Plongé dans Le Revizor de Gogol pour les motifs indiqués dans le billet précédent, j'y trouve de longues tirades qui se prêteraient bien à différents contextes municipaux (et nationaux) un peu partout au Québec comme celle-ci, du Gouverneur, après qu'il eût appris qu'un inspecteur arrivait dans sa ville et qu'il donne des ordres pour camoufler le piètre état de sa gestion:
LE GOUVERNEUR: Écoutez-moi,
voilà ce que vous allez faire ! L'agent Pougovitsyne… c'est un grand gaillard,
alors, pour le bon ordre, qu'il se tienne sur le pont. Qu'on me démolisse au
plus vite la vieille palissade près du cordonnier et qu'on y plante des jalons
en osier pour que cela ait l'air d'un nivellement. Plus il y a de démolitions,
plus l'activité de la municipalité paraît grande. Ah ! mon Dieu ! Je l'ai
complètement oublié, il y a un tel amoncellement d'ordures
près de cette palissade qu'avec quarante charretées on n'en viendrait pas à
bout. Quelle sale ville ! Qu'on élève un monument ou qu'on mette simplement une
palissade, on peut être sûr qu'ils viendront y déposer un tas de saletés. (Il
soupire.) Ah ! Et si ce fonctionnaire demande : « Êtes-vous contents du
service ? »… qu'on lui réponde : « Nous sommes contents de tout, Excellence !
»… Et celui qui ne sera pas content, je me charge de lui ménager plus tard un
de ces mécontentements !… Ah ! mon Dieu ! fais seulement que je me tire de là
au plus vite, et je te mettrai un cierge à l'église comme jamais encore
personne n'en a mis. Allons, partons, Pierre Ivanovitch. Et si l'on demande pourquoi n'est pas encore construite l'église de l'hostie, celle pour laquelle il y a cinq ans
nous avons reçu les fonds, il faut répondre qu'on avait commencé à construire,
mais qu'ensuite tout a brûlé. J'ai même fait un rapport à ce sujet. Il ne
manquerait plus que quelqu'un aille dire par bêtise qu'elle n'avait jamais été
commencée. Il faut aussi dire à Dierjimorda de ne pas trop jouer des poings ;
pour le bon ordre il poche les yeux à tout le monde, aux coupables comme aux
innocents. Allons, partons, Pierre Ivanovitch. (Il sort et revient aussitôt.)
Et qu'on ne laisse pas sortir les soldats dans la rue autrement qu'en tenue.
Cette ignoble race met juste sa capote par-dessus la chemise, et le reste est à
l’air.
Ça donne, je crois, une assez bonne idée du ton de la pièce qui se déroule sur fond de magouilles, de pots-de-vins, de cachotteries, d'hypocrisies, de délations. C'est cynique à souhait.