La seconde moitié du dix-neuvième siècle aura été, au Québec, l'âge d'or du mélodrame (et de l'opérette), de ce genre larmoyant ainsi défini par Michel Corvin dans son (indispensable) Dictionnaire encyclopédique du théâtre:
MÉLODRAME: Le mélodrame est dans la première moitié du XIXe siècle [mais arrivé chez-nous plus tardivement!] d'autant plus important qu'il est le seul genre scénique qui unisse toutes les classes de la société. [...]
«Tragédie populaire», le mélodrame est théâtre non du peuple, mais pour le peuple, «une conscience populaire mythique façonnée par la bourgeoisie». Le mélodrame s'affirme comme moral et pédagogique, professeur de vertu.[...]
Le mélodrame est un genre étroitement codé, les types des personnages y sont fixés, et la structure de l'action est faite de variations autour d'éléments obligés. L'axe du mélodrame est le traître dont le trait fondamental est l'hypocrisie: il cache ses machinations et son mot clé est: «dissimulons»; il a souvent un confident parce qu'il faut bien que nous, spectateurs, nous sachions tout, et que le monologue ne suffit pas toujours. En face du traître, le héros (qui est parfois, rarement, une femme) s'occupe à le démasquer et à le combattre; rien de plus manichéen: le héros agit par un pur mouvement de sa vertu sans aucun espoir de récompense sinon sa bonne conscience et sa satisfaction d'Avoir puni le méchant, réuni les familles. L'allié du héros est le niais, personnage populaire dont les maladresses et le parler frustre font rire; allié parfois maladroit et encombrant. Enfin, les bénéficiaires de l'action sont les jeunes amoureux. La jeune fille est la victime désignée, souvent enlevée, quelquefois torturée, en tout cas promise au sort curle de convoler avec le traître; elle arrive au dénouement virgo intacta et s'unit à son bien-aimé. Enfin le personnage le plus important, le père qui a eu des malheurs, que souvent le traître a persécuté, dont il a causé la ruine par sa fourberie. Toutefois, la fonction de l'action dramatique est de le restaurer dans ses droits qui sont les plus sacrés.
Les pièces françaises prendront l'affiche et certaines, parmi elles, seront jouées et reprises un nombre quasi incalculables de fois!
Voici, juste pour le plaisir, quelques titres (dont leur seule évocation donne une certaine idée de la teneur de la pièce et des tribulations à venir), parmi les plus fréquents au fil des années, qui ont fait le bonheur des spectateurs... tirés d'une seule source, Place Jacques-Cartier ou Quarante ans de théâtre français à Québec d'André Duval (et cette liste est pourtant terriblement comparable aux comptes-rendus des archives et aux souvenirs de théâtre publiés depuis):
- La Grâce de Dieu ou la nouvelle Fanchon d'Adolphe D'Ennenry/Gustave Lemoine
- Marie-Jeanne ou la femme du peuple du même D'Ennery (l'un des dramaturges les plus joués à l'époque)
- Le casseur de pierres ou le Dévouement d'une mère de Charles Deslys
- La Servante maîtresse ou les Meurtriers de Val-Sozon
- Fatenville de Félix-Gabriel Marchand (qui sera premier ministre du Québec au tournant du siècle)
- La Mère sans enfants d'Adolphe Belot
- Le Fils de l'aveugle
- Les deux aveugles
- Jean le charretier ou le Chapelet de la roche grise
- Une femme qui se jette par la fenêtre d'Eugène Scribe
- La Dame aux jambes d'azur ou le Mélodrame accidenté
- Bruno le fileur ou L'Honnête forban
- Les deux orphelines
- Le Médecin des enfants
- Rose Michel ou la justice des hommes
- Les deux serruriers
- Les Prussiers en Lorraine de Gustave Lemoine
- Le Château des sept tours ou le Puits de sang
- Les crochets du père Martin d'Eugène Cormon(l'une des pièces les plus jouées)
- Le Pacte de famine ou le Défenseur du peuple
- Vincent de Paul ou les Orphelins du pont Notre-Dame
- Trente ans ou la Vie d'un joueur
- La Malédiction ou l'Enfant maudit
- L'Expiation
- Le Forgeron de Chateaudun
- Le sonneur de cloches de Saint-Paul de Joseph Bouchardy
- Roman d'un jeune homme pauvre d'Octave Feuillet
- Les Deux forçats de la meurtrière du Puy-de-Dôme
- Les Faussaires de Londres d'Eugène Cormon
- Les piastres rouges (l'une des plus fréquemment reprises)
- et bien sûr, Le Maître de Forges de Georges Ohnet (également reprise un nombre impressionnant de fois)
Il est quand même fort étonnant de constater que bien peu de ces auteurs, bien peu de ces (immenses) succès d'alors n'a traversé le temps...