dimanche 28 février 2021

Magasiner ou aller au théâtre? Le dilemme de la ménagère qui s'ennuie...

La bonne ménagère qui a du temps libre, en après-midi (entre ses 12 enfants, son mari, ses beaux-parents, les repas, la cuisson du pain, le ménage, le lavage à la main et la couture) a deux choix: magasiner... mais c'est si onéreux..., ou bien aller au théâtre! Talam! Après tout les matinées sont si populaires à Montréal (c'est d'ailleurs là un des traits distinctifs de cette vague burlesque qui déferle à l'époque)! Un divertissement accessible qui pourra la faire rêver! 

C'est ce que dit, en substance, ce papier paru dans le numéro de novembre 1913 de Pour vous Mesdames - Revue mensuelle illustrée

Ça change de l'opprobre habituel qui traverse les articles de ce début du vingtième siècle!

samedi 27 février 2021

Du Grand Guignol en théâtre-web - À la recherche d'une plateforme...

J'ai écrit, il y a quelques semaines (ici), à propos du cours que je donne présentement à l'UQAC. 

Avec mon équipe de concepteurs (Alexandre Nadeau et Sophie Châteauvert) et mes six étudiants-comédiens, nous travaillons, je disais, sur des textes d'André de Lorde, maître prolifique du Grand Guignol pour aborder le théâtre-web et sa diffusion numérique. Le contexte pandémique a grandement inspiré le projet, il va sans dire!

Ce que nous cherchons à faire, c'est de surpasser la simple captation et retransmission (qui imposent aussi, il est vrai, leurs questionnements et leurs embûches) pour permettre, au spectateur derrière son écran, une expérience de la représentation en cours... car oui, pour respecter l'un des éléments essentiels du théâtre - le risque du présent, de l'entrain de se faire - tout se fera en direct. 

Comme pour une représentation traditionnelle, l'événement sera circonscrit dans le temps. Les gens devront donc se brancher à une heure précise. Pas d'enregistrement. Pas de différé. Que du direct.

L'hypothèse de recherche (après tout, nous sommes à l'université) étant que ce que le spectateur perd en présence (présence qui sera pourtant réelle dans le Petit Théâtre), il doit minimalement pouvoir le gagner en participation (à défaut d'interactivité puisqu'il n'aura pas d'influence sur le déroulement du spectacle). 

Et c'est là que le défi commence.

Nous souhaitons permettre, pour celui ou celle qui assistera à la représentation, de chez-lui, de s'immerger dans la représentation en utilisant, comme point de vue, le point de vue d'un des personnages (et je précise: point de vue visuel et point de vue sonore parce que du coup, il y devrait y avoir spatialisation du son). Il pourra passer de l'un à l'autre à son gré, au gré de l'action. Sans retour en arrière. Un choix qui détermine sa propre réception de ce qui se déroule devant lui.

Pour y arriver, chaque étudiant-comédien portera, intégrée à son vêtement, une caméra subjective (en l'occurrence, son téléphone équipé d'un micro) qui permettra au spectateur de se substituer à lui.

Nous imaginons cela un peu dans cette forme: 


L'idée nous semblait somme toute assez simple... mais ce n'est pas le cas. Pas dans ce cas précis où nous voulons que chaque spectateur soit autonome, qu'il puisse manoeuvrer la plateforme de diffusion à sa guise, sans être dérangé par d'autres spectateurs.

Nous avons explorer différentes avenues technologiques: Messenger/FaceTime, Google Meet, ManyCam et Zoom, Streamyard, le webinaire... et nous avons consulté plusieurs intervenants. Il semble qu'à notre (très petite) échelle, ce que nous souhaitons faire n'existe pas vraiment. Bien sûr, avec des moyens financiers importants, on peut tout faire (et ça se fait déjà pour les grands événements sportifs). Mais pour l'envergure moindre de notre projet (et par extension, si on pousse le concept plus loin, pour un petit organisme culturel), il ne semble pas y avoir de plateforme accessible.

Nous nous sommes donc tournés (vive les réseaux de contacts!) vers une boîte spécialisée en événements virtuels, WaveForm (ici) pour explorer la faisabilité d'une telle plateforme, taillée sur mesure pour nos besoins. Pour connaître les enjeux technologiques et numériques de celle-ci, ses écueils possibles, ses composantes. 

Réponse: oui, cette plateforme de diffusion qui nous est nécessaire est envisageable. Et plus encore! Elle est non seulement envisageable mais elle sera réalisée, en partenariat avec nous et notre spectacle sera l'objet de ce prototype! Parce que le projet est stimulant. Plein de défis et de questions à résoudre (mais ici, ça sort de mes compétences). Parce que les possibilités d'utilisation, par la suite sont multiples. Parce qu'une fois créée, cette plateforme sera disponible, par location de licence chez WaveForm, pour d'autres petits organismes et petits événements. 

Le processus est maintenant lancé. 

À compter du retour de la mi-session jusqu'à la fin du mois d'avril, nous continuerons donc le travail de mise en scène (complexifiée du fait qu'il faille mettre en scène six points de vue et que ceux-ci doivent toujours être intéressants, tant du point de vue de l'action que de l'esthétique) en salle de répétition dans le théâtre, tout en collaborant activement à cette élaboration numérique.

Rendez-vous les 29 et 30 avril prochain pour le test ultime: le spectacle!

jeudi 25 février 2021

Quand Aurore ne passe pas...

L'un des plus grands succès du théâtre québécois, Aurore l'enfant martyre, n'as pas nécessairement été bien accueilli partout. La preuve en est cet article paru dans la Gazette du Nord du 10 juin 1949:




lundi 22 février 2021

Des longueurs dans la pièce!

Il arrive parfois, quand on écrit, de se laisser porter par la prolixité, de se perdre dans les mots et les phrases qui s'accumulent avec emphase, sans trouver de réels débouchés.

Et parfois, ce trop devient juste encombrant! 

Le grand Alexandre Dumas, l'a durement éprouvé, ce 30 mars 1830 lors de la création sa pièce Christine ou Stockholm, Fontainebleau et Rome (sur la fameuse reine de Suède qui a aussi inspirée, il y a quelques années, Michel-Marc Bouchard, qui écrivit alors Christine, la Reine-garçon):

Vraiment, emporté par une imagination galopante, Alexandre n'a pas fait court! Commencé à dix-neuf heures, à minuit et demi le spectacle n'est pas achevée; et, lorsqu'à une heure moins le quart la reine Christine mourante demande à son médecin: «Combien me reste-t-il à vivre?» et que celui-ci répond: «Un quart d'heure, madame», du poulailler, une voix mi-gouailleuse, mi excédée lance:

- Un quart d'heure, pas plus! Si c'est pas fini à une heure, nous on s'en va!... 

La pauvre Christine expire dans un climat de franche hilarité!

Désemparé, l'auteur est un peu perdu et ne sait plus où couper pour rendre son texte plus efficace... par chance, deux de ses amis - et pas les moindres! - Victor Hugo et Alfred de Vigny passeront, semble-t-il, une soirée à élaguer, épurer, resserrer l'action pour que le lendemain, la pièce triomphe...

(L'anecdote est tirée de Marie Dorval, grandeur et misère d'une actrice romantique, d'Anna Gaylor, publié en 1989 chez Flammarion.)


dimanche 21 février 2021

Le mélodrame... «tragédie des pauvres»


Je continue de lire, par temps perdu, des mélodrames. Voici comment ceux-ci sont définis dans l'Encyclopédie Universalis:

Le mélodrame est un genre décrié. Sa réputation a été grande [...].De nos jours, le mélodrame « est victime d'un reproche majeur et général : il est populaire, boulevardier, vulgaire ; c'est la tragédie du pauvre ou le drame du pauvre », écrit P. Frantz, qui ajoute : « Il n'est décrit qu'à travers deux figures si fréquentes de l'histoire littéraire, celle de la décadence et celle de l'enfance ; il est décrit tantôt comme l'ultime décadence de la tragédie, [...] tantôt comme l'enfance du drame romantique. »

Voilà, je trouve, une fort bonne entrée en matière qui repositionne ce genre dans son fil historique théâtral: genre charnière, genre de transition.

Le Dictionnaire encyclopédique du théâtre de Michel Corvin précise: [...] Ce théâtre visuel d'inspiration romanesque comble en trois actes l'attente d'un public élargi en jouant savamment sur les effets violents et conjugués du pathos et du spectaculaire. Les nombreuses péripéties et la richesse d'une mise en scène minutieuse (dirigée par l'auteur) servent la simplicité d'un argument moral toujours identique: la vertu persécutée puis récompensée, le crime châtié. Qu'ils soient de tonalité historique [...], qu'ils narrent un drame bourgeois [...], des aventures mouvementées [...] ou une enquête criminelle [...], ces mélodrames suscitent d'extraordinaires enthousiasmes.

Des mélodrames, donc, j'en lis plusieurs.

Et justement, je lis particulièrement ceux du nommé René Charles Guilbert de Pixérécourt, surnommé aussi le Corneille du mélodrame. Il est l'incontournable, le Maître. Ses oeuvres - nombreuses: il a écrit 111 pièces qui auraient été jouées plus de 30 000 fois! - sont considérées comme étant les plus typiques. Et si ses dernières pièces (autour de 1820-1830) semblent proches du romantisme  qui bat alors son plein, il se défend bien d'appartenir à ce nouveau courant.

J'ai lu récemment de lui (et ses titres :
  • Le Mont Sauvage ou le solitaire;
  • L'homme à trois visages ou le proscrit;
  • Le monastère abandonné ou la malédiction paternelle;
  • La chapelle des bois ou le témoin invisible;
  • Le Belvéder ou la vallée de l'Etna;
  • La fille de l'exilé ou huit mois en deux heures.
C'est là du théâtre profondément manichéen qui donne une fort bonne illustration de la notion des emplois au théâtre: l'ingénue, les amoureux, le noble, le traître, le valet, etc. 

Je lis avec un plaisir à chaque pièce renouvelé... avec, en tête, une idée encore vague de ce que je compte en faire. Mais projet il y aura assurément tant la matière est riche et intéressante. 

samedi 20 février 2021

Le théâtre... dépendant des Pouvoirs publics.

Molière à la table de Louis XIV, par Jean-Dominique Ingres, 1857

Art de la représentation né avec l'homme dans les temps les plus anciens, le théâtre a toujours eu une valeur de reflet et/ou de ferment actif de la société dans laquelle il s'exerce. Miroir déformant, contestataire ou flatteur, questionneur ou amuseur, le théâtre l'était et le restera toujours. Dans le monde occidental, chaque épisode semble avoir accouchée de son théâtre. Théâtre et société apparaissent indissociables. 

Quel que soit le régime politique, philosophique ou économique d,un pays - pays occidentaux dits capitalistes, pays à régime dit communiste, pays du tiers-monde - le théâtre comme instrument culturel a toujours eu besoin du soutien financier des autorités nationales pour subsister et pour travailler.

De tout temps, le théâtre a dû composer avec le Pouvoir public. Le dramaturge de l'Antiquité grecque aspirait au statut d'auteur national qui, une fois pour toutes, réglerait ses problèmes de subsistance. Au siècle de Louis XIV, Molière pouvait monter ses spectacles selon qu'il entrait ou non dans les bonnes grâces de la cour. (Entendons humeurs, pressions de toutes sortes aussi bien que finances.)

Les régimes politiques se sont modifiées cependant que le théâtre continue de dépendre des pouvoirs publics. Deux attitudes se dégagent habituellement. Dans les pays riches, le théâtre est défini comme un moyen de culture et/ou de délassement. Dans les jeunes pays, il devient plus souvent un levier culturel, didactique et/ou politique. Même dichotomie chez les artisans de théâtre eux-mêmes. Selon qu'ils appartiennent à un théâtre établi (de répertoire et/ou de recherche), ils privilégient la première option ou la seconde. Quel que soit le choix cependant, les artistes font appel à l'assistance de l'État qui, lui, choisit de répondre ou non aux demandes qui lui sont faites.

Cette brève histoire du théâtre (et, par extension, de tous les arts) et de sa dépendance aux Pouvoirs publics ouvre le premier chapitre du bouquin Le théâtre et l'État au Québec d'Adrien Gruslin, paru en 1981 chez VLB Éditeur

L'État a toujours eu un rôle majeur à jouer dans la naissance, le développement, l'épanouissement de la Culture.

Je trouve cette mise en perspective très parlante, tant dans le rapport entre le théâtre et ce besoin d'être soutenu quand dans le rapport entre le divertissement et la recherche. Et à chaque demande de subvention (j'allais presque dire à chaque jour), il faut être en mesure de situer sa propre pratique à travers ces différents pôles pour convaincre et aspirer, comme ces artistes d'il y a 2500 ans, avoir les moyens de travailler. 

lundi 15 février 2021

Quand Claude Gauvreau se mêle de formation (3)

C'est le dernier article de trois parus dans le journal Le Canada, entre le 4 et le 10 juin 1952, signés par Claude Gauvreau, dédiés à l'enseignement dramatique. Après un premier papier consacré à la formation en générale et un second aux professeurs, voici celui consacré aux élèves. 

(Dans la dernière partie de l'article, il citera et commentera le jeu de jeunes aspirants comédiens... parmi lesquels, plusieurs auront - jusqu'à nos jours - une bonne carrière!)



dimanche 14 février 2021

La Poune... à «Aujourd'hui l'histoire»

 

La fort bonne série Aujourd'hui l'histoire, présentée chaque jour sur les ondes de la première chaîne d'ICI Radio-Canada, a consacré une émission, la semaine dernière, à l'une des grandes figures du burlesque québécois: La Poune... Rose Ouellette de son vrai nom. 


L'une des pionnières du théâtre québécois (elle dirigera deux théâtres professionnels des années 20 aux années 60) dans un monde d'hommes. Une toute petite femme qui mènera une immense carrière, pas souvent reconnue à sa juste valeur...

Il est possible d'écouter cette émission en rattrapage, ici
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Par ailleurs, j'ai déjà parlé de cette série et de ses épisodes dédiés au théâtre ici. À ceux identifiés déjà identifiés dans ce billet, s'ajoutent: 

samedi 13 février 2021

Quand Claude Gauvreau se mêle de formation (2)

Je continue, ce matin, dans la suite du billet précédent (ici) en publiant le second (de trois articles) de Claude Gauvreau, paru dans l'édition du 7 juin 1952 du journal Le Canada, dédié  à la formation théâtrale. Cette fois, il se penche concrètement sur les professeurs et leurs façons de transmettre, de pousser les étudiants. 

Fort intéressant... d'autant plus que les professeurs dont il est question ici sont, pour la plupart, les fondateurs, cette même année, du Théâtre du Nouveau-Monde qui a aussi l'ambition, à cette époque, d'avoir une école qui y est rattachée.



vendredi 12 février 2021

Quand Claude Gauvreau se mêle de formation (1)

 Il est l'un des auteurs les plus avant-gardistes de notre dramaturgie québécoise dont la notoriété explosera après sa mort. Claude Gauvreau (sa biographie ici) transcende son époque avec des oeuvres phares comme La charge de l'orignal épormyable, Les oranges sont vertes et L'Asile de la pureté. Un homme torturé par ses doutes, ses angoisses, sa vie. 

Ce que je n'avais jamais assimilé, de son histoire, c'est qu'il avait écrit pour des journaux, dont Le Canada. Et c'est dans celui-ci qu'il a entrepris, en 1952, une série d'articles portant sur la formation. Et c'est fort intéressant. Bon, je l'admets, que sur un blogue, c'est un peu long à lire... mais en même temps, ce qu'il a dit il y a 70 ans est encore fort valable aujourd'hui!

Comme ce premier, paru le 4 juin 1952:


lundi 8 février 2021

L'avenir du théâtre canadien... par L.-O. David


Laurent-Olivier David (le père du politien Athanase David, l'arrière grand-père de François, Hélène et Charle-Philippe David, figures connues du monde politique et médiatique), politicien, journaliste et historien, avait une opinion assez tranchée (et de son époque) sur le théâtre: 

Un bon théâtre est une école de de beau langage et de bonnes manières, une source de nobles inspirations, un élément puissant de civilisation.

Un mauvais théâtre, un théâtre immoral, est une source empoisonnée de sentiments et de pensées funestes, un élément de démoralisation dont l'histoire constate les résultats déplorables.

[...]

Or, il est incontestable que c'est de nos jours le théâtre à la mode dans les centres les plus brillants mais les moins vertueux pour ne pas dire plus. C'est le fruit défendu avec toutes ses séductions les plus attrayantes, avec les tentations les plus dangereuses pour l'esprit, pour le coeur et les sens.

Je le redoute ce théâtre pour notre société; pour la conservation de nos traditions religieuses, nationales et morales. Le théâtre affine et police l'esprit, dit-on, c'est vrai, mais je préfère que notre population ait un peu moins d'esprit et plus de morale, moins d'éclat et plus de vertu.

Plus je vieillis plus je m'aperçois que le roman et théâtre moderne, ne feront pas des générations futures ce qu'étaient nos ancêtres, un peuple fort, capable de tous les dévouements, de tous les sacrifices.

Ce beau petit morceau de littérature est paru dans l'Annuaire Théâtral de 1909.

dimanche 7 février 2021

Alors cette «Face cachée de la Lune»?

 

C'était présenté comme étant un événement théâtral: la présentation, sur différentes plateformes, de la pièce La Face cachée de la Lune de Robert Lepage en direct du Diamant, à Québec. Et pour l'occasion, le créateur et comédien des quelques cent premières représentations remonterait sur scène, en compagnie de Yves Jacques,  celui qui l'a remplacé depuis des années pour quelques trois cent autres soirées!

Les attentes étaient élevées pour plusieurs (après tout, Lepage n'est-il pas une sommité du théâtre technologique...)... et les déceptions nombreuses (après tout, Lepage n'est-il pas etc.), si je me fie aux nombreux commentaires pendant et après la diffusion: des nombreux problèmes techniques qui semblent avoir touchés les spectateurs jusqu'aux «ça manque de vie», «le rythme est brisé», «ce n'est pas aussi spectaculaire qu'en salle», «le théâtre c'est de l'art vivant», «la présence manque»... «ce n'est pas ça le théâtre!».

D'une part, j'ai particulièrement apprécié pouvoir voir ce spectacle (que je n'avais encore jamais vu), apprécié goûter l'ingéniosité du metteur en scène, sa façon quasi cinématographique d'aborder la scène, son intégration des technologies, sa construction dramaturgique.

Maintenant, qu'est-ce que j'ai vu hier? Du théâtre! Du théâtre qui cherche un moyen de se faire. Du théâtre autre. Car si la pandémie est éprouvante pour le milieu des arts vivants, elle lui aura donné un sacré coup de pied pour tenter de s'approprier de nouvelles façons de se diffuser. Et en cela, c'est admirable.

Donc hier soir, il y avait bel et bien, peu importe comment on tourne la question, rendez-vous, expérience commune, présence simultanée des comédiens dans un même lieu... ou une même plateforme. Il y a avait là une vraie expérience théâtrale. Les codes étaient théâtraux, avec toutes les conventions amenées par Lepage. Le rapport à l'espace. Le rapport à l'objet. Le rapport à l'esthétique général. Tout était théâtral. Le rapport à la scène était théâtral. Du moins, du côté du Diamant... dans sa salle vide.

Du côté des spectateurs, c'était, en quelque sorte, la même chose: rendez-vous, expérience de groupe, code théâtraux, etc... mais sur un autre mode de rencontre.  Ni simple retransmission. Ni télé-théâtre. Du théâtre autre

Les paramètres de la diffusion par voie numérique, avec ses forces et faiblesses, ont accentué ainsi les forces et faiblesses du théâtre. Bien sûr, on pourra questionner l'absence de l'effet de présence, d'autant que les regards des comédiens n'étaient jamais directement braqués sur les caméras, amoindrissant du coup l'effet d'être les interlocuteurs principaux. Bien sûr, on pourra questionner le fait que ces mêmes caméras, par les changements de plans fréquents, affectaient le rythme (je ne parlerai pas ici des publicités qui n'auraient pas dû trouver un chemin jusqu'à ce projet); affectaient la perception en retirant la possibilité d'avoir une vue globale, imposant un point de vue unique; affectaient le plaisir du spectacle. Bien sûr, on pourra - pour ceux qui ont pu voir la pièce en salle - comparer les deux versions avec une nette préférence pour la première.

Était-ce donc du théâtre? Oui. Du théâtre autre. Imparfait. Toujours en quête de la plus efficace des diffusions pour toucher le plus grand nombre de personnes. Plein de promesses. Comme il a toujours fait avec les différents médias qui sont apparus au fil des décennies. 

Moi, encore une fois, j'ai adoré pouvoir assister (sans aucun problème de connexion, chanceux que je suis!) à ce spectacle. Mon événement annoncé, je l'ai eu. Et je crois profondément que le théâtre a, dans ces expériences de toutes sortes, une exceptionnelle voie de démocratisation (comme le furent, en leur temps, la radio et la télé) et qu'il n'y perdra jamais son âme. 

samedi 6 février 2021

Ah... ce théâtre du début du vingtième siècle...

Dans l'histoire du théâtre québécois, la période du début du vingtième siècle (1900-1930) voit une intensification inouïe de l'activité théâtrale dans les grands centres que sont Montréal et Québec. De nombreuses troupes sont créées. Plusieurs deviendront de véritables objets d'attractions populaires alors que d'autres seront plus qu'éphémères, le temps d'une seule saison, d'une tournée, soldée par une faillite ou une guerre intestine. Les artistes passent donc de l'une à l'autre, apprennent leur métier sur le tas en pratiquant le théâtre à la chaîne, en changeant de pièce à chaque semaine, donnant près d'une dizaine de représentations chaque fois. C'est donc dire le rythme effréné de travail... et en même temps, la réduction de celui-ci au minimum pour donner une nouvelle première à tous les sept jours!

C'est aussi l'époque de l'âge d'or du burlesque et du mélodrame, venus des États-Unis et de l'Europe par le biais de grandes tournées

Bref, ça bouge. Le théâtre est hyperactif.

Mais de plus en plus, des intellectuels s'élèvent contre cette façon de faire de théâtre, contre sa médiocrité... Des penseurs appellent à une véritable professionnalisation du théâtre au Québec avec ce que ça implique de formation (quasi inexistante), de répertoire (plutôt faible dans l'ensemble), d'infrastructure nationale (qu'on rêve calquée sur le modèle de la Comédie-Française). 


Cet article date de 1920, paru dans l'édition du 3 janvier du journal L'Autorité. Mais ils faudra encore la venue de Jean Béraud, du Père Émile Legault et de Gratien Gélinas pour que les choses changent. 

Le plus dommage, dans cette (juste!) professionnalisation à venir, c'est qu'elle va quand même gommer cette fabuleuse période qui n'aura plus jamais d'équivalent... la reléguer dans un Moyen-Âge théâtral barbare immérité. 
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J'ai déjà donné, le 12 décembre dernier, quelques extraits du livre mentionné en début d'article, Comédiens et Amateurs - Les dessous du théâtre.


mercredi 3 février 2021

Les principes meyerholdiens - révision!

Portrait de Vsevolod Meyerhold (cubisme), Nikolaï Kulbin, 1913

Portrait de Vsevolod Meyerhold (expressionnisme), Nikolaï Kulbin, 1913

Je me suis longtemps référé à Meyerhold pour expliquer ma vision du théâtre, ma façon d'aborder les textes, la mise en scène, les répétitions, le jeu, la scène... et je le fais encore tant je trouve son oeuvre inspirante, d'une richesse inouìe. Je suis un fan fervent!

Voici une brève synthèse qui me semble éclairante, tirée de l'Introduction aux grandes théories du Théâtre, par Jean-Jacques Roubine, publié en 1990, chez Bordas.

[...] Récusant le point de vue de son maître Stanislawski, il refuse d'enfermer le théâtre dans le mimétisme imposé par la tradition naturaliste. La virtuosité du geste et du corps, l'acrobatie deviennent, au détriment de la «récitation» et de la «déclamation», les outils essentiels de la représentation meyerholdienne.

De même le décor se transforme-t-il en «dispositif scénique» en ce sens qu'il cesse d'être la réplique plus ou moins exacte d'un modèle découpé dans la réalité. Il devient pure structure, architecture abstraite offrant des points d'appui et tremplins aux corps des acteurs. Bref, non plus une image, mais une machine à jouer qui ranime toutes les dimensions de l'espace.

Le costume connaît la même mutation. [...]

Les techniques de jeu découlent des principes de la biomécanique, d'une théorie qui - son nom le suggère - s'intéresse à l'acteur comme à une machine vivante. Sont exclus l'interprétation psychologisante, le «revivre» stanislawskien qui exigeait que l'acteur recherchât au tréfonds de sa mémoire le souvenir d'une émotion homologue de celle qu'il a à représenter. [...]

Le modèle meyerholdien oscille entre un besoin de dépouillement, un désir de nudité, de pureté qui visent à ramener le théâtre à son noyau fondateur (l'acteur) et un foisonnement baroque n'hésitant pas à mobiliser toutes sortes de techniques mises au service de cette exploration de la théâtralité. Les comédiens ne sont pas enfermés dans un rôle unique. Ils peuvent même figurer des éléments inanimés. C'est le principe du montage, la règle de l'hétérogénéité, une esthétique de la rupture conjuguant les techniques les plus diverses, pantomimes, guignol, music-hall, clownerie... 

C'est là, en quelques mots simples, tout ce qui m'intéresse au théâtre!

(Ce billet marquera le cap des 600 000 pages consultées sur ce blogue, depuis son ouverture en 2008... après la perte du premier - d'où le II dans le nom - ouvert, lui, en 2007).

lundi 1 février 2021

Des acteurs comme des oiseaux...

 

Une troupe d'oiseaux de passage ne regarde pas ceux qui tombent en volant,
mais continue sa route avec le vent.
Une troupe d'acteurs lui est pareille;
elle ne s'arrête pas à voir ceux qui se brisent
ni ceux qui ne peuvent plus voler;
elle continue sans pitié.
Tout est pour elle dans l'instant présent.

C'est par cet extrait d'Alfred de Musset que débute le bouquin sur la vie de Marie Dorval dont j'ai parlé il y a quelques jours.  Je trouve ça très beau... quoiqu'un peu triste comme vision du monde théâtral...