(CORVIN Michel, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Larousse, Paris, 1998)
Après que l'expression ait été utilisée à maintes reprises ces derniers jours (et dans ce blogue), je me permets un petit détour dans l'ouvrage de référence citée ci-haut:
Le mot esthétique apparaît en Allemagne en 1750 et ne devient d'un usage courant qu'entre 1800 et 1850. Il désigne la science, ou plus modestement, la réflexion, qui porte sur la beauté des oeuvres d'art.
[...] Dès lors, deux directions s'offrent à la réflexion sur le beau. Il y a une esthétique normative et une esthétique simplement descriptive. La première donne des règles qu'elle prétend universelle. Un coup d'oeil sur l'histoire suffit pourtant à montrer que ces règles ne sont considérées comme valides que dans un temps et un milieu déterminés, et en outre qu'elles sont plus l'expression d'un goût que d'une nécessité objective. [...] Le beau n'est ni démontrable, ni immuable.
L'esthétique descriptive, pour des raisons différentes, n'a pas davantage réussi à s'imposer, pas plus au théâtre que dans les autres arts. Certes, elle est plurielle, elle offre une variété de descriptions des formes. On pourrait, dans l'esthétique théâtrale, en suivant les grandes époques de l'histoire du théâtre ou des aires géographiques suffisamment contrastées, établir une série de monographies dont chacune aurait sa cohérence. (1) [...] Somme toute, il n'y a pas une esthétique théâtrale, il y en a nécessairement plusieurs. Aucun principe d'organisation qui serait commun è à ces divers sous-systèmes ne semble apparaître. L'ensemble des esthétiques théâtrales n'est pas comparable à celui des corps chimiques, qui est cohérent, même s'il est ou a été incomplet.
L'originalité de chaque esthétique semble irréductible. Irrémédiablement enchaînée au concret, l'esthétique théâtrale a en fait renoncé à dépasser les frontières de l'histoire et a tenu le plus grand compte, en cherchant sa propre définition, des techniques ou des idéologies avec lesquelles elle est contrainte de travailler. Elle apporte plus ou moins nettement selon les cas, sa couleur propre à l'architecture du bâtiment théâtral, à la dramaturgie, à la mise en scène, à la pratique du comédien, aux décors, aux costumes, aux éclairages, aux effets sonores, etc. Elle ne peut pas ne pas intégrer non plus, dans la mesure où son public les attend, de vastes paysages historiques, une morale, au moins implicite, et même une métaphysique. La combinaison de tous ces éléments acquiert nécessairement un sens .
Par cette approche, l'ensemble des esthétiques théâtrales tend à progresser vers ce qui est peut-être le rêve de la science théâtrale universelle, cette histoire totalisante du théâtre, cette Theaterwissenschaft. L'emploi de l'expression "esthétique théâtrale" au singulier ne dénoterait alors que l'aspiration à l'impérialisme culturel chez chacun des sous-systèmes qui prétendent à cette domination.
Peut-être ce billet demande-t-il une nuit de sommeil...
(1) Il y aurait, par exemple, et la liste est loin d'être exhaustive, une esthétique shakespearienne qu'on appelerait peut-être baroque, une esthétique classique ou pompeuse, niée et prolongée `ala fois par une esthétique romantique, une réaliste, une symboliste, une brechtienne, une de l'absurde, une du quotidien, etc.
Après que l'expression ait été utilisée à maintes reprises ces derniers jours (et dans ce blogue), je me permets un petit détour dans l'ouvrage de référence citée ci-haut:
Le mot esthétique apparaît en Allemagne en 1750 et ne devient d'un usage courant qu'entre 1800 et 1850. Il désigne la science, ou plus modestement, la réflexion, qui porte sur la beauté des oeuvres d'art.
[...] Dès lors, deux directions s'offrent à la réflexion sur le beau. Il y a une esthétique normative et une esthétique simplement descriptive. La première donne des règles qu'elle prétend universelle. Un coup d'oeil sur l'histoire suffit pourtant à montrer que ces règles ne sont considérées comme valides que dans un temps et un milieu déterminés, et en outre qu'elles sont plus l'expression d'un goût que d'une nécessité objective. [...] Le beau n'est ni démontrable, ni immuable.
L'esthétique descriptive, pour des raisons différentes, n'a pas davantage réussi à s'imposer, pas plus au théâtre que dans les autres arts. Certes, elle est plurielle, elle offre une variété de descriptions des formes. On pourrait, dans l'esthétique théâtrale, en suivant les grandes époques de l'histoire du théâtre ou des aires géographiques suffisamment contrastées, établir une série de monographies dont chacune aurait sa cohérence. (1) [...] Somme toute, il n'y a pas une esthétique théâtrale, il y en a nécessairement plusieurs. Aucun principe d'organisation qui serait commun è à ces divers sous-systèmes ne semble apparaître. L'ensemble des esthétiques théâtrales n'est pas comparable à celui des corps chimiques, qui est cohérent, même s'il est ou a été incomplet.
L'originalité de chaque esthétique semble irréductible. Irrémédiablement enchaînée au concret, l'esthétique théâtrale a en fait renoncé à dépasser les frontières de l'histoire et a tenu le plus grand compte, en cherchant sa propre définition, des techniques ou des idéologies avec lesquelles elle est contrainte de travailler. Elle apporte plus ou moins nettement selon les cas, sa couleur propre à l'architecture du bâtiment théâtral, à la dramaturgie, à la mise en scène, à la pratique du comédien, aux décors, aux costumes, aux éclairages, aux effets sonores, etc. Elle ne peut pas ne pas intégrer non plus, dans la mesure où son public les attend, de vastes paysages historiques, une morale, au moins implicite, et même une métaphysique. La combinaison de tous ces éléments acquiert nécessairement un sens .
Par cette approche, l'ensemble des esthétiques théâtrales tend à progresser vers ce qui est peut-être le rêve de la science théâtrale universelle, cette histoire totalisante du théâtre, cette Theaterwissenschaft. L'emploi de l'expression "esthétique théâtrale" au singulier ne dénoterait alors que l'aspiration à l'impérialisme culturel chez chacun des sous-systèmes qui prétendent à cette domination.
Peut-être ce billet demande-t-il une nuit de sommeil...
(1) Il y aurait, par exemple, et la liste est loin d'être exhaustive, une esthétique shakespearienne qu'on appelerait peut-être baroque, une esthétique classique ou pompeuse, niée et prolongée `ala fois par une esthétique romantique, une réaliste, une symboliste, une brechtienne, une de l'absurde, une du quotidien, etc.