jeudi 30 juillet 2020

Une mauvaise perception du théâtre antique?


[...] C'est notamment la domination de la culture de l'écrit qui nous a fait «oublier» que la tragédie antique, contrairement à la culture de la lecture de la modernité bourgeoise, signifiait en tout premier lieu, et presque exclusivement, une [...] Les textes des tragédies existaient, ils étaient examinés avant les concours et les acteurs en disposaient. Mais les textes des tragédies dont la postérité a fait de puissants chefs-d'oeuvre littéraires ne circulaient pas sous forme textuelle à l'époque classique. S'ils étaient reconnus et récompensés, c'est parce qu'ils faisaient partie d'un événement théâtral, en tant qu'expérience sensible et affective dans la situation théâtrale. La perception déformée qu'on en a communément vient de ce que seul le texte et non le contexte a pu être conservé dans les archives [...].

En d'autres termes, quand nous abordons un texte antique, nous ne l'abordons souvent qu'en fonction de l'objet texte en occultant toute la dimension performative originelle de celui-ci.

C'est un court extrait (pp. 41-42) de l'ouvrage dont la couverture illustre ce billet. Au fil des pages, Hans-Thies Lehmann (le théoricien - qui n'est pas particulièrement facile à lire - du théâtre postdramatique) entreprend de déconstruire les présupposés aristotélicien (de la tragédie, de la mimésis et de la catharsis) pour redéfinir, à partir de racines philosophiques, le rapport à l'expérience tragique. Rien que ça...! 

C'est plutôt pointu et j'avoue que je dois parfois recommencer une phrase, un paragraphe, un chapitre entier avant que de bien saisir ce qui est écrit. 

Cependant, cette lecture est fort passionnante et ramène à la fascinante époque antique, à la fonction du théâtre et son rôle dans la société. 

mardi 28 juillet 2020

Les grandes années du mélodrames


La seconde moitié du dix-neuvième siècle aura été, au Québec, l'âge d'or du mélodrame (et de l'opérette), de ce genre larmoyant ainsi défini par Michel Corvin dans son (indispensable) Dictionnaire encyclopédique du théâtre:

MÉLODRAME: Le mélodrame est dans la première moitié du XIXe siècle [mais arrivé chez-nous plus tardivement!] d'autant plus important qu'il est le seul genre scénique qui unisse toutes les classes de la société. [...] 

«Tragédie populaire», le mélodrame est théâtre non du peuple, mais pour le peuple, «une conscience populaire mythique façonnée par la bourgeoisie». Le mélodrame s'affirme comme moral et pédagogique, professeur de vertu.[...]

Le mélodrame est un genre étroitement codé, les types des personnages y sont fixés, et la structure de l'action est faite de variations autour d'éléments obligés. L'axe du mélodrame est le traître dont le trait fondamental est l'hypocrisie: il cache ses machinations et son mot clé est: «dissimulons»; il a souvent un confident parce qu'il faut bien que nous, spectateurs, nous sachions tout, et que le monologue ne suffit pas toujours. En face du traître, le héros (qui est parfois, rarement, une femme) s'occupe à le démasquer et à le combattre; rien de plus manichéen: le héros agit par un pur mouvement de sa vertu sans aucun espoir de récompense sinon sa bonne conscience et sa satisfaction d'Avoir puni le méchant, réuni les familles. L'allié du héros est le niais, personnage populaire dont les maladresses et le parler frustre font rire; allié parfois maladroit et encombrant. Enfin, les bénéficiaires de l'action sont les jeunes amoureux. La jeune fille est la victime désignée, souvent enlevée, quelquefois torturée, en tout cas promise au sort curle de convoler avec le traître; elle arrive au dénouement virgo intacta et s'unit à son bien-aimé. Enfin le personnage le plus important, le père qui a eu des malheurs, que souvent le traître a persécuté, dont il a causé la ruine par sa fourberie. Toutefois, la fonction de l'action dramatique est de le restaurer dans ses droits qui sont les plus sacrés.

Les pièces françaises prendront l'affiche et certaines, parmi elles, seront jouées et reprises un nombre quasi incalculables de fois!  

Voici, juste pour le plaisir, quelques titres (dont leur seule évocation donne une certaine idée de la teneur de la pièce et des tribulations à venir), parmi les plus fréquents au fil des années, qui ont fait le bonheur des spectateurs... tirés d'une seule source, Place Jacques-Cartier ou Quarante ans de théâtre français à Québec d'André Duval (et cette liste est pourtant terriblement comparable aux comptes-rendus des archives et aux souvenirs de théâtre publiés depuis): 
  • La Grâce de Dieu ou la nouvelle Fanchon d'Adolphe D'Ennenry/Gustave Lemoine 
  • Marie-Jeanne ou la femme du peuple du même D'Ennery (l'un des dramaturges les plus joués à l'époque)
  • Le casseur de pierres ou le Dévouement d'une mère de Charles Deslys
  • La Servante maîtresse ou les Meurtriers de Val-Sozon
  • Fatenville de Félix-Gabriel Marchand (qui sera premier ministre du Québec au tournant du siècle)
  • La Mère sans enfants d'Adolphe Belot
  • Le Fils de l'aveugle
  • Les deux aveugles
  • Jean le charretier ou le Chapelet de la roche grise
  • Une femme qui se jette par la fenêtre d'Eugène Scribe
  • La Dame aux jambes d'azur ou le Mélodrame accidenté
  • Bruno le fileur ou L'Honnête forban
  • Les deux orphelines 
  • Le Médecin des enfants
  • Rose Michel ou la justice des hommes
  • Les deux serruriers
  • Les Prussiers en Lorraine de Gustave Lemoine
  • Le Château des sept tours ou le Puits de sang
  • Les crochets du père Martin d'Eugène Cormon(l'une des pièces les plus jouées)
  • Le Pacte de famine ou le Défenseur du peuple
  • Vincent de Paul ou les Orphelins du pont Notre-Dame
  • Trente ans ou la Vie d'un joueur
  • La Malédiction ou l'Enfant maudit
  • L'Expiation
  • Le Forgeron de Chateaudun
  • Le sonneur de cloches de Saint-Paul de Joseph Bouchardy
  • Roman d'un jeune homme pauvre d'Octave Feuillet
  • Les Deux forçats de la meurtrière du Puy-de-Dôme
  • Les Faussaires de Londres d'Eugène Cormon
  • Les piastres rouges (l'une des plus fréquemment reprises)
  • et bien sûr, Le Maître de Forges de Georges Ohnet (également reprise un nombre impressionnant de fois)
Il est quand même fort étonnant de constater que bien peu de ces auteurs, bien peu de ces (immenses) succès d'alors n'a traversé le temps... 



lundi 27 juillet 2020

Le théâtre: un complot judéo-maçonnique contre l'Église!


Si le théâtre se bornait à représenter avec décence des exemples édifiants ou les actions mémorables des grands hommes, je n'aurais pas à le condamner. Mais il s'y passe au contraire des scènes qui scandalisent la conscience chrétienne. Les décorations suggestives, les parures des actrices, leurs voix insinuantes, leurs avis tendres, les paroles passionnées des acteurs, les flatteries qui blessent la pudeur, les traits satiriques contre la vertu, tout cela crée de la dissipation et dresse des passions une peinture plus propre à les exciter qu'à les éteindre. Le théâtre rend parfois le vice ridicule, il ne le rend jamais odieux; il en fait rire, mais il ne le fait jamais mépriser; il fait commettre des millions de péchés mais il n'en fait regretter aucun. le théâtre vient de Satan, le théâtre vient du complot judéo-maçonnique contre l'Église catholique. Retenez-le, fidèles chrétiens. 

Ainsi parlait avec fougue et verve le curé de Notre-Dame de Jacques-Cartier (un quartier à Québec, voisin du quartier Saint-Roch) après être monté en chaire, en novembre 1911. Lequel? L'ouvrage d'où est tirée cette citation - Place Jacques-Cartier ou 40 ans de théâtre français à Québec - ne donne malheureusement pas son nom. Selon une brève recherche, il s'agirait peut-être du premier prêtre en titre de la paroisse, l'abbé Paul-Eugène Roy. Mais rien n'est moins sûr. 

Il y avait longtemps que je n'avais trouvé un si beau petit morceau d'éloquence!


dimanche 26 juillet 2020

«À Sarah Bernhardt - réponse aux insulteurs»

Louis Fréchette, le premier grand écrivain canadien-français (poète et dramaturge), était un grand admirateur de Sarah Bernhardt. Et au fil des visites de la Voix d'or, il a même pu tisser avec elle, quelques liens... au point où elle lui aurait commandé une oeuvre - Véronica - qu'elle ne jouera toutefois pas. 

En 1896, Fréchette fait donc paraître, dans Le Monde (et repris ensuite, tout au long de son existence, dans différentes publications), un poème exaltant l'actrice:



samedi 25 juillet 2020

L'opposition entre les conceptions stanislawskienne et meyerholdienne

La fascinante histoire de la mise en scène russe des trois premières décennies du vingtième siècle pose deux jalons essentiels entre lesquels se positionneront, encore aujourd'hui, de nombreuses générations d'artistes: le fameux système psychologique d'un côté... le théâtre de la convention de l'autre. Voilà deux conceptions diamétralement opposées représentées d'une part par Constantin Stanislavski et, d'autre part, par Vsevolod Meyerhold. 


En feuilletant le no.9 de la revue Travail théâtral (octobre-décembre 1972), je suis tombé sur cette très éclairante explication/comparaison  faite par Evgueni Vakhtangov, écrite autour de 1920, alors qu'il tentera de s'inscrire entre les deux, d'en faire la synthèse (malheureusement, il décède en 1922):

Stanislavski, emporté par la vérité authentique, a apporté sur la scène la vérité naturaliste. Il a cherché la vérité théâtrale dans la vérité de la vie. À travers le théâtre de la convention consciente qu'il renie maintenant [sa conception ne cessera de se peaufiner et d'évoluer], Meyerhold parvint au vrai théâtre. Mais, emporté par la vérité théâtrale, Meyerhold élimina la vérité des sentiments; la vérité niche à la fois dans le théâtre de Meyerhold et dans celui de Stanislavski.

Stanislavski, emporté par la vérité en général, a introduit sur la scène la vérité de la vie, et Meyerhold, en chassant de la scène la vérité de la vie, a liquidé dans sa passion la vérité théâtrale des sentiments. Au théâtre et dans la vie, le sentiment est un, mais les façons ou les moyens de rendre ce sentiment sont variés. Une perdrix est une seule et même chose à la maison et au restaurant. Mais au restaurant, elle est servie dans une préparation qui sent le théâtre; à la maison, la préparation est domestique et non pas théâtrale. Stanislavski a servi la vérité en qualité de vérité, l'eau en qualité d'eau, la perdrix en qualité de perdrix. Meyerhold a ôté toute vérité, c'est-à-dire qu'il a gardé le plat, gardé la recette, pourtant il n'a pas préparé une perdrix, mais du papier. Et il en est résulté un goût de carton. Meyerhold était un maître, il servait en maître, comme au restaurant, mais on ne pouvait pas manger. Briser la vulgarité théâtrale par les procédés du théâtre de la convention consciente a néanmoins conduit Meyerhold à la véritable théâtralité, à la formule: le spectateur ne doit pas oublier une seconde qu'il est au théâtre. Stanislavski, lui, est arrivé à la formule: le spectateur doit oublier qu'il est au théâtre.

Une oeuvre d'art parfaite est éternelle. On appelle oeuvre d'art, une oeuvre qui a trouvé l'harmonie du contenu, de la forme et du matériau. Stanislavski a seulement trouvé l'accord avec les états d'âme de la société russe de l'époque, mais tout ce qui est actuel n'est pas éternel. En revanche, tout ce qui est éternel est actuel. Meyerhold n'a jamais senti «aujourd'hui»; mais il sentait «demain». Stanislavski n'a jamais senti «demain», mais sentait seulement «aujourd'hui». Or, il faut sentir «aujourd'hui» dans demain et «demain» dans aujourd'hui.

Alors... Stanislavski? Meyerhold? En fait, il s'agit là d'un faux antagonisme. Car l'un et l'autre se porteront, tout au long de leur existence, un profond respect mutuel (Stanislawski sera d'ailleurs l'un des rares artistes - sinon le seul - à se porter à la défense de Meyerhold quand celui-ci sera accusé de formalisme) et resteront à l'affût (critiques mais toujours ouverts) de leurs découvertes et expérimentations respectives. Au point où, n'eût été de la fin de leur existence, une véritable convergence aurait probablement été trouvée tant leurs théories se rapprochaient de plus en plus. S'éloigner pour mieux se retrouver!

vendredi 24 juillet 2020

Étymologie du rôle


Le terme rôle désigne à l'origine quelque chose de concret: le rouleau, puis le parchemin sur lequel figure la partie du dialogue qui revient à chaque personnage au théâtre et que l'acteur doit apprendre par coeur. D'où la définition communément admise: le rôle est ce que doit réciter un acteur représentant un personnage.
Anne-Marie Gourdon, Travail théâtral, no.10, octobre-janvier 1973

On en apprend tous les jours... surtout quand on ne s'est jamais posé la question!

jeudi 23 juillet 2020

Intervention critique


Bertrand Poirot-Delpech

Il est de fait que, dans un quotidien, la critique joue un rôle d'information. Elle ne peut pas prétendre aller bien loin dans la réflexion et elle est, plus qu'aucune autre, sujette à l'erreur puisqu'elle doit opérer dans une hâte extrême. Aussi lui fait-on souvent [...] un procès: cette critique journalistique, trop hâtive, serait, de surcroît, trop subjective, approximative et finalement légère, elle n'irait pas au fond des choses. Sans doute, en tant que critique, suis-je souvent obligé de rester sur ma faim - ou plutôt sur mon appétit. Je préférerais prendre un certain recul dans le temps et amorcer une réflexion plus sérieuse, plus circonstanciée, mais, enfin, j'appartiens à un quotidien et je crois utile que, dans ce quotidien, on trouve dès le lendemain de la «première» un son de cloche de quelqu'un d'honnête - je maintiens le mot [...]. Sans doute est-ce là de la critique de consommation, mais c'est aussi, pour le lecteur du quotidien, à travers l'avis de quelqu'un dont celui-ci connaît les qualités comme les défauts, l'assurance de savoir à quoi s'en tenir et donc de pouvoir, en connaissance de cause aller (ou ne pas aller) consommer ce spectacle avant qu'il ait disparu de l'affiche. [...]

La critique d'une revue opère bien après coup. Or, si l'on y revient, dix ans après, on se rend compte qu'elle ne se trompe pas moins que la critique journalistique. Et elle n'a pas l'excuse d'avoir travaillé dans les douze heures! 

C'est là un extrait d'un fort intéressant débat, publié dans la revue Travail théâtral (no. 9, octobre-décembre 1972), entre Bernard Dort (1929-1994), éminent théoricien du théâtre rattaché à ladite publication, et Bertrand Poirot-Delpech (1929-2006) alors critique dramatique au quotidien Le Monde

Un débat où le premier questionne l'utilité, l'efficacité, la valeur de la critique quotidienne et où le second la défend et la distingue de la réflexion poussée inhérente aux revues spécialisées. Le plus étonnant, c'est que les enjeux de la critique (spécialisée ou grand public) se posent pratiquement dans les mêmes termes cinquante ans plus tard... comme ils se posaient probablement déjà bien des années auparavant. 

Conclusion: nous n'aurons jamais terminé de réfléchir et débattre sur la fonction critique! Et encore moins dans une région comme la nôtre qui voit son espace médiatique se réduire de plus en plus...

mardi 21 juillet 2020

Shakespeare... en 5 minutes!

Voici une brève et amusante synthèse de la vie de Shakespeare:


samedi 18 juillet 2020

Quand Sarah Bernhardt s'emporte!

Sarah Bernhardt en colère, Georges Clairin, 1912 (ici, l'anecdote de l'oeuvre)

Le journal La Justice rapporte, en ce lundi 26 juillet 1886, rapporte une anecdote - brésilienne! - à propos de la Divine où son caractère explosif est bien mis en évidence:


Voici, pour vous donner une meilleure idée de la référence à l'Assommoir, ladite scène du lavoir dans le film Gervaise (du nom du personnage principal de l'oeuvre, Gervaise Macquart) de René Clément, 1956:



jeudi 16 juillet 2020

La coupole Fortuny

Je connaissais le cyclorama, cette grande toile blanche qui fait office de fond de scène et qui permet une meilleure diffusion de la lumière. Mais j'ignorais l'existence de la coupole Fortuny (du nom de son inventeur: Mariano Fortuny).

En octobre 1900, il fait breveter son invention: Système d'illumination scénique par la lumière indirecte.

Le principe de la coupole Fortuny est le suivant: une voûte constituée d'un quart de sphère en toile blanche crée sur la scène l'impression d'un ciel infini. Elle est éclairée par une lumière indirecte qu'elle renvoie à son tour sur la scène. Ce système permet de modifier les structures et la technique du décor, de supprimer les traditionnelles bandes d'air. Il est à noter que la coloration du ciel est fournie par la lumière et non par la peinture, et que la coupole peut recevoir toutes les formes de projections mobiles ou fixes. (Le Décor du théâtre, p. 238)

De ce que je comprends, elle avait (est-ce toujours utilisé?) le même objectif que le cyclo: réfracter la lumière, permettre une réverbération de celle-ci, utiliser la lumière indirecte pour créer des effets plus subtils. 






Dans le grenier du palazzo Orfei où je travaillais, un rayon de soleil découpait nettement le sol. 

En installant le papier de fond, celui-ci se trouva juste dans la zone éclairée par le soleil.

Je restai surpris. La feuille de papier éclairée par le soleil renvoyait sur le plafond bas et sombre la lumière que je cherchais: non pas une lumière directe, mais réfléchie. (Mariano Fortuny)



mercredi 15 juillet 2020

Théâtre de vieilleries!

Voici une lettre ouverte (d'une jeune fille de quinze ans si on se fie à la note en fin d'article... et, ma foi!, très articulée!) publiée le 6 mai 1939 dans le journal Le Jour - indépendant politique, littéraire et artistique, où l'auteure y va d'un intense plaidoyer en faveur d'un renouveau théâtral:


dimanche 12 juillet 2020

Les fondements des grandes dramaturgies




On ne s'éloigne pas sans quelque risque ou sans quelque tricherie des lieux originels d'une oeuvre dramatique: le tréteau pour Shakespeare, Marlowe, Ford, etc..., le parvis pour tous nos mystères, le tréteau embourgeoisé pour bien des farces et des comédies de Molière, la scène italienne avec avant-scènes publiques pour toutes notre tragédie classique, le huis-clos pour Sartre, Becque, Anhouil, le tréteau adossé à un mur et à une sorte de passerelle-logia pour Lope de Vega, Calderon... L'amphithéâtre, l'orchestra et la skene pour le Grecs, etc... [...]. Nous devons faire tout ce qu'il est possible pour restituer aux chefs-d'oeuvre du passé une scène et un lieu à l'image de ceux où ils prirent naissance.

Jean Vilar, De la tradition théâtrale, 1955

Bien sûr, Vilar (grand metteur en scène français qui a, parmi ses grandes réalisations, la fondation du Festival d'Avignon en 1947) ne dit pas de faire de l'archéologie scénique. 

Ce qui est intéressant avec cette citation, c'est le rappel que les grandes dramaturgies de l'histoire du théâtre - qu'elles viennent de l'Antiquité, du Siècle d'or espagnol, du Nô japonais, de l'époque élisabéthaine, du Moyen-Âge ou du Classicisme - sont ancrées, chacune, dans une forme scénique spécifique qui pose ses propres codes et ses conventions dans une architecture qui pose, de son côté, son propre rapport entre le public et les acteurs. 

(C'est d'ailleurs l'une des grandes sources de mon intérêt pour le répertoire universel!)

On ne peut les aborder sans comprendre dans quel(s) but(s) elles ont été écrites et comment elles s'articulaient dans la représentation. La réinterprétation ne sera efficace qu'après avoir retrouvé leurs fondements.

samedi 11 juillet 2020

Une histoire du décor en 5 lignes


Il fut un temps où le décor était une architecture.
Un peu plus tard, il devint une architecture d'imitation.
Plus tard encore, l'imitation artificielle d'une architecture.
Alors il perdit la tête.
Il devint complètement fou, et depuis ne quitta plus l'asile.
Edward Gordon Craig, Towards a New Theatre, 1915

Cette très éclairante et synthétique (et sévère!) histoire du décor de théâtre de Craig a été tirée de l'ouvrage Le décor de théâtre - 1870- 1914 de Denis Bablet. L'auteur y va ensuite d'une explication pour compléter les écrits du grand réformateur britannique:

Au temps des Grecs, il n'y avait pas à proprement parler de décor, mais une scène, fond architectural immuable bâti de marbre ou de pierre [dans la version classique que nous connaissons... arrivée qu'à la fin de l'ère grecque alors que la grande majorité de son existence s'est déroulée dans des amphithéâtre/structure de bois], qui servait plus ou moins de décor pour toutes les pièces. Acteurs et spectateurs se retrouvaient dans un espace unique exposé à la seule lumière du jour.

Au Moyen-Âge les grands drames religieux étaient représentés dans le théâtre chrétien de l'église. Là encore interprètes et spectateurs se réunissaient dans un lieu architectural unique, éclairé conjointement par la lumière du jour et celle des cierges. Les «décorations» étaient faites de l'or des joyaux, de soies, de velours et autres matières précieuses. Et nul doute que le public y était plus sensible qu'il ne l'aurait été à une croix de papier mâché.

Puis vinrent les tréteaux de la Commedia dell'Arte dressés sur la place publique ou adossés à quelques façades de palais, non pas imitation de palais, mais palais véritable. Et le théâtre élisabéthain à ciel ouvert. Autant de théâtres, autant d'architectures scéniques. 

Mais voilà que bientôt le théâtre s'enferma et que la scène, d'architecture solide qu'elle était, devint un vide qu'on remplit de décors peints successifs, aussi éphémères que les matériaux dont ils étaient faits. Et le trompe-l'oeil remplaça le volume vrai, et la lumière artificielle celle du soleil. C'en était fait du théâtre. La tradition était perdue.

Ainsi pense Edward Gordon Craig quand il entreprend, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, de réformer la scène théâtrale, de la libérer de sa surcharge réaliste, de ses toiles peintes en perspectives, de l'illusionisme. Et c'est vers les grandes formes scéniques historiques qu'il se tournera pour tenter de retrouver l'essence du théâtre.

Et bien sûr, cette histoire s'arrête, dans cette citation, en 1915 et ne tient pas compte de tout ce qui est advenu par la suite! 

vendredi 10 juillet 2020

Une opinion qui se discute... et des coups de griffes!

Ce qui est bien, avec les vieux articles de journaux, c'est de constater, avec le recul des années, les fondements (ou pas) de telle ou telle opinion... la vision (ou pas) d'artisans convaincus sur le coup... l'authenticité (ou pas) des thèses... la pérennité (ou pas) des projets annoncés! 

Un trio de comédiens de passage à Chicoutimi en février 1970 y vont d'une entrevue percutante avec le journaliste du Soleil (publié le 10 février 1970):






dimanche 5 juillet 2020

Théâtre vs cinéma



Comme la peinture a dû se repositionner avec l'avènement de la photographie, le théâtre s'est vu confronté coup sur coup à trois médias de masses, trois nouvelles technologies, qui ont drainé une importante part du milieu culturel de leur époque: la radio, le cinéma, la télévision.

La compétition est féroce... et le théâtre a souvent été donné perdant. 

Voici un article qui va dans ce sens publié dans le journal Le Jour (je l'ai déjà dit, c'est le journal de mes vacances!) du 29 mars 1941:



jeudi 2 juillet 2020

Vera Komissarjevskaïa - une actrice russe





Parmi les grandes actrices de l'histoire du théâtre (souvent présentée comme la plus grande de son époque), il y a cette figure venue de la Russie: Vera Komissarjevskaïa. Une comédienne qui aura une brève mais fulgurante carrière. 

Elle débute en 1893 sur les scènes impériales. C'est elle qui créera le fameux rôle de Nina dans La Mouette de Tcheckhov, au Théâtre Alexandrinski en 1896, une pièce qui sera très mal accueillie, au point où, humiliée, l'actrice en perdra la voix! (Le chef-d'oeuvre ne trouvera son triomphe qu'avec Stanislawski deux ans plus tard... avec une autre distribution.)

C'est aussi une femme de tête qui dirigera, dès 1904, son propre théâtre: le Théâtre dramatique Kommisarjevskaïa à Saint-Pétersbourg.

Intéressée au théâtre d'avant-garde elle invite en 1906 Meyerhold (qui a claqué la porte du Théâtre d'Art), metteur en scène, pour explorer une nouvelle esthétique symboliste, plus en phase avec le répertoire qui s'édifie et qui ébranle les colonnes du temple théâtral. Ensemble, pendant plusieurs mois, ils s'attaqueront aux plus grandes pièces, avec parfois des succès retentissants et parfois des échecs monumentaux: Hedda Gabbler d'Ibsen, Soeur Béatrice de Maeterlinck, La Baraque de foire de Blok, Pelléas et Mélisande de Maeterlinck et plusieurs autres (dont Wedekind et Sogoloub). (Cet article raconte bien toute cette histoire.)

Mais vite l'actrice se sent instrumentalisée au profit des expérimentations du metteur en scène qui prend de plus en plus de place. Elle lui signifie donc assez brutalement son renvoi. Elle confie en 1907 son théâtre à son frère, Fedor, puis à une autre grande figure, Evreinov. 

Elle quitte la scène en 1909 pour une tournée, rapidement contrariée par la variole dont elle meurt en 1910. Son cortège funéraire (la photo qui illustre ce billet) sera suivie par des milliers de personnes qui lui rendront, par là, un vibrant hommage. 

Pour la voir - elle était magnifique - je vous invite fortement à parcourir l'exposition virtuelle - avec de magnifiques photographies! - qui lui est consacrée sur ce site russe. (Et avec un bon traducteur pas trop loin pour comprendre les légendes!)


mercredi 1 juillet 2020

De la critique...

Je suis encore dans Le Jour - indépendant politique, littéraire et artistique... mais cette fois, dans l'édition du 3 décembre 1938. Je n'ai pas lu l'ensemble des articles et je ne connais donc pas la valeur journalistique de ce papier. 

Toutefois, en matière théâtrale, les chroniqueurs sont en phase avec leur temps, avec ces années '30 qui verront la véritable implantation d'un théâtre professionnel: réclamation d'une dramaturgie national, d'une véritable école de formation de l'acteur, d'une rigoureuse réforme dans toutes les sphères de la pratique.

L'article publié dans l'édition citée plus haut se penche, pour sa part, sur une fort bonne réflexion sur la critique:


Comme quoi la question de la critique, au théâtre, ne date pas d'hier!