jeudi 2 juin 2016

L'«oreille absolue» de l'acteur...


[...] L'acteur doit avoir l'oreille absolue. L'oreille absolue de la vie.

Comment y parvenir? C'est un problème. Pas pour le metteur en scène, pour l'acteur. S'il y parvient, on peut faire des miracles avec cet acteur, ou sinon il faut attendre que l'acteur ait soixante-dix ans, là, le sentiment de la vie chez lui s'impose de lui-même...

L'«oreille absolue» n'est pas donnée à tout le monde. Tout simplement parce qu'il n'est pas donné à tout le monde de jouer.

Et parfois, cette oreille absolue est détruite - ou cachée; pour parler grossièrement, l'acteur chante faux, parle faux, alors qu'il pense parler juste, vrai. À ce moment-là, on ne peut pas lui dire: «Tu chantes faux!» Il ne comprendrait pas. Il faut le mettre dans une situation de jeu telle que lui, en lui-même, entende une autre vérité. Il suffit d'une seule fois pour que, sous la violence de cette impression, il dise: «Mais je n'ai rien joué du tout!» Effectivement, il n'a rien joué

Pour lui, c'est incroyable, effrayant; pour la première fois, il sent qu'il n'a rien fait, qu'il n'a rien joué. Et on lui dit qu'à ce moment-là il était dans la position maximale, qu'il était «dedans»; il lui a semblé qu'il n'était pas expressif, qu'il ne sentait rien; et on lui dit: «Tu es l'expressivité même, tu débordes de sentiments...» [...]

C'est là une belle tentative d'explication de ce phénomène du jouer juste ou du jouer faux... l'une des choses les plus difficiles (parce que presque ésotérique!) à indiquer (concrètement!) à un comédien!

L'extrait est tiré de Sept ou huit leçons de théâtre d'Anatoli Vassiliev (metteur en scène soviétique puis russe), publié en 1999 chez P.O.L. éditeurs