [...] Ne lui demandez pas ce que c'est que Tancrède, Horace, Hermione, la guerre de Troie, Pyrrhus, Hélène. Elle n'en sait rien. Elle ne sait rien. Mais elle a mieux que la science: elle a cette lueur soudaine qu'elle jette autour d'elle. À peine sur le théâtre, elle grandit de dix coudées, elle a la taille des héros d'Homère, sa tête se hausse et sa poitrine s'étend, son oeil s'anime, son pied tient à la terre en souverain, son geste est comme un son venu de l'âme, as parole vibre au loin toute remplis des passions de son coeur. Elle marche ainsi dans le drame de Corneille sans hésiter, semant autour d'elle l'épouvante et l'effroi.
Paul de Saint-Victor , un autre critique dramatique de la même époque, en rajoute: La beauté classique si longtemps méconnue et défigurée s'était incarnée dans cette enfant d'élection. Ce n'était pas seulement Corneille et Racine, c'était Eschyle et Sophocle qu'elle faisait revivre. [...] Le vers résonnait sous cette voix mordante, qui frappait l'alexandrin à l'effigie des médailles. Quelle attention profonde, quel calme dominateur! Quelle vie rapide circulant à travers les silences, les mouvements, les regards et l'air même! Quelle façon souveraine d'entrer, de s'asseoir, d’interpeller, de sourire! À quelle dignité plastique elle élevait et maintenait les plus violentes passions de ses rôles!
Ce dernier point plastique sera relaté par un autre influent critique dramatique qui sera connu surtout pour ses romans: Théophile Gautier. Mademoiselle Rachel, sans avoir de connaissances ni de goûts plastiques, possédait instinctivement un sentiment profond de la statuaire. Ses poses, ses attitudes, ses gestes s'arrangeaient naturellement d'une façon sculpturale et se décomposaient en une suite de bas-reliefs. les draperies se plissaient, comme fripées par la main de Phidias, sur son corps long, élégant et souple. Aucun mouvement moderne ne troublait l'harmonie et le rythme de sa démarche; elle était née antique, et sa chair pâle semblait faite avec du marbre grec... Seule elle fait vivre pendant dix-huit ans une forme morte, non pas en la rajeunissant comme on pourrait le croire, mais en la rendant antique de surannée qu'elle était peut-être; sa voix grave, profonde, vibrante, ménagère d'éclats et de cris, allait bien avec son jeu contenu d'une tranquillité souveraine. Elle fut simple, belle, grande et mâle comme l'art grec qu'elle représentait à travers la tragédie française.
J'admire ces descriptions imagées de ces grands acteurs. Peut-être ne donnent-ils pas l'exacte mesure de leur jeu et tous les codes de l'époque... mais elles ont la qualité de faire rêver. Qui se souviendront de acteurs d'aujourd'hui à partir de ce qu'on en écrit (ou photographie, ou filme)?