jeudi 8 décembre 2011

«On se casse les noisettes!» [Carnet de mise en scène]


La générale est faite.

Après un contrariant contretemps cet avant-midi (où nous avons dû partager la salle avec les organisatrices d'un dîner dans le même lieu), les comédiens ont pu enfin monter en scène pour faire un dernier filage... le pire de tous.

Le pire parce que maintenant, il manque le principal ingrédient inhérent à ce type de spectacles: les spectateurs. Ce qui donne un enchaînement toujours un peu plat, terne et avec une folie qui, jour après jour, a laissé sa place à un certain mécanisme qui ne demande que des rires venus de l'extérieur pour bien s'enflammer.

Dans l'ensemble, ça marche. Ce spectacle de Noël reste proche du cabaret festif (avec un côté bric-à-brac bien assumé!), avec ses numéros éclatés et ses personnages loufoques (personnages différents d'un numéro à l'autre). Les liens fonctionnent et nous continuons à trouver des manières d'ajouter des répliques, de préciser des actions, d'établir concrètement les scénarios.

Compte tenu du contexte de création, c'est la gestion de la technique (le son et les micros) qui pose toujours un peu de problème. Demain, le montage final de la salle viendra corriger le tout.

La résignation (!) d'une comédienne...

Portrait de Mlle Mars (anonyme, XIXième siècle)

Après le billet d'hier consacré à un sonnet pour Sarah Bernardht écrit par Rostand, j'ai poursuivi la lecture du bouquin d'où il était tiré, à savoir Reines de théâtre, par Dussane, publié en 1944 aux éditions H. Lardanchet (Lyon). J'en arrive à un autre grand monstre de l'histoire du théâtre: Mademoiseille Mars (1779-1847).

Le règne de ces comédiennes ont dépassé largement la scène et c'est tout le monde qui gravitait autour d'elles qu'elles ont tenté de maîtriser... parfois avec autorité, d'autres fois avec caprice, persuasion, manipulation, résignation, etc. Mais toujours - surtout avec le recul aidant! - avec une majesté qui me fascine...

Voici un choc des titans entre cette Mlle Mars et nul autre que Victor Hugo (un autre grand monstre de l'art dramatique) rapporté par Dumas:

«Au milieu de la répétition [n.d.r.: de la création d'Hernani, en 1830], Mlle Mars s'arrêtait tout à coup... Pardon, disait-elle à son partenaire, j'ai un mot à dire à l'auteur.

- Monsieur Hugo? demandait-elle, M. Hugo est-il là?

- Me voici, Madame, répondit Hugo en se levant.

- Ah! Très bien! merci... Dites-moi, Monsieur Hugo...

- Madame?

- J'ai à dire ce vers-là: Vous êtes un lion superbe et généreux!

- Oui, Madame, Hernani vous dit: Hélas, j'aime pourtant d'une amour bien profonde! | Ne pleure pas... Mourrons plutôt! Que n'ai-je un monde, | Je le donnais! Je suis bien malheureux! Et vous lui répondez: Vous êtes mon lion superbe et généreux!

- Est-ce que vous aimez cela, Monsieur Hugo?
- Quoi?

- Vous êtes mon lion!

- Je l'ai écrit ainsi, Madame, trouvez-moi quelque chose de mieux, et je mettrai cette autre chose à la place.

- Ce n'est pas à moi de trouver cela; je ne suis pas l'auteur, moi.

- Eh bien, alors, Madame, puisqu'il en est ainsi, laissons tout uniment ce qui est écrit.

- C'est qu'en vérité cela me semble si drôle d'appeler M. Firmin [n.d.r.: son partenaire masculin] mon lion!

- Ah! parce qu'en jouant le rôle de Dona Sol vous voulez rester Mademoiselle Mars; si vous étiez vraiment la pupille de Ruy Gomes de Sylva, c'est-à-dire une noble castillane du XVIième siècle, vous ne verriez pas dans Hernani M. Firmin; vous y verriez un e ces terribles chefs de bande qui faisaient trembler Charles-Qunit jusque dans sa capitale: alors vous comprendriez qu'une telle femme peut appeler un tel homme son lion, et cela vous semblerait moins drôle!

- C'est bien, puisque vous tenez à votre lion, n'en parlons plus. Je suis ici pour dire ce qui est écrit: il y a dans le manuscrit: «Mon lion!», je dirai «Mon lion!» moi... mon Dieu! cela m'est bien égal! Allons Firmin! Vous êtes mon lion superbe et généreux!

Et la répétition continuait.

Et chaque jour la scène recommençait: Mars voulant arriver à supprimer ce «mon lion» et à le remplacer par un inoffensif «Mon seigneur» - ce qu'elle fit d'ailleurs, le jour de la première.

Les incidents se multiplièrent jusqu'au jour où Hugo exaspéré lui redemanda son rôle. Elle cessa alors ses taquineries, et les remplaça par une froide résignation.»

Par chance, ce genre de caprice venu d'un ou d'une interprète n'existe plus... Euh...