samedi 28 août 2021

Une Phèdre «in-yer-face»

Je poursuis la lecture des différentes versions du mythe de Phèdre et d'Hippolyte qui changent, de fois en fois, la vision toute racinienne que j'en avais!


L'Amour de Phèdre de Sarah Kane en est l'une des plus récentes (1996). C'est là une Phèdre qui décoiffe et qui déconcerte! Mais pouvait-il en être autrement? 

Sarah Kane, dramaturge du Royaume-Uni de la toute fin du vingtième siècle qui a profondément marqué le théâtre contemporain avec seulement cinq pièces (et son suicide en 1999), est l'une des figures principales de ce théâtre qualifié de In-Yer-Face. 

Pour bien saisir de quoi il retourne, voici une (juste) description du genre prise sur Wikipédia: L’une des caractéristiques majeures de ce théâtre est de provoquer l’inconfort – visuel, mais aussi physique – du spectateur. L’intensité et la crudité sont telles que le spectateur doit avoir le sentiment que son espace personnel est menacé et son intimité violée. Les dramaturges de cette génération ont tous en tête la tradition du Théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud, qui, dans Le Théâtre et son double, affirme que « tout ce qui agit est cruauté. C’est sur cette idée d’action poussée à bout et extrême que le théâtre doit se renouveler. » C’est là une conception que le théâtre in-yer-face reprend à son compte, avec l’idée selon laquelle, comme chez Artaud, l’acteur doit brûler les planches comme un supplicié sur son bûcher.  Cela passe avant tout par une langue vulgaire, de nombreuses insultes à caractère souvent sexuel ou scatologique, des images choquantes montrant une souffrance insupportable, du sang et de la violence. Ces pièces respectent généralement un format de quatre-vingt-dix minutes sans entracte, afin de garder toute leur intensité et de ne pas perdre l’attention du spectateur.

Bref, chaque pièce est un solide coup de poing reçu par le public.

Que vient donc faire Phèdre dans cette galère? Simple. Elle est en manque de sexe et en parle avec son psychiatre. Parce qu'elle n'a d'yeux que pour son beau-fils, Hippolyte, toujours enfermé dans sa chambre-dépotoir à baiser tout ce qui bouge. Elle le veut. Les échanges entre les deux seront crus, directs, sans ambages. Hippolyte - parfaitement nihiliste - sait son pouvoir sur elle. En joue. La méprise. Se méprise. Thésée (toujours absent), revient et Phèdre, pour se venger du fils qui la rejette, l'accuse de viol. Sous les ordres de son père, il est pris dans une barbare orgie de sang qui se termine par la mort frénétique de tous les protagonistes. Fin. 

Ce résumé semble placer cette version à mille lieues de la version antique... et pourtant, elle en conserve la même charge entre les personnages bien que cette fois, les sentiments sont remplacés par un  amour violemment génital et sexuel. Le sexe de cette pièce remplace les dieux des versions antérieures.