dimanche 2 juin 2013

«Circulaire de Mgr. L'Évêque de Montréal contre le théâtre»

Quelle belle occasion que le dimanche pour retourner en-arrière et constater comment le théâtre a longtemps été marqué du sceau de l'infamie. Dans cette catégorie, j'ai relevé les nombreux discours des Pères de l'Églises et autres prédicateurs (ici)... mais voici qu'aujourd'hui, je reviens de ce côté de l'Atlantique pour présenter de larges extraits (parce que je trouve son expressivité et sa démagogie fort intéressantes!) de cette Circulaire de Mgr L'Évêque de Montréal contre le théâtre (publiée par Monseigneur Ignace Bourget, non pas au Moyen Âge... mais bien le 29 août 1868 à la suite d'une grande tournée d'artistes européens comme toutes celles qui faisaient la vie culturelle de l'époque):



CIRCULAIRE DE MGR. L'ÉVÊQUE DE MONTRÉAL CONTRE LE THÉÂTRE.



Nos Très-chers Frères,

Les journaux de cette ville nous apprennent l'arrivée prochaine d'une troupe d'acteurs étrangers, et nous font en même temps connaître la nature des pièces qu'ils doivent représenter ici comme en France, en Angleterre et aux États-Unis.

Cette nouvelle a de quoi nous affliger tous, N. T. C. F., et doit nous inspirer des craintes plus sérieuses que si l'on nous annonçait une nouvelle apparition du choléra ou du typhus ou de ces affreux tremblements de terre qui, dans ces derniers temps, ont causé tant de ravages, englouti en un instant des villes entières et répandu partout la consternation et la frayeur. Car, il s'agit d'une calamité plus redoutable que tous ces maux ensemble, de la peste qui empoisonne les cœurs et d'un scandale public qui démoralise les sociétés et attire sur le monde des fléaux épouvantables.

C'est donc pour nous, N. T. C. F., un devoir impérieux d'élever la voix pour vous avertir que les pièces qui doivent être représentées, dans ce théâtre et par cette troupe de Comédiens venus de l'étranger, sont d'une immoralité révoltante, et qu'il n'y a vraiment que des cœurs tout-à-fait dépravés qui puissent n'y pas trouver de mal. Car, tout y est calculé pour opérer sur tous les sens des impressions sensuelles et charnelles. Les gestes des acteurs sont, on ne peut plus, immodestes; leurs discours, leurs paroles, leurs chants, en blessant les oreilles tant soit peu chastes, excitent les passions les plus honteuses, avec une malice vraiment infernale.


Nous pouvons donc et nous devons vous dire, N. T. C. F., avec St. Pierre Chrysologue, dans une occasion toute semblable, que c'est vouloir s'amuser avec les démons que de se permettre de tels divertissements; et que c'est par conséquent renoncer au bonheur que promet Jésus-Christ à ses vrais serviteurs que de se livrer à ces joies profanes et criminelles. [...] Comment qualifier la conduite de ceux qui iraient se ranger au pied d'un théâtre, qui est l'école du vice le plus détestable aux yeux même des honnêtes païens et des protestants qui se respectent?


Le temps et l'espace ne nous permettent pas de citer beaucoup d'autres autorités et de les confirmer par des exemples éclatants. Qu'il nous suffise de vous rapporter ici un fait terrible, que nous lisons dans un ouvrage de St. Alphonse de Liguori, un des plus célèbres écrivains du dernier siècle. Pour prouver à ses lecteurs les dangers du spectacle, il raconte que, dans une des villes d'Italie où il y avait un célèbre pèlerinage à l'honneur de la Bienheureuse Vierge, il se trouvait malheureusement un grand théâtre à côté du sanctuaire de Marie. Or, un jour qu'une foule insensée encombrait ce lieu de plaisirs mondains, le feu éclata tout à coup et avec tant de violence que tous ceux qui assistaient au spectacle furent consumés par les flammes. Un seul échappa, et il assure avoir vu la sainte Vierge, une torche ardente à la main, mettant elle-même le feu à un édifice où il se commettait tant et de si grands crimes, en face du temple où elle avait établi son séjour, pour exercer ses miséricordes en faveur de ses enfants.


Or, notre ville n'est-elle pas toute entière consacrée à l'honneur de l'auguste Mère de Dieu? [...] Or, n'est-il pas à croire qu'elle ne souffrira pas que sa ville chérie soit exposée aux scandales et aux immoralités du théâtre ? Vous vous souvenez sans doute comment fut dévoré par les flammes le théâtre qui avait été élevé à côté de N. D. de Bonsecours.


Nous l'espérons, N. T. C. F., et nous demandons, avec d'instantes prières, que cette bonne et tendre Mère éloigne de nous toutes les causes qui pourraient nous attirer la colère du Ciel; et qu'elle fasse pour cette ville ce qu'elle fit pour celle d'Amalphi. St. Alphonse, dont Nous venons de vous parler, y avait donné une grande retraite avec des fruits merveilleux. A la clôture de cette belle mission, il dit au peuple, après l'avoir béni: Veillez sur vous-mêmes, mes frères; après notre départ il tombera de la montagne un démon qui vous exposera au malheur d'oublier toutes vos résolutions, et vous attirera le châtiment d'un tremblement de terre. En effet, le lendemain, lorsque les missionnaires étaient déjà partis, on vit descendre ce démon : c'était un buffle qu'on avait lancé pour donner au peuple le spectacle d'un jeu profane. Mais, à peine cet animal est-il arrivé sur la principale place que toute la ville est ébranlée par un affreux tremblement de terre. Aussitôt le jeu cesse, le peuple effrayé se rend à l'Eglise où l'Archevêque monte en chaire pour annoncer la pénitence et rappeler aux habitants les promesses qu'ils avaient faites durant la mission.


Le Prélat parlait encore, lorsqu'une secousse beaucoup plus violente ébranla horriblement l'Eglise et renversa les chandeliers et tous les objets qui se trouvaient sur le Maître-Autel. On sortit incessamment avec l'Archevêque qui, continuant à prêcher sur la place publique, parla en ces termes de la menace prophétique: L'homme de Dieu, dit-il, nous avait prédit ce grand châtiment, si parmi nous il s'en trouvait qui ne voulussent point se convertir. Prions, mes frères, pour ces pécheurs endurcis, et daigne le Dieu des miséricordes toucher leurs cœurs!

C'est ce que nous allons faire tous ensemble, N. T. C. F., pour empêcher que Dieu ne soit si horriblement offensé, comme il le serait incontestablement, si le théâtre qui doit s'ouvrir était malheureusement fréquenté par nos Catholiques. Pour notre ville, l'Opéra Bouffe est ce qu'était pour Amalphi le buffle qui, en jetant le peuple dans la dissipation d'un plaisir profane, faillit causer sa ruine.

A cette fin, nous réglons ce qui suit, pour qu'il y ait dans les différentes Eglises de cette cité et de sa banlieue, des exercices communs; afin que les pieux fidèles puissent s'unir facilement à leurs pasteurs, pour obtenir de la divine bonté que le théâtre ne soit pas fréquenté, et qu'ainsi Dieu ne soit point offensé.

L'on fera, dans chaque Église ou Chapelle, la neuvaine préparatoire à la fête de la Nativité de la Sainte-Vierge, qui commence le trente Août et se termine le sept Septembre. Nous accordons le salut solennel et la Bénédiction du St. Sacrement. On y chantera entr'autres l'invocation Maria Refugium peccatorum, etc., répétée trois fois, avec l'Oraison Deus, in cujus passione, etc., et le Parce Domine populo tuo, répété trois fois avec l'Oraison Omnipotene sempiterne Deus, qui vivorium dominaris, etc. On y fera aussi une amende honorable avant le Tantum ergo,etc. Les prières de la Neuvaine se feront aussitôt que l'on aura fait l'exposition du St. Sacrement, en la manière ordinaire. Il y a 300 jours d'indulgence à gagner, chaque jour de la Neuvaine, et une indulgence plénière, aux conditions requises, à la fête de la Nativité ou un des jours de l'Octave. Cet exercice serait convenablement placé vers les 7 heures du soir, pour favoriser le concours des bonnes âmes à l'heure à peu près où l'on se rend au théâtre, afin que pour eux les chants sacrés et les prières ferventes remplacent les chants lassifs et les paroles dissolues qui attirent les mondains au spectacle. Cette Neuvaine sera d'ailleurs une préparation à la fête du Saint Nom de Marie.

Ce sera, N. T. C. F., en faisant, avec ferveur, ces pieux exercices, que nous obtiendrons les lumières intérieures qui nous sont si nécessaires, pour mieux comprendre nos vrais intérêts pour ce monde et pour l'autre. N'est-il pas en effet visible qu'il se fait des dépenses extraordinaires au théâtre pour le luxe, la toilette et autres objets de vanité et de curiosité, qui finissent par être des causes de ruine et de renversement de fortune? Les sommes énormes qui y sont englouties n'occasionnent-elles pas dans beaucoup de familles, des souffrances qui en bannissent le bonheur et la paix? Ce que l'on donne à des acteurs, qui démoralisent les grandes villes et les pays entiers, n'est-il pas enlevé au pauvre infirme, à l'enfant abandonné, au vieillard décrépit, à la veuve et à l'orphelin? Mais les cris que poussent vers le ciel ces membres souffrants de Jésus-Christ, leurs souffrances et leurs gémissements ne font-ils pas nécessairement tomber, sur ceux qui se livrent, à leurs dépens, à des plaisirs criminels, des anathèmes qui se font sentir sur les enfants et les petits enfants, jusqu'à la dernière génération? Si l'on employait à doter et à soutenir nos établissements de charité et à en créer d'autres, à mesure que le besoin s'en fait sentir, les grosses et énormes sommes que viennent chercher des acteurs et des comédiens, n'en serait-on pas plus béni du Ciel et plus heureux sur la terre?

Tels sont, N. T. C. F., les avis charitables que Nous avions à vous adresser, pour prévenir, s'il est possible, l'invasion de l'immoralité des théâtres, dont notre ville est menacée. La glorieuse Vierge Marie, notre tendre Mère, notre puissante Patronne à tous, au nom de laquelle nous vous les donnons, nous secourra dans ce danger imminent, et nous obtiendra la fidélité, la force et la docilité qui nous sont si nécessaire», pour opérer notre salut avec crainte et tremblement. C'est à ses pieds sacrés que Nous déposons cette Lettre avant de vous l'envoyer; c'est par son cœur compatissant que Nous la faisons passer, afin qu'elle daigne, en la bénissant, lui faire produire des fruits de salut. Toutes les vierges innocentes et pures lèveront leurs mains suppliantes vers son trône, afin d'implorer son assistance dans ces jours mauvais.

Cette Circulaire sera lue au prône de toutes les Eglises de la ville et de la banlieue où se fait l'Office public, et au chapitre de toutes les communautés, et commentée au besoin. Nous vous bénissons tous, N. T. C. F., au nom de Notre Seigneur et de son Immaculée Mère, qui, ayant écrasé la tête du serpent infernal, au premier moment de sa conception pure et sans tache, voudra bien aussi nous préserver du venin infect qu'il cherche à répandre dans notre heureuse et paisible société.

IG., ÉV. DE MONTKÉAL.

Montréal, le 29 août 1868.