mercredi 21 juillet 2021

Dans les nuances du théâtre de l'absurde


Alors que mon Dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin traîne sur ma table du salon, il m'est venu l'envie de le feuilleter pour regarder ce qu'il dit du théâtre de l'absurde... genre méconnu s'il en est un, souvent défini par son seul intitulé absurde

D'emblée, ce n'est pas systématiquement une veine comique... loin s'en faut! Ce n'est ni du vaudeville, ni du burlesque même s'il peut (comme dans La Cantatrice Chauve du Théâtre 100 Masques) en avoir les apparences. Son absurde n'est, en aucun cas, synonyme de légèreté ou de bouffonnerie.

Que soutient-il exactement?

Sous l'appellation de théâtre de l'absurde, on désigne la plus importante génération d'auteurs dramatiques de la seconde moitié du XXième siècle, au premier rang desquels Beckett, Ionesco, Adamov, Genet et Pinter. À mesure que leurs oeuvres respectives se singularisaient, ces auteurs ont prouvé qu'ils ne formaient - même s'il existe manifestement, quant aux thèmes et à la forme, un dénominateur commun entre eux - ni une école ni une tendance homogène de l'écriture dramatique contemporaine.

Le metteur en scène Blin insiste bien sur le fait que «ce sont les critiques qui ont établi une connivence entre des auteurs qui étaient totalement seuls, une convergence qui n'existait pas» et il ne veut retenir qu'«une connivence avec l'époque.» «Connivence avec l'époque», c'est-à-dire reprise à leur compte par Adamov, Beckett et Ionesco - ces trois exilés qui ont choisi Paris et la langue française - des thèmes existentialistes, dont celui de l'«absurde», que véhiculèrent la littérature et le théâtre de Sartre et de Camus et, surtout, de ce malaise, de cette angoisse d'un déracinement et d'une insécurité généralisée qui caractérisent l'Europe d'après Auschwitz. 

La dramaturgie de Beckett, de Genet, de Ionesco, d'Adamov en ses débuts nous montrent des êtres qui ont perdu leurs attaches et leurs repères intimes aussi bien que cosmiques et qui errent, le plus souvent immobiles, à la recherche d'un introuvable refuge. Allégorie d'une humanité en souffrance dans les décombres du «Théâtre du monde». 

[...] Parcelles de vie prises dans les tourbillons du néant, êtres repliés sur eux-mêmes, enkystés dans leur «vieux coin» et/ou perdus dans le no man's land, créatures d'un langage qui prolifère de façon cancéreuse et se perd dans le «nonsense», les personnages du «théâtre de l'absurde» sont des anti-héros par excellence et ils atteignent [...] aux plus petites dimensions humaines possibles.

[...] Théâtre de l'«inquiétante étrangeté», a-t-on pu dire, en parant d'un concept freudien cette dramaturgie des années cinquante. Le sentiment d'inquiétante étrangeté procéderait, d'après Freud, de l'«exagération de la réalité psychique par rapport à la réalité matérielle». Or cette exagération est bien une tendance clé du «théâtre de l'absurde»: ce que nous voyons déployé sur la scène, c'est le spectre d'individus saisis par les pulsions, les hantises, les fantasmes, les rêves et les névroses d'un temps et d'un espace donnés: l'Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. On a d'ailleurs reproché à ce «nouveau théâtre» d'exalter, dans sa vision pessimiste et fataliste de la condition humaine, l'individu et de négliger complètement les circonstances sociales et historiques. 

Ce théâtre de l'absurde impose donc tout un champ de réflexions, de pistes de travail. Bien sûr, dans le cas de notre production estivale de La Cantatrice Chauve du Théâtre 100 Masques, nous avons misé sur l'effet comique de la pièce beaucoup plus que sur cette théorie. Mais il est tout de même intéressant de la connaître!