jeudi 2 avril 2009

L'indépendance du metteur en scène

Comme il y a la rose des vents,
son théâtre était la rose des songes.
Ludmilla Pitoëff

Par un heureux hasard (et grâce à cette période bénie que l'on nomme grand ménage printanier!), je me suis retrouvé avec, entre les mains, l'essai Notre théâtre écrit par Georges Pitoëff... Je dis heureux hasard parce qu'il y a quelques jours à peine, j'ai cité cet ouvrage dans un billet (que l'on peut relire ici) sans avoir eu la chance de le lire en entier, utilisant plutôt un extrait publié dans un collectif de textes.

Donc, premières lignes: qu'est-ce que la mise en scène? Tentative de définition que, d'une certaine façon, je partage généralement assez bien.


Par mise en scène, on entend tant de choses différentes que je tiens avant tout à préciser ce que, moi, j'appelle ainsi.

La définition générale serait peut-être: interprétation scénique d'une œuvre dramatique. Je dis peut-être, car cette définition demande à son tour quelques précisions sur l'art du théâtre. On dit le plus couramment que cet art englobe plusieurs autres. À savoir: diction, peinture, sculpture, architecture, danse, mimique, etc., et, en fin de compte, on arrive à ne plus pouvoir le définir. C'est parce qu'on oublie que l'art scénique est un art absolument indépendant. Non seulement il transpose, mais il recrée tous ces autres arts en les utilisant comme matière première. Il est aussi indéfinissable que la vie elle-même. Car si dans tous les arts l'homme est la source qui crée, dans l'art scénique, il est à la fois le créateur et l'instrument. Combien secondaires apparaissent tous les autres éléments à côté de cette unique matière première: l'être humain.

Si nous admettons cette indépendance, nous dirons que pour transporter l'œuvre écrite sur la scène, nous devons lui donner une existence par l'art scénique. Quelle sera cette existence? Quelle volonté, quelle pensée, quelle intelligence, quel sentiment la détermineront, la feront surgir de l'inconnu? Je répondrai: la mise en scène, le metteur en scène.

Cet artiste - autocrate absolu, en rassemblant toutes les matières premières, à commencer par la pièce elle-même - fera naître, par l'expression de l'art scénique, qui est son secret, le spectacle.

On me dira que je donne un droit beaucoup trop absolu au metteur en scène, car d'habitude, la plus haute fonction qu'on lui accorde, c'est d'être un fidèle serviteur de l'auteur, et un guide avisé de l'acteur. Mais avec cette vieille conception de l'art scénique est réduit à une sorte de confection.

[...]

Si encore, à la rigueur, on laisse au metteur en scène un droit sur les acteurs, on ne lui permet jamais de se mesurer avec l'auteur. Il n'a qu'à faire interpréter le texte, c'est déjà beaucoup lui accorder.

Il me semble, au contraire, que le maître absolu dans l'art scénique, c'est le metteur en scène. La pièce écrite existe par elle-même dans le livre, on la lira, et chaque lecteur l'assimilera selon son imagination. Mais lorsqu'elle arrive sur le plateau, la mission de l'écrivain est terminée, c'est par un autre que la pièce se transformera en spectacle. Je ne diminue pas la place de l'auteur, je défends seulement l'indépendance absolue de l'art scénique. Si son existence est subordonnée à l'existence de la pièce, cela ne signifie pas qu'il n'existe pas par lui-même. L'existence du tableau est subordonnée aussi à celle de la toile, des couleurs. Si l'on objecte que la valeur de l'art scénique est moindre que celle de l'art de l'écrivain ou du peintre, ou de tout autre artiste, nous discuterons. Mais si l'on nie l'existence indépendante de l'art dramatique, ne parlons plus de théâtre.


Bien qu'il y ait un certain radicalisme dans ce propos, je trouve que c'est une définition somme toute assez juste (mais bon, fort subjective...).