mardi 7 octobre 2008

Esthétique théâtrale

Honoré Daumier (1808-1878)
Les fruits d'une mauvaise éducation dramatique



(CORVIN Michel, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Larousse, Paris, 1998)

Après que l'expression ait été utilisée à maintes reprises ces derniers jours (et dans ce blogue), je me permets un petit détour dans l'ouvrage de référence citée ci-haut:

Le mot esthétique apparaît en Allemagne en 1750 et ne devient d'un usage courant qu'entre 1800 et 1850. Il désigne la science, ou plus modestement, la réflexion, qui porte sur la beauté des oeuvres d'art.

[...] Dès lors, deux directions s'offrent à la réflexion sur le beau. Il y a une esthétique normative et une esthétique simplement descriptive. La première donne des règles qu'elle prétend universelle. Un coup d'oeil sur l'histoire suffit pourtant à montrer que ces règles ne sont considérées comme valides que dans un temps et un milieu déterminés, et en outre qu'elles sont plus l'expression d'un goût que d'une nécessité objective. [...] Le beau n'est ni démontrable, ni immuable.

L'esthétique descriptive, pour des raisons différentes, n'a pas davantage réussi à s'imposer, pas plus au théâtre que dans les autres arts. Certes, elle est plurielle, elle offre une variété de descriptions des formes. On pourrait, dans l'esthétique théâtrale, en suivant les grandes époques de l'histoire du théâtre ou des aires géographiques suffisamment contrastées, établir une série de monographies dont chacune aurait sa cohérence. (1) [...] Somme toute, il n'y a pas une esthétique théâtrale, il y en a nécessairement plusieurs. Aucun principe d'organisation qui serait commun è à ces divers sous-systèmes ne semble apparaître. L'ensemble des esthétiques théâtrales n'est pas comparable à celui des corps chimiques, qui est cohérent, même s'il est ou a été incomplet.

L'originalité de chaque esthétique semble irréductible. Irrémédiablement enchaînée au concret, l'esthétique théâtrale a en fait renoncé à dépasser les frontières de l'histoire et a tenu le plus grand compte, en cherchant sa propre définition, des techniques ou des idéologies avec lesquelles elle est contrainte de travailler. Elle apporte plus ou moins nettement selon les cas, sa couleur propre à l'architecture du bâtiment théâtral, à la dramaturgie, à la mise en scène, à la pratique du comédien, aux décors, aux costumes, aux éclairages, aux effets sonores, etc. Elle ne peut pas ne pas intégrer non plus, dans la mesure où son public les attend, de vastes paysages historiques, une morale, au moins implicite, et même une métaphysique. La combinaison de tous ces éléments acquiert nécessairement un sens .

Par cette approche, l'ensemble des esthétiques théâtrales tend à progresser vers ce qui est peut-être le rêve de la science théâtrale universelle, cette histoire totalisante du théâtre, cette Theaterwissenschaft. L'emploi de l'expression "esthétique théâtrale" au singulier ne dénoterait alors que l'aspiration à l'impérialisme culturel chez chacun des sous-systèmes qui prétendent à cette domination.


Peut-être ce billet demande-t-il une nuit de sommeil...

(1) Il y aurait, par exemple, et la liste est loin d'être exhaustive, une esthétique shakespearienne qu'on appelerait peut-être baroque, une esthétique classique ou pompeuse, niée et prolongée `ala fois par une esthétique romantique, une réaliste, une symboliste, une brechtienne, une de l'absurde, une du quotidien, etc.

Tra la la la la lère

Non... ce n'est pas du théâtre... mais tout de même! Quelle belle mise en scène infographique d'une musique!

Conférence de presse

Les Têtes Heureuses ont tenu leur conférence de presse annuelle pour faire état de leur programmation à venir.

Il y fut question, bien entendu, de La Cerisaie de Tchekhov qui mettra en scène treize comédiens (pour dire vrai, il s'agit plutôt de douze acteurs et de moi!). En quelques mots, le directeur artistique résume: Ce que j'écris, c'est la vie disait Tchekhov... Seul vaut la peine la transmission de l'intransmissible, répondait Blanchot. Et voilà le programme établi sur la ligne ténue du théâtre.

Il y fut également question du colloque attenant à ce spectacle... colloque - ou plutôt rencontre - qui s'articulera, cette année, autour du thème La vie même et qui - par des conférences, tables rondes, entrevues, projections, etc. - essaiera non pas de répondre mais de réfléchir à diverses questions (et bien d'autres): de quelle dramaturgie avons-nous besoin maintenant? pourquoi la scène contemporaine semble-t-elle avoir du mal à rendre compte du politique et du métaphysique et à inventer un nouveau réalisme? comment jouer ce théâtre encore si stupéfiant formellement? Il s'agit d'une activité ouverte à tous, et très enrichissante qui vaut le coup...

Il y fut aussi question, en troisième lieu, de l'exposition qui prend place présentement dans la Galerie L'Oeuvre de l'autre, Histoires discrètes (quelques fêlures) de Carol Dallaire, qui fait écho à la pièce de Tchekhov par les thèmes, les images, les répliques traités par l'artiste. Le tout sera assorti d'une publication et d'un vernissage, demain soir (avec un magnifique buffet!).

Enfin, comment ne pas s'attarder un instant sur la situation financière des Têtes Heureuses, affligées d'une coupure drastique du CALQ... Cette partie serait longue à élaborer... un jour, pourtant, il faudra que je m'y astreigne...