mercredi 19 novembre 2008

Les petits enfants du siècle

Photo prise sur FlickR (désolé, je ne trouve pas le nom du photographe)

Enfin, c'est fait.

Depuis trois ans que je connais Jérôme Sauvion, j'ai pu assister (à l'instar d'une cinquantaine de personnes) hier, à son spectacle Les petits enfants du siècle, adaptation d'un roman de Christiane Rochefort, produit par sa propre compagnie, La Face Nord.

La performance de cet acteur-metteur en scène est captivante. Tour à tour drôle, touchant, pervers, percutant, il maîtrise le mode narratif (puisqu'il s'agit d'une adaptation non pas dialoguée... mais plutôt d'un passage direct de l'écriture romanesque à la scène) avec brio et réussi, par la force de son jeu et de la convention qu'il installe dès le départ, à camper le rôle de l'héroïne, une jeune fille, une enfant. Jamais le spectateur ne décrochera ou ne se posera de questions.

Tout le monde ne peut pas être orphelin (Jules Renard)

L'histoire: Josyane de Bagnolet est née le 2 août. Après elle il y a eu encore dix enfants. Les uns après les autres, apportant en prime à leurs parents un tas d’électroménagers, tels que la machine à laver, le frigidaire, la télé, la voiture et le prix Cognac ! Josyane les élèvera tous. C’est une vraie petite maman, tandis que sa mère ne fait que penser à engendre pour gagner les allocations familiales. Chaque enfant est égal à un nouvel électroménager. Nous sommes dans les années 60, il faut reconstruire la France, et les alentours de la capitale française se transforment dans un tas de béton avec ses blocs d’appartements. (http://fr.shvoong.com)

À l'écoute, c'est un texte amusant... qui pourtant baigne dans un quotidien paumé, triste, pathétique et sans issue. Un univers où l'amour s'écrit en signe de dollars (ou de francs!) quand il existe et quand il n'est pas qu'un sentiment inconnu ou mal connu. Par le ton de cette oeuvre, par son thème éminemment familial avec toutes ses malsanités, son érotisme précoce et un brin tordu, Les petits enfants du siècle (1961) peut résonner comme un écho contemporain des tribulations du petit Poil de Carotte (et des Lepic) de Jules Renard (publié au début du XXième siècle) ou comme annonciateur, en quelques sortes, de la cruauté des jumeaux du Grand Cahier d'Agota Kristof (1987). Tous ces romans sont construits à partir de mêmes considérations: aborder l'histoire du point de vue d'un (ou plusieurs) enfant; faire de celui-ci un être avec une conscience aiguë de lui-même, du monde qui l'entoure; décrire son évolution, le développement de son caractère... jusqu'à l'impasse...

La mise en scène de Jérôme est efficace avec peu de gestes, peu de déplacements... ponctués par un environnement sonore (entres autres bruit de caisse enregistreuse et de berceuse) qui crée une mécanique vite admise par le public. Sa sobriété laisse ainsi toute la place aux mots et aux maux de cette enfant.

Simple, sans artifice, son aire de jeu ne se constitue que d'un grand espace meublé d'un seul tabouret, d'un tas de bas et d'une corde à linge. De ces bas épars, empilés, emmêlés se dégagera une véritable poésie de l'objet vestimentaire lorsqu'ils seront accrochés sur la corde, un par un, pour signifier l'arrivée d'un nouvel enfant de la famille et leur sort; pour créer, en quelques sortes, des personnages synecdotiques. Le spectateur se prend à reconnaître qui est le bas, et - honte suprême du romantique - à s'y attacher.

Bien qu'ayant rencontré, selon les dires de Sauvion, des problèmes de texte en cours de représentation (et outre la technique qui semble un peu carrée... le technicien habituel toujours en France), tous sommes sortis avec le sourire de ceux qui n'ont pas eu à connaître cette misère.

À voir si vous ne voulez pas être obligés d'aller en France pour cela!
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Je profite de l'occasion pour rappeler qu'il ne reste qu'une seule représentation... soit ce soir, à 20h, à la Salle Murdock. Il en coûte (au minimum!) 15$ par adulte et 11$ par étudiant. Mais comme il n'y a que très peu de places, peut-être vaudrait-il mieux réserver...

Enfin, sachez que ces représentations sont données pour le bénéfice du Théâtre du Faux Coffre en vue d'une éventuelle traversée de l'Atlantique pour aller présenter les Clowns Noirs à nos cousins français.