Généralement, je fais partie de ces metteurs en scène qui arpentent leur salle les soirs de représentations, aux prises avec la nervosité et l'angoisse, la fébrilité et l'excitation. Je suis aussi de ceux qui se retrouvent parfois en petite boule dans un coin sombre ou qui se terrent dans la coulisse, incapables de s'installer calmement pour regarder le travail en cours.
Peu de mes productions (sinon celles où je devais agir comme régisseur donc concrètement impliqué) me voient jouir du plaisir du spectateur. Et du coup, mon niveau d'exigence (envers moi, envers les comédiens, envers les techniciens, envers le public) monte en flèche, labourant farouchement ma subjectivité. D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup (voire pas du tout) recevoir des commentaires après une représentation tant l'expérience, pendant le moment du spectacle, est physique et intense.
C'est pourquoi j'ai bien souri à la lecture de ce passage de Brigitte Haentjens dans son ouvrage Un regard qui te fracasse, publié chez Boréal en 2014:
Je ne manque pas une seule représentation de mes spectacles, sauf si je dois être dans une autre ville, loin, à l'étranger. Autrement, je veux être là tous les soirs. Ou plutôt: je ne peux pas ne pas y être.
Ça décrit assez bien ce besoin qu'on sait d'emblée voué à la souffrance:
Je trouve particulièrement épuisant et douloureux d'être assise au fond de la salle, d'entendre les toux, de voir les jambes qui bougent, de surprendre un spectateur qui sort puis rentre ou qui envoie un texto, boit de l'eau, baille ou somnole. Et cela me pèse de plus en plus au fur et à mesure de représentations, comme si la répétition des incidents, qui troublent la représentation selon moi, grugeait inexorablement ma patience et augmentait mon irritabilité. [...] Contrairement aux interprètes, qui peuvent y puiser beaucoup de gratification, le contact avec les spectateurs m'épuise, me vide. Même si leur réaction est enthousiaste.
Pourquoi alors se donner autant de misère? Sado-masochisme? C'est le côté noir de la chose qui pourtant, n'arrive pas, paradoxalement, à éteindre l'exaltation du théâtre, de ce plaisir grisant et vertigineux de voir des gens réunis pour voir, pour entendre ces comédiens qui portent, au fond, quelque part, une vision du théâtre, une vision du monde, une part de soi.
Je dis souvent que le metteur en scène est accouché du spectacle. [...] [Cela] explique peut-être la sensation de vide et de froid éprouvé lors des représentations, et le désir, irrépressible, de retourner dans la chaleur de la création.