C'était présenté comme étant un événement théâtral: la présentation, sur différentes plateformes, de la pièce La Face cachée de la Lune de Robert Lepage en direct du Diamant, à Québec. Et pour l'occasion, le créateur et comédien des quelques cent premières représentations remonterait sur scène, en compagnie de Yves Jacques, celui qui l'a remplacé depuis des années pour quelques trois cent autres soirées!
Les attentes étaient élevées pour plusieurs (après tout, Lepage n'est-il pas une sommité du théâtre technologique...)... et les déceptions nombreuses (après tout, Lepage n'est-il pas etc.), si je me fie aux nombreux commentaires pendant et après la diffusion: des nombreux problèmes techniques qui semblent avoir touchés les spectateurs jusqu'aux «ça manque de vie», «le rythme est brisé», «ce n'est pas aussi spectaculaire qu'en salle», «le théâtre c'est de l'art vivant», «la présence manque»... «ce n'est pas ça le théâtre!».
D'une part, j'ai particulièrement apprécié pouvoir voir ce spectacle (que je n'avais encore jamais vu), apprécié goûter l'ingéniosité du metteur en scène, sa façon quasi cinématographique d'aborder la scène, son intégration des technologies, sa construction dramaturgique.
Maintenant, qu'est-ce que j'ai vu hier? Du théâtre! Du théâtre qui cherche un moyen de se faire. Du théâtre autre. Car si la pandémie est éprouvante pour le milieu des arts vivants, elle lui aura donné un sacré coup de pied pour tenter de s'approprier de nouvelles façons de se diffuser. Et en cela, c'est admirable.
Donc hier soir, il y avait bel et bien, peu importe comment on tourne la question, rendez-vous, expérience commune, présence simultanée des comédiens dans un même lieu... ou une même plateforme. Il y a avait là une vraie expérience théâtrale. Les codes étaient théâtraux, avec toutes les conventions amenées par Lepage. Le rapport à l'espace. Le rapport à l'objet. Le rapport à l'esthétique général. Tout était théâtral. Le rapport à la scène était théâtral. Du moins, du côté du Diamant... dans sa salle vide.
Du côté des spectateurs, c'était, en quelque sorte, la même chose: rendez-vous, expérience de groupe, code théâtraux, etc... mais sur un autre mode de rencontre. Ni simple retransmission. Ni télé-théâtre. Du théâtre autre.
Les paramètres de la diffusion par voie numérique, avec ses forces et faiblesses, ont accentué ainsi les forces et faiblesses du théâtre. Bien sûr, on pourra questionner l'absence de l'effet de présence, d'autant que les regards des comédiens n'étaient jamais directement braqués sur les caméras, amoindrissant du coup l'effet d'être les interlocuteurs principaux. Bien sûr, on pourra questionner le fait que ces mêmes caméras, par les changements de plans fréquents, affectaient le rythme (je ne parlerai pas ici des publicités qui n'auraient pas dû trouver un chemin jusqu'à ce projet); affectaient la perception en retirant la possibilité d'avoir une vue globale, imposant un point de vue unique; affectaient le plaisir du spectacle. Bien sûr, on pourra - pour ceux qui ont pu voir la pièce en salle - comparer les deux versions avec une nette préférence pour la première.
Était-ce donc du théâtre? Oui. Du théâtre autre. Imparfait. Toujours en quête de la plus efficace des diffusions pour toucher le plus grand nombre de personnes. Plein de promesses. Comme il a toujours fait avec les différents médias qui sont apparus au fil des décennies.
Moi, encore une fois, j'ai adoré pouvoir assister (sans aucun problème de connexion, chanceux que je suis!) à ce spectacle. Mon événement annoncé, je l'ai eu. Et je crois profondément que le théâtre a, dans ces expériences de toutes sortes, une exceptionnelle voie de démocratisation (comme le furent, en leur temps, la radio et la télé) et qu'il n'y perdra jamais son âme.