vendredi 12 juin 2020

La «crise scénique» autour de 1880


Comme Le Décor de théâtre (de Denis Bablet) est le principal livre que je lis actuellement, la récurrence de ce sujet sur mon blogue est quasi automatique!

Ce matin, encore, voici un (très) bon extrait qui fait la synthèse de tous les problèmes posés par les décors de la fin du XIXe siècle (règne de la perspective, du trompe-l'oeil, de l'illusion, des machines, des conventions... dont le but premier est de surprendre et d'en mettre plein la vue) et qui pose les jalons des réformes à venir. Parce que cette «crise du drame» autour de 1880 fut aussi (c'en était du moins la manifestation la plus concrète!) une «crise scénique»! 

Je trouve toujours fascinant de comprendre ce qui a provoqué les chambardements qui mèneront à l'avènement du metteur en scène (tel qu'on l'entend aujourd'hui) et qui redéfiniront toute la pratique théâtrale...


[...] Sur le plan esthétique tout se passe comme si nos assistions à l'essoufflement d'une formule victime de ses contradictions et désirs irréalisables. La décoration théâtrales des années 1880 contient en elle des éléments générateurs des réactions et des réformes qui constitueront la révolution théâtrale de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle:

1- Elle affirme la prépondérance de l'élément visuel au détriment du texte, de l'action dramatique et de l'acteur. Il y a disjonction entre l'acteur et le décor, l'oeuvre et son cadre. Une telle situation ne peut satisfaire ni ceux qui mettent en doute la nécessité des moyens visuels, ni ceux qui, au nom de la poésie et de l'art, refusent tout excès décoratif considéré comme une dégénérescence de l'art théâtral, ni ceux pour qui le théâtre doit se fonder sur la synthèse équilibrée des arts.

2- Elle propose un univers illusionniste servi par une peinture purement imitative, une accumulation de détails photographiquement exacts, sans synthèse, ni sélection. Elle impose au spectateur une vision précise et limitée. Il est logique qu'elle suscite l'opposition de ceux pour qui art et imitation s'excluent et qui, refusant toute vision imposée, soutiennent les droits du spectateur à la liberté d'imagination. Mais la refusent aussi ceux qui, jugeant incomplète et douteuse la réalité qu'elle présente, prônent un réalisme intégral et social.

3- Oeuvre de décorateurs professionnels ignorants de l'évolution artistique, habiles à utiliser des procédés routiniers, elle provoque la réaction des animateurs qui croient renouveler la décoration théâtrale en l'intégrant au développement général des arts et particulièrement de la peinture considérée comme vivante, en faisant appel à des décorateurs non professionnels, à des nouveaux venus: les peintres. 

Dans ces quelques lignes se profilent la polymorphique révolution théâtrale qui soufflera de partout (symbolisme, futurisme, constructivisme, expressionnisme, naturalisme, etc) et de grandes figures se lèveront (Appia, Craig, les Meininger, Antoine, Stanislavski, Meyerhold, Brecht et de nombreux autres) pour redonner du lustre au théâtre!