samedi 27 octobre 2012

Les règles de la claque


S'il est une vétuste tradition théâtrale que je trouve fascinante, c'est bien celle de la claque.Un élément pour forcer l'adhésion du spectateur à la pièce en cours, pour flatter l'ego de l'auteur ou de l'acteur, pour soutenir des cabales. Il s'agit là, en quelque sorte, d'une mise en scène concrète de la salle, d'une arme qui devait savoir se faire terrible. 

Mais n'était pas claqueur qui veut. C'était un art complet avec ses règles et ses contraintes. Un art éminemment hiérarchique. Un système.

Voici ce que Louis Castel Robert, claqueur de son état, affirme avoir reçu, dans ses Mémoires (publiées en 1829), comme recommandations écrites lors de son embauche (ce qu'il appelle de façon charmante ses instructions claquo-diplomatiques!):

Tout claqueur faisant partie de l'une des brigades en service auprès du Théâtre-Français, doit d'abord se pourvoir d'une mise décente, attendu qu'il est possible qu'on le désigne pour travailler à l'orchestre, à la première galerie et même dans une loge louée. Toutefois, il lui est expressément défendu d'avoir des gants, parce qu'il pourrait les garder par distraction ou paresse, et que son travail en souffrirait.

Tout acteur sociétaire a droit à une salve lors de son entrée en scène; seulement, il faut que les bravos soient mieux nourris pour les membres du comité d'administration, car ce sont eux qui fixent le nombre de billets à distribuer. Les deux semainiers doivent également être chauffés à un degré de plus que les autres sociétaires: c'est un usage qui a force de loi.

Le silence le plus absolu doit être gardé à l'égard des pensionnaires qui ne se sont pas recommandés; et quand même ils auraient fait le nécessaire, il faut bien prendre garde que le nombre des claques n'excède pas la douzaine; sans cela, le chef d'emploi pourrait s'en alarmer. Il n'y a pourtant pas d'inconvénient à donner la treizième à ces dames et demoiselles, parce qu'on peut, au besoin, l'attribuer à la galanterie du public.

Mêmes manœuvres doivent s'effectuer aux sorties avec les nuances commandées par le rang de chaque artiste. Au reste, il suffit d'avoir l'œil ouvert sur le chef de file qui, ayant le mot d'ordre, fait tous les signaux convenus, d'après les mouvements télégraphiques du général. Cette partie du métier n'est, pour ainsi dire, que le pont aux ânes.

Mais ce qui exige la plus grande attention, c'est la manière de distribuer les applaudissements pendant la représentation d'une pièce: il faut sentir, deviner ce qu'éprouve le spectateur, afin de ralentir ou de presser, selon la circonstance. Dans ce cas, on cause avec ses voisins et on ne part que lorsqu'on les voit disposés à marcher d'accord. Cet article ne concerne que les brigadiers, les soldats devant se borner à suivre les impulsions qu'on leur donne. Néanmoins, les uns et les autres ne sont, ainsi qu'on l'a déjà dit, que des machines, des marionnettes, des automates, dont le général tient le fil entre ses mains.

Ce qu'il ne faut jamais négliger, c'est de saisir toutes les allusions qui peuvent flatter l'amour propre d'un acteur ou d'une actrice. Quand, par exemple, il se trouve qu'un personnage dit à l'autre: vous jouez parfaitement la comédie! ou bien: vous avez beaucoup d'esprit! il faut alors montrer, par des bravos soutenus, qu'on sait comprendre l'intention de l'auteur. Souvent il a suffi d'une phrase de ce genre pour faire rester une pièce au répertoire.

Peut-être qu'un jour je tenterai l'expérience dans une mise en scène archéologique...