dimanche 31 décembre 2023

Sur nos scènes (et dans le milieu) en 2023


Une année presque normale... même si la COVID s'est invitée dans quelques distributions au cours de l'année, bousculant quelques calendriers de répétitions. Mais ce n'est rien quand nous comparons avec les années antérieures. 

Voici donc quelques événements qui se sont produits au cours de la dernière année dans notre petit monde théâtral:

Le 17 janvier - c'est un peu narcissique mais je l'assume! - est paru mon premier bouquin, Les Mains anonymes suivi de Empire, publié aux Éditions Somme Toute.

Le 4 février, tombait le rideau de La Fiancée Juive, ultime production des Têtes Heureuses... et du coup, cette tombée de rideau signifiait la fin de cette compagnie de théâtre qui a apporté - par les actions combinées d'Hélène Bergeron et Rodrigue Villeneuve - une importante contribution à tout notre milieu.

Le 14 février, le député de Jonquière, Yannick Gagnon, a remis sa première Médaille de l'Assemblée Nationale à Guylaine Rivard pour l'ensemble de son oeuvre. 

Le 16 mars, les directions des compagnies saguenéennes se sont réunies avec l'archiviste de l'UQAC pour mettre en place, au sein de l'institution, un Fonds d'archives pour le théâtre professionnel régional. (L'intention y est mais l'action reste à enclencher!)

Le 18 avril, le Théâtre Les-Uns-Formels, fondé par Maxim St-Pierre «pour rendre le théâtre accessible à tous», donne sa première représentation.

Le 31 mai,  l'UQAC rapporte que Jean-Paul Quéinnec se voit octroyer une subvention de 170 000$ du FQRSC, pour soutenir, pendant trois ans, sa recherche Écritures du vivant en co-paysage pour l’exploration d’une scène écologique intitulé.

Le 3 juin, Dany Lefrançois (de La Tortue Noire) et Lison Vézina (fondatrice du Frou-Frou) sont intronisés à l'Ordre du Bleuet. 

Le 10 juin, la FQTA tient, à Sherbrooke, la 16e édition du Gala des Arlequins (qui récompense les artisans du théâtre amateur québécois) où s'y démarque la production Ta maison brûle du Théâtre Mic Mac (Meilleure production Comédie dramatique 2023) et où le prix remis (une oeuvre graphique) a été réalisé par Christian Roberge. 

Le 12 juin, Eugénie Capel et Marilou Guay Deschênes annoncent la création du collectif Baba Yaga destiné à explorer diverses pistes de création en arts vivants, au cours de cercle de laboratoires (une première cohorte de huit artistes se mettra en place en août).

Le 13 juin, le Théâtre À Bout Portant dévoile, sur les réseaux sociaux, son nouveau logo, une réalisation de Patrick Simard. 

Le 30 août, les médias régionaux font état de difficultés financières au sein de l'École Nationale d'Apprentissage par la marionnette (ENAM) qui mettent sérieusement en cause sa viabilité et la poursuite de sa mission (à la fin de l'année, les choses se sont rétablies).

Le 4 octobre, La Tortue Noire annonce, sur ses réseaux sociaux, que sa marionnette L'Autre s'est vue décerner le Prix Initiative de l'AVIAMA (à l'international) qui «récompense une action novatrice qui contribue à mettre en valeur les arts de la marionnettes et à encourager leur reconnaissance par un large public». 

(C'est hors région, mais quand même fort important: le 5 octobre, le Prix nobel de littérature est remis au dramaturge Jon Fosse.)

Le 28 octobre, Marie-Pierre Fleury annonce son départ du Théâtre Les Amis de Chiffon après huit ans à la direction générale et artistique de la compagnie.

Le 9 décembre, il sera annoncé que c'est moi qui lui succédera!

Décès qui ont affecté le monde du théâtre: Michel Côté, Pierre Collin, Lyette Goyette, Georges Banu, Viola Léger, Jorge Lavelli.

Encore une fois, il se peut que j'oublie des trucs importants... en quel cas il est possible des les ajouter via les commentaires! 

samedi 30 décembre 2023

Sur nos scènes, en 2023!


2023 tire à sa fin et quand nous regardons par-dessus notre épaule, nous pouvons voir, dans son sillage, de nombreuses représentations qui auront su se frayer un chemin dans une offre culturelle toujours plus dense: elles seront, si je compte bien, plus de 275 en au moins 40 productions recensées! Notre milieu théâtral régional est, à n'en pas douter, fort actif! 

Voici donc la liste (le plus en ordre chronologique possible) de ces productions et activités théâtrales qui se sont tenues cette année sur le territoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il se peut, bien entendu, qu'il me manque des informations. On pourra les rajouter en commentaire.

Pour marquer d'un simple regard les différentes catégories qui émaillent cette liste, je propose donc cette petite légende: les productions professionnelles (par les compagnies/artistes), les recherches (avec présentations publiques) et autres événements professionnels à caractère théâtral, les productions de loisirs d'importance (par des troupes récurrentes) et autres événements de loisirs à caractère théâtral, les productions académiques universitaires.

Dans cette liste, je ne considère que les trucs faits ici, par les organismes et artistes d'ici et non pas les spectacles des grandes centres en tournées (donc le théâtre présenté chez nos diffuseurs). 
 
Les Mains anonymes
troisième version, par le Théâtre 100 Masques;

La fiancée juive, par les Têtes Heureuses;

Baluchon en reprise, par le Théâtre Les Amis de Chiffon;

Ribambelle marionnettes - spécial hivernal en reprise, par le Théâtre Les Amis de Chiffon;

La Migration des Peuples en reprise, par le Théâtre À Bout Portant;

La faute à Eve, par Marilou Guay-Deschênes (projet de fin de bacc.), UQAC; 

Le petit cercle de craie en reprise, par La Tortue Noire;

Arlequin, valet de deux maîtres, par le Théâtre des 4 Planches;

Lecture publique - Un voyage à travers 25 ans de créations, par le Théâtre CRI;

Tu te souviendras de moi, par le Théâtre Mic Mac

Mauvais casting, par la troupe L'Orange bleue (Cégep de Jonquière);

Tarte aux pommes, par la troupe Les Mal Avenants (Cégep de Chicoutimi);

La théorie de l'échec, par le Théâtre Les-Uns-Formels

Tragôdos, pour le cours Production théâtrale, UQAC;

Dix cordes, discorde, par la TÉTU (Troupe Étudiante de Théâtre de l'UQAC);

Brussels 2.0, par Marie Gaelle Verspecht (projet de fin de maîtrise), UQAC; 

Double assassinat dan la remorque en reprise, par le Théâtre du Faux Coffre;

Couples, par la Troupe du Vieux Couvent de St-Prime

Laboratoire sur le rituel, par le Théâtre CRI

Sortie de secours, par le Théâtre À Bout Portant

Théâtre d'épouvante - soirée grandguignolesque, par le Théâtre 100 Masques;

L'Autre dans la cité, par La Tortue Noire;

La Fabuleuse histoire d'un Royaume, par Diffusion Saguenay;

La Grand' Mariée, par Mylène Leboeuf-Gagné;

Repas de famille, par la Troupe Les Zanimés;

Amour et choc temporel, par La Route des Légendes;

Sous les feux de la rampe, par La Route des Légendes;

Pétoche et Ouananiche, par La Route des Légendes;

Rock'n roll et mélodrame, par La Route des Légendes;

Histoires d'un soir
, par le Théâtre des 4 planches;

Arlequin, valet de deux maîtres en reprise, par le Théâtre des 4 planches;

Laboratoire - Multiplicité des Voix, Corps, Alliés: la puissance du choeur, par Sophie Bouchard Tremblay, collectif Baba Yaga

Itinérance en reprise, par Guylaine Rivard/Théâtre CRI dans le cadre du FIAMS;

Strict minimum en reprise, par le Théâtre À Bout Portant dans le cadre du FIAMS;

Pantition, par Mylène Leboeuf-Gagné dans le cadre du FIAMS;

Un gamin au jardin en reprise, par La Tortue Noire dans le cadre du FIAMS;

Ribambelle marionnettes - spécial estival en reprise, par le Théâtre Les Amis de Chiffon dans le cadre du FIAMS;

La Bombe, en développement, par Bruno Paradis/Anick Martel;

Moire, par Eugénie Capel/Théâtre CRI;

Le Parc DESillusions, par le Théâtre Mic Mac;

Laboratoire - De l'écran à la scène, par Marilou Guay Deschesnes, collectif Baba Yaga

Laboratoire - Arts visuels et codes théâtraux, par Joëlle Gobeil, collectif Baba Yaga

Le vieil homme et la merde, par le Théâtre du Faux Coffre

ILoveU, par le Théâtre du Mortier

Moire, par Eugénie Capel/Théâtre CRI;

Laboratoire - Le son dans son corps, par William Pedneault, collectif Baba Yaga

Ç't'encore Noël, par le Théâtre 100 Masques

Île à Dumais, par Étienne Genest (projet de fin de maîtrise), UQAC; 

Baluchon en reprise, par le Théâtre Les Amis de Chiffon.

Puis il y a eu des sorties extra-régionales pour nombre de productions d'ici: Le Petit cercle de craie, Kiwi, Ogre, Ainsi passe la chair (dont une version en espagnole) pour La Tortue Noire, Strict Minimum, Sortie de secours et La Migration des peuples du Théâtre À Bout Portant, Baluchon du Théâtre Les Amis de Chiffon et  Anthropophagique de Jean-Paul Quéinnec dans le cadre du Jamais Lu Mobile. 

À cette liste pourraient s'ajouter toutes les soirées faites par l'Imprévu Improvisation et toute la recherche du collectif pour la Dramaturgie sonore qui se déploie sur plusieurs mois et plusieurs endroits.

Pourraient s'ajouter aussi toutes les sessions de formations et ateliers tenues au cours de l'année par les différentes compagnies; tous les laboratoires et répétitions mis en place pour de prochaines productions; toutes les lectures publiques; tous les spectacles faits dans des cadres académiques (niveaux primaire, secondaire, collégial); tous les spectacles reçus en tournée, venus des grands centres (le fait des diffuseurs un peu partout sur le territoire).

Encore une fois, il se peut que j'oublie des trucs. En quel cas, on me le fera savoir et je pourrai les rajouter! 

vendredi 29 décembre 2023

Dubé après Shakespeare!

 

Après quelques jours passés dans l'univers du théâtre élisabéthain, voici que je plonge quelques siècles plus tard (ce sont ces écarts - et ces rapprochements! - qui me séduisent le plus dans le grand répertoire  qui compose mon champ de pratique!) dans le monde de Marcel Dubé, avec cette nouvelle biographie de Serge Bergeron, Marcel Dubé - Écrire pour être parlé, paru il y a quelques semaines chez Léméac

Une biographie que j'avais bien hâte de lire... parce que je dois le confesser: de Marcel Dubé, je ne connais finalement bien peu de choses sinon ses œuvres principales (Au retour des oies blanches, Zone ou Un simple soldat) que j'ai dû lire, comme plusieurs de mon âge, sur les bancs du Cégep ou de l'Université... ce qui n'est pas vraiment le meilleur contexte pour l'apprécier, d'autant que son écriture est quand même marquée par son époque qui n'est plus la mienne.

Car c'est aussi cet encombrant cliché - répertoire vieillot et daté - qui m'a toujours un peu tenu loin de ce monumental et prolifique auteur, pilier incontournable de notre dramaturgie québécoise, mais malencontreusement artiste méconnu et , en un certain sens, oublié (lui qui n'est décédé qu'en 2016) par les générations suivantes. 

Cette biographie sera donc une lecture de réhabilitation. 

C'est donc avec bien du retard - honte à moi! - que je pars à la découverte de celui dont les textes ont fait vibrer les spectateurs et les téléspectateurs durant plusieurs décennies... de celui qui a tendu, en son temps, un miroir sans fard à une société québécoise en (dé)construction! Et c'est précisément pour ce dernier point que ses pièces resteront essentielles à notre histoire dramatique. 

Pour accompagner (ou remplacer) cette lecture, il y a cette série, Mémoires: Marcel Dubé raconte, en 18 épisodes de trente minutes, produite en 1989 par Radio-Canada (et toujours disponible sur OhDio).

jeudi 28 décembre 2023

Le théâtre élizabéthain comme un théâtre d'acteurs

Photo de John Tramper, prise .

Je suis encore en pleine période élizabéthaine... mais pour combien de temps encore? Lecture du temps des Fêtes oblige! Je passerai bientôt à autre chose car voilà que je viens de terminer ce bouquin fort intéressant: Le Théâtre du Monde de Frances A. Yates, publié chez Allia en 2019 (en fait, c'est une réédition d'un ouvrage paru une première fois en 1969) qui a fait l'objet de quelques billets depuis les derniers jours.

Intéressant parce que le théâtre du temps de Shakespeare, tant dans sa forme architecturale que dans sa forme dramaturgique, est fascinant... parce que tellement éloigné tout en étant presque familier... parce qu'étant unique dans sa conception (conception qui n'est qu'interprétée aujourd'hui puisqu'aucun bâtiment - de bois et de chaume bien inflammables! - ne nous soit parvenu directement) tout en étant parfaitement clair dans ses conventions.

Mais bref, en voici un autre passage (p. 178):

Les grands théâtres publics en bois construits à Londres [note de moi-même: entendre ici principalement les théâtres échafaudés entre 1576 et 1615 comme le Globe, le Rose, le Cygne, etc.] n'utilisaient pas de scènes en perspective: cette absence au moins est une certitude. Dans ces théâtres, le changement de décor étaient simplement indiqué par le déplacement des acteurs d'un point à l'autre de la scène. Peut-être ces différents points étaient-ils identifiés par des éléments décoratifs mobiles; mais quoi qu'il en soit, les moyens techniques employés pour indiquer différents lieux n'avaient rien de classique. C'est peut-être cet aspect des théâtres publics qui a contribué à empêcher qu'on y décèle la moindre influence classique. Mais il ne faut pas oublier ce qui était tout de même leur aspect le plus remarquable: c'étaient des théâtres d'acteurs, où les effets reposaient entièrement sur les acteurs, avec peu ou pas de moyens visuels. Dans les théâtres publics de Londres, c'est la voix des acteurs qui comptait; tout l'attrait de la représentation reposait sur les paroles qu'ils proféraient, qui devaient être clairement entendues. Depuis la grande scène, la voix des comédiens atteignait les oreilles des spectateurs installés tout autour d'eux, dans la cour et dans les galeries. «Prêtez-moi l'oreille» s'écrie Marc-Antoine dans Jules César. Le type de théâtre pour lequel écrivait Shakespeare était un théâtre d'abord fait pour l'ouïe, propre à véhiculer un grand drame poétique, une vaste caisse de résonance où rien ne devait empêcher les paroles prononcées sur la scène d'atteindre les moindres recoins du théâtre. 

Encore une fois, la thèse défendue ici est que cette architecture - qui ne s'est malheureusement pas imposée dans l'histoire théâtrale - est directement inspirée du théâtre antique et en est, d'une certaine façon, l'une des meilleurs réinterprétation. Une thèse bien intrigante et, à la lecture, bien cohérente qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion.

Pour ceux qui passerez par Londres prochainement, mettez une visite au Globe (une convaincante reconstitution telle que le montre la photo de ce billet) à votre programme pour vivre ce dont il est question ici! J'ai eu cette chance en 2019 et c'est fabuleusement bluffant.

mercredi 27 décembre 2023

Juste du petit fiel contre Sarah Bernhardt

Dans ce Québec du début du XXe siècle, parmi les journaux moralistes les plus contempteurs de Sarah Bernhardt (les archives de BaNQ sont remplies de pièces d'anthologie qui suintent la mauvaise foi et la méchanceté pas toujours exempte d'antisémitisme quand elles parlent d'elle), il y a le sympathique hebdomadaire La Vérité... un journal moraliste dont la charité chrétienne s'abat sur l'actrice à chacun de ses passages canadiens. 

En 1914, la Divine annonce une grande tournée d'adieu (mais en fera une autre en 1917). Dès lors, le papier y va, dès que l'occasion se présente, de petits entrefilets bien sentis: 

Comme en ce18 avril 1914...


... ou celui-ci du 25 septembre 1915...


... ou celui-là du 14 octobre 1916...


Ce dernier petit encadré fait référence aux différentes annonces et réclames, à coup de superlatifs, publiées dans les autres journaux, comme celle-ci, dans La Presse, quelques jours auparavant (3 octobre 1916):

mardi 26 décembre 2023

Le premier théâtre en Angleterre

Le premier théâtre construit en Angleterre - qui caractériserait cette architecture propre au théâtre élizabéthain dont on peut voir une reconstitution ici - date de 1576 et est le fait d'un menuisier, charpentier et comédien (!), James Burbage:


Son théâtre, The Theatre, premier édifice spécifiquement dédié aux représentations théâtrales a dû, pour de nombreuses raison, être déplacé de l'autre côté de la Tamise et les matériaux ont servi à élaborer un autre théâtre, The Globe, qui tirerait sa célébrité du fait qu'un célèbre auteur-acteur y œuvrerait: William Shakespeare. 

Mais là n'est pas mon sujet. Voici plutôt ce qu'on a dit de Burbage dans le bouquin Le Théâtre du Monde de Frances A. Yates (p.140-141) qui tend, par ailleurs, à démontrer que ces constructions ont été inspirées par Vitruve (par le biais de Jonh Dee et Robert Fludd, savants du XVIIe siècle) et, du coup, par les constructions de l'Antiquité:

[...] Le Théâtre de Burbage se signale comme une entreprise d'une extrême originalité. C'était l'œuvre d'un homme issu de la classe des artisans et non pas d'un architecte érudit ayant parfait sa culture au sein de quelque académie. Ce théâtre n'était pas financé par un prince, ou par un personnage important; chaque penny investi dans sa construction avait dû être levé par Burbage lui-même. Il était conçu pour être financièrement autonome, et pour fournir une source de revenus à ses acteurs-propriétaires: grande différence avec les théâtres savants d'Italie [note de moi-même: une référence ici au Teatro Olympico dessiné en 1580 par Andrea Palladio, l'architecte en chef de la Renaissance!], financés par des princes et conçus pour le divertissement d'une élite restreinte. C'était un théâtre populaire, destiné à un public populaire et nombreux, et qui devait couvrir ses coûts de fonctionnement par ses recettes propres. C'était en somme le premier vrai théâtre moderne, probablement au monde, en tout cas en Angleterre. 

Burbage avait fait un bon calcul. Son coup d'audace rencontra une attente du public, et les spectateurs se pressèrent pour voir les pièces données dans cet édifice où, pour la première fois, des acteurs pouvaient jouer dans un lieu conçu spécialement pour le jeu dramatique, et non, comme c'était le cas jusqu'alors, dans quelque installation temporaire ménagée dans le hall d'une vaste demeure, dans une auberge, etc.

lundi 25 décembre 2023

De la sonorisation antique - suite

Les théâtres antiques - les romains plus précisément - étaient équipés d'outils pour améliorer leur acoustique: des vases d'airain.

Image tiré de ce document

J'ai ai déjà parlé ici, en 2010.

Voici une autre traduction plus explicite (prise ici) du même Vitruve:

Il faudra faire, selon les proportions mathématiques, des vases d’airain qui soient en rapport avec l’étendue du théâtre ; leur grandeur doit être telle que, venant à être frappés, ils rendent des sons qui répondent entre eux à la quarte, à la quinte et aux autres consonances, jusqu’à la double octave. 

Ensuite, ils devront être placés, d’après les règles établies pour la musique, dans des niches pratiquées entre les sièges du théâtre, de manière qu’ils ne touchent pas le mur, et qu’ils aient un espace vide tout autour et par dessus. Ils seront renversés et soutenus du côté qui regarde la scène par des coins d’un demi-pied de hauteur au moins; ces niches auront aux flancs des assises qui forment les degrés inférieurs, des ouvertures longues de deux pieds et hautes d’un demi-pied. 

[...] Grâce à cette disposition, la voix, partant de la scène comme d’un centre, s’étendra en rond, viendra frapper les cavités de chaque vase, et prendra plus de force et de clarté, selon la consonance que son degré d’élévation aura avec le vase qui y correspondra. 

[...] On dira peut-être qu’il se fait tous les ans à Rome bon nombre de théâtres, sans qu’on tienne compte de ces règles : ce serait une erreur ; tous les théâtres publics sont de bois avec plusieurs planches qui résonnent nécessairement. Qu’on examine les musiciens ; ont-ils à faire entendre des sons élevés ? Ils se tournent vers les portes de la scène dont le retentissement vient aider leur voix. Mais lorsqu’on bâtit un théâtre avec des moellons, des pierres de taille, du marbre, toutes matières solides qui ne peuvent résonner, c’est alors qu’il en faut faire l’application. 

(Extrait de M. VITUNIUS POLLIO, L’architecture de Vitruve, traduction de DE BIOUL, Livre V §V, 1816)

Je suis entrain de lire un essai architecturo-théâtral consacré à John Dee imposant intellectuel anglais du XVIe siècle (et mathématicien, astronome, occultiste, alchimiste) qui a traduit Vitruve et qui fait référence à ce passage: 

De plus, les Vaisseaux d'airain...qui dans les Théâtres sont placés par raison mathématique, dans des chambrettes voutées, sous les degrés: ces Vaisseaux et leurs différents tons sont ordonnés conformément aux Symphonies et Harmonies musicales: étant disposés dans les gradins par Diatessaron, Diapente et Diapason. De façon à ce que, rencontrant ces objets apprêtés en bon ordre, la simple voix des acteurs sonne plus fort, et par cette résonance parvienne plus claire & douce aux oreilles des assistants. 

(Frances A. Yates, Le Théâtre du Monde, Allia, 1969, p.266)

vendredi 22 décembre 2023

Me revoici!

Depuis plusieurs années, je me partage entre la pratique (quand même constante) et la gestion culturelle... et cette dernière partie se fait au sein d'autres organismes qui demandent du temps... beaucoup de temps... à savoir la SALR (2014-2016), le Côté-Cour (2016-2023) et le Festival des musiques de création (2019-2023). À cela s'ajoutent également de nombreuses charges de cours à l'UQAC. 
Bref, les chapeaux sont nombreux. 

Et malgré tout, le théâtre reste omniprésent dans ma vie courante, que ce soit par la lecture (de revues, d'articles, d'essais, de pièces) ou l'écriture. Si ce n'était de la cuisine - autre dada - il prendrait toute la place. 

L'envie était donc forte - surtout au sortir de la pandémie et de la fatigue sanitaire - non pas d'y revenir (puisque je n'ai jamais arrêté) mais de m'y consacrer entièrement. Et les circonstances m'ont ouvert une porte.

Ainsi, dans les derniers jours, j'ai quitté et le Côté-Cour et le FMC puis j'ai donné mon dernier cours (mais ici, c'est une autre histoire sur laquelle je reviendrai subséquemment) pour prendre, à compter de janvier, la direction du Théâtre Les Amis de Chiffon! 

Finis les détours. Que du théâtre. Que de la pratique (enfin, bien sûr, par une gestion mais cette fois uniquement reliée à mon domaine professionnel). Entre le théâtre jeunesse (le TAC) et le théâtre de répertoire (le Théâtre 100 Masques). Retour également dans un lieu qui m'est cher malgré ses défauts: le Centre des arts et de la culture de Chicoutimi. 

Et avec aussi l'espoir de revenir ici, plus actif! Car ce blogue est aussi un témoin du temps dont je dispose et de mes occupations diverses! 

samedi 29 avril 2023

Quand la troupe du Grand Guignol débarquait au Québec

En 1923, la troupe du Grand Guignol, à Paris, s'embarque pour une tournée américaine qui la mènera à Montréal et Québec... et voici quelques articles qui relatent cette visite:

La Lyre, août 1923:



La Presse, 17 septembre 1923:


Le Droit, 1er octobre 1923 (qui se permet une comparaison politique!):


La Presse, 5 octobre 1923:


La Presse, 6 octobre 1923:


La Presse, 8 octobre 1923:


Le Soleil, 28 novembre 1923:


Le Soleil, 29 novembre 1923:


Le Soleil, 30 novembre 1923:


La Presse, 1er décembre 1923:


Le Soleil, 3 décembre 1923:


Le Canada, 12 décembre 1923:

jeudi 20 avril 2023

TRAGÔDOS - tragiques multiples...

 


Hier soir, j'étais dans la salle du Petit Théâtre de l'UQAC pour assister à la première (de trois) représentation des étudiants inscrits au cours Création théâtrale du Baccalauréat interdisciplinaire en art. 

Ils sont donc là. Vingt-cinq. De différents horizons (tant géographiques qu'académiques). Sur scène, oui... mais aussi en coulisses, à la régie technique. Avec une fougue manifeste et une dense matière tragique, puisée à même une vingtaine de sources - théâtrales ou non - de l'Antiquité à aujourd'hui. Cet exercice scolaire est du coup fort riche en écritures, en dramaturgies et en expériences de toutes sortes. 

Pendant une heure quarante minutes, différents tragiques se télescopent. Anecdotiques. Grandioses. Intimes. Sanglants. Mythologiques. Quotidiens. Profondément sensuels. De l'un à l'autre. Sans mise en contexte lourde ou démonstrative. Que des mots qui frappent, blessent, détruisent, immolent. 

Si aucune histoire en tant que telle n'émerge de ce magma intense, il n'en demeure pas moins un fulgurant récit rhapsodique, déchiré, proféré, gémissant sur la condition tragique de l'être humain. Les douleurs, les chagrins, les deuils, les mal-êtres existentiels sont omniprésents. Ils érodent une humanité qui se cherche des repères mouvants.

Et de cette horreur surgit une poésie visuelle. Parce que la force de ce projet - outre l'engagement incontournable de cette équipe - se trouve aussi dans la forme. Supportées par Jean-Paul Quéinnec, Alexandre Nadeau et Annie Pilote, les équipes technique et esthétique ont su composer des tableaux puissants. Lumières, projections, accessoires, musiques s'associent pour créer des ambiances et atmosphères qui sauront s'imposer sans jamais phagocyter le jeu. Les images scéniques se suivent avec un intérêt toujours renouvelé. L'équilibre demeure.

Bien sûr, tout n'est pas égal dans cette longue suite! Et pourtant...  Toutes les performances savent faire preuve de dévouement au théâtre. Elles sont solides et proposent des interprétations valables, véritablement incarnées.

L'une des belles belles propositions étudiantes des dernières années!

samedi 18 février 2023

La mise en scène... d'après Robert Wilson

 

«Je pense avec les yeux», dit le metteur en scène. En d'autre termes, il donne à voir ce qu'il voit d'abord en lui. Et ce qu'il voit imprime en retour une profonde unité visuelle à la scène, une vive tension aux forces qui la composent, palpitantes comme dans un champ d'énergie. Symétrie, équilibre plastique, ou bien rupture harmonique, dissonance et hétérogénéité: il joue des rapports entre les corps et les objets, entre les couleurs, les formes et les lumières, entre la surface et la profondeur, le fond et la figure, les lignes verticales et horizontales, la tentation du monumentalisme et le souci du détail qui intrigue. Expression d'une syntaxe visuelle fortement structurée, l'image crée l'espace.

C'est là, je trouve, une belle description de ce qu'est la mise en scène... de ce que sont ses enjeux esthétiques. Cette description se rapporte au travail du grand metteur en scène formaliste américain Robert Wilson (tirée de Robert Wilson - Le temps pour voir, l'espace pour écouter de Frédéric Maurin, paru en 2010 chez Actes-Sud).

vendredi 17 février 2023

Un problème de toujours...

Ah, le spectateur!

Élément essentiel au théâtre... mais parfois - pas souvent, mais quand ça arrive, on s'en souvient! - ô combien frustrant! Et la chose n'est pas nouvelle, si on en croit cet article publié dans le journal La Patrie, ce lundi 30 septembre 1912!


jeudi 16 février 2023

À la défense du théâtre

 


Il est si rare de trouver des déclarations pro-théâtre dans les vieux journaux que je ne pouvais pas passer à côté de celle-ci, tirée de La Gazette de Québec du jeudi, 20 janvier 1791...

Dommage que ce bref petit récit ne donne pas plus de détails sur la pièce qui fut présentée et qui a pu irriter ledit correspondant... 

mardi 14 février 2023

Enfin le Petit cercle de craie!



Il m'en a fallu, du temps, avant de voir Le Petit cercle de craie de la Tortue Noire qui vient de franchir le cap de la centième représentation! Ce spectacle a été créé en 2015 et a depuis sillonné les routes du Québec et de la France.

Un beau spectacle, adaptation intimiste du Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht (écrit en 1945), qui en met plein la vue! Un théâtre d'objet de haut calibre qui sait émerveiller, émouvoir, faire rire, intriguer, s'identifier en quelques manipulations en apparence toutes simples! Les images se succèdent à un rythme soutenu qui cède volontairement le pas à l'ingéniosité! Et le récit, loin de s'alourdir, s'anime avec un plaisir contagieux! 

Qu'ils sortent d'un dessous de caisse, d'un coffre d'amas hétéroclite, d'une poche ou même de nulle part, les objets prennent vie grâce au talent des deux interprètes co-créateurs - Sara Moisan et Christian Ouellet - de ce petit bijou scénique. 

Une démonstration plus que convaincante de ce que peut faire le théâtre!

jeudi 9 février 2023

Au coeur du clan...


Petit passage au Petit Théâtre de l'UQAC, en ce jeudi soir, pour voir la première du spectacle La Faute à Ève, projet de fin de baccalauréat (interdisciplinaire en art) de Marilou Guay Deschênes.

Sur la scène, une longue robe en tissu brut conçue par Hélène Soucy et un banc composent l'essentiel d'une esthétique minimaliste.

Sculptural dans la lumière d'Alexandre Nadeau, le vêtement s'anime peu à peu pendant qu'une voix automatisée déploie objectivement un arbre généalogique. Un arbre tout féminin. Un clan. Un clan de femmes. Un clan qui sera le personnage principal d'un récit personnel. D'un récit confidence. D'un récit quasi expiatoire pour la comédienne, elle-même partie prenante de cette histoire. 

Pendant quarante-cinq minutes, il sera question de sa famille. Sa matière. 

Car oui, ce spectacle - proche du docu-fiction - a un pied dans le monde de l'art et un pied dans l'omniprésente réalité, rappelée par des extraits sonores de cette lignée qui s'insèrent dans les interstices du jeu pour se dire, s'affirmer, se questionner sur la vie.

Un véritable théâtre de l'intimité s'ébauche, redonnant l'atmosphère d'une famille tissée serrée, d'un passé houleux, d'un drame en cours. C'est courageux. Authentique.

Porté par une voix solide et une interprétation pleine de nuances, ce théâtre surpasse un pathos qui aurait pu s'installer par un engagement sensible et une force scénique qui ramène finalement le tout vers un vibrant hommage à ce petit monde de femmes. 

C'est beau, touchant, triste et, en quelque sorte, lumineux. Une belle proposition théâtrale à voir!

jeudi 2 février 2023

La fin d'une époque


Il y a 11 ans (à l'automne 2012), pour célébrer les 30 ans des Têtes Heureuses, des textes avaient été demandés à certains collaborateurs, dont moi:

Automne d’un dimanche après-midi de novembre. Froid mais ensoleillé. Peut-être en 2000… à moins que ça ne soit en 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007 ou 2008… et hier soir se tenait – traditionnellement sous la première neige, il va sans dire! - la première officielle des Têtes Heureuses.

On y joue Wilde… à moins, encore là, que ce ne soit Molière, Shakespeare, Tchekhov, Claudel, Giguère, Gauthier, Norén ou Büchner. Les univers sont nombreux et le mien s’y confond à chaque fois… dans un espace qui déborde de la scène et des questions esthétiques… qui les précède, en quelque sorte.

Au pavillon des arts, dans l’odeur des bouquets de fleurs qui ornent le guichet, une certaine fatigue flotte: la réception bien arrosée qui a suivi la représentation s’est terminée tard. Pendant quelques minutes, elle est quelque peu égratignée par les grincements des chaises et des tables qui doivent reprendre leur place.

Une douce léthargie règne en cette première matinée.

Dans l’atelier, les coupes et les restes de toutes sortes s’empilent sur le comptoir attendant quelques minutes de liberté (qui viendront bientôt) pour se voir remplacer par un ordre relatif, à travers les outils et les accessoires de répétition qui jonchent encore la place.

Les comédiens arrivent et se dirigent vers les loges, armés, pour la plupart, d’un café pour repousser le manque de sommeil et animer les discussions qui reprennent dès que celui-ci croise celui-là. Dernier jour avant une première pause… la première depuis fort longtemps alors qu’ont été enchaînées les ultimes répétitions, l’installation des lumières, les générales. Pendant qu’ils se préparent, Rodrigue passe les saluer et commenter ce qu’il a vu, la veille.

Dans le hall, notre scène, nous nous installons, Hélène et moi, pour accueillir les spectateurs qui seront relativement peu nombreux en ce premier dimanche. Encore une fois – comme à toutes les fois – ils recueilleront, avec étonnement et interrogation le petit jeton de métal (une décoration d’armoire) que nous leur tendons pour compter les places. Les tâches sont bien définies par le temps et l’habitude. Presque une chorégraphie. Une main droite qui fait confiance à la gauche… et vice-versa.

Le public arrive, s’égrenant. Quelques chuchotements s’élèvent jusqu’à ce que s’ouvrent les portes de la salle.

Puis c’est l’attente. Un moment indescriptible. Précieux.

Tant d’heures passées, assis à une petite table ronde, à préserver un silence théâtral, à compter la caisse, à faire le premier dépôt, à sourire devant un comédien qui passe en courant pour son entrée, à relire les quelques journaux qui se trouvent là par hasard, à se perdre le regard dehors en vivant, de souvenir, le déroulement du spectacle, à tendre l’oreille pour savourer les réactions.

De l’autre côté de la fenêtre, dans l’autre pavillon, un étudiant travaille sur son projet de session. Ses déplacements, ses gestes hypnotisent... À quelques reprises, il ira fumer.

De fois en fois s'accentue ma connaissance intime de ce lieu. Je connais par cœur la configuration de l’espace. L’escalier rouge. Le son des portes que l’on entrouvre discrètement pour vérifier l’approche du moment où il faudra s’activer pour offrir un bar à l’entracte. Le son des souliers sur le béton du plancher. Le bruit de la caisse de bière glissée sous le mobilier. La revue pliée en deux qui retient la porte extérieure le temps d’une cigarette. Les discussions sur tout et sur rien.

Pour moi, ce fut aussi ça, les Têtes Heureuses. Une attente attentive. Reposante. Une odeur. Une lumière. De celles qui, immanquablement, procurent une nostalgie à chaque année lors de la première neige qui vient, plus souvent qu’autrement, au début du mois de novembre.

Onze ans plus tard, le rideau tombe définitivement sur cette compagnie majeure du Saguenay laissant, derrière elle, de nombreux souvenirs et émotions artistiques. 

Pour les étudiants du BIA que nous fûmes...

Pour les artistes que nous deviendrions...

Pour les spectateurs que nous serions...

Les Têtes Heureuses auront été plus qu'une école pour beaucoup d'entre nous. Elles auront été une façon de concevoir le théâtre, le texte, la mise en scène. Une philosophie, en quelques sortes... Une exigence. Elles auront été une signature visuelle sans compromis. 

Elles auront été un creuset exceptionnel de collaborateurs expérimentés, de rencontres stimulantes, de projets fous. Une petite société avec de chaleureuses retrouvailles où les heures passaient à discuter, à inventer, à faire.

Elles auront été, enfin, une tribune imposante - par leurs colloques notamment - pour la réflexion, le questionnement, l'intellectualisation de la pratique, le développement d'une pensée artistique transversale. Une rigueur théâtrale pétrie d'intelligence et de connaissances.

Les Têtes Heureuses auront été une époque. Une grande époque de notre histoire théâtrale. Et si elles entrent dans le domaine du souvenir et des archives, elles perdureront encore dans nombre de praticiens actuels qui font toujours aujourd'hui notre milieu...