Il est plutôt difficile de se donner une idée (plus ou moins fidèle) de la façon de travailler des auteurs et acteurs anciens.Comment abordaient-ils l'histoire? Les personnages?
À ce compte, L'Impromptu de Versailles écrit par Molière peut apporter un éclairage plausible sur le jeu que les comédiens devaient déployer au XVIIième siècle.
Dans cette pièce, l'auteur - et directeur de troupe! - se met en scène lui-même, en pleine répétition. Il va sans dire qu'il est alors plausible d'accorder une certaine importance à ce passage (tirée de la première scène) où il «dirige», en quelques sortes, les acteurs:
MADEMOISELLE DU PARC
Mon Dieu, pour moi, je m' acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m' avez donné ce rôle de façonnière.
MOLIÈRE
Mon Dieu, mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l' on vous donna celui de la critique de l' école des femmes ; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d' accord qu' on ne peut pas mieux faire que vous avez fait. Croyez-moi, celui-ci sera de même ; et vous le jouerez mieux que vous ne pensez.
MADEMOISELLE DU PARC
Comment cela se pourroit-il faire ? Car il n' y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi.
MOLIÈRE.
Cela est vrai ; et c' est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur. Tâchez donc de bien prendre, tous, le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez.
(à Du Croisy.)
Vous faites le poëte, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.
(à Brécourt.)
Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans la critique de l' école des femmes, c' est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu' il vous sera possible.
(à de La Grange.)
Pour vous, je n' ai rien à vous dire.
(à mademoiselle Béjart.)
Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu qu' elles ne fassent point l' amour, croient que tout le reste leur est permis, de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d' un misérable honneur dont personne ne se soucie. Ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces.
(à mademoiselle de Brie.)
Pour vous, vous faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde pourvu qu' elles sauvent les apparences, de ces femmes qui croient que le péché n' est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu'elles ont sur le pied d' attachement honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galants. Entrez bien dans ce caractère.
(à mademoiselle Molière.)
Vous, vous faites le même personnage que dans la critique, et je n' ai rien à vous dire, non plus qu'à mademoiselle Du Parc.
(à mademoiselle Du Croisy.)
Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seroient bien fâchées d' avoir souffert qu' on eût dit du bien du prochain. Je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle.
(à mademoiselle Hervé.)
Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape, comme elle peut, tous les termes de sa maîtresse. Je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l' esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah ! Voici justement un fâcheux ! Il ne nous falloit plus que cela.