Poursuivant ma lecture de L'Art du Théâtre d'Odette Aslan et pour faire suite à de précédents billets consacrés aux flammes de l'Enfer qui guettent les pauvres comédiens et le théâtre tout entier ( voir là et là), voici un autre grand moraliste français, Pierre Nicole (1625-1695), qui s'acharne de nouveau sur cet art et qui traite les hommes qui le pratique d'«empoisonneurs publics»... Comme le théâtre a su bien déranger en son temps!
J'aime bien ces lectures qui sentent la bigoterie et le soufre.
Il est impossible qu'on considère le métier de Comédien, et qu'on le compare avec la profession chrestienne, qu'on ne reconnoisse qu'il n'y a rien de plus indigne d'un enfant de Dieu et d'un membre de Jésus-Christ que cet employ. On ne parle pas seulement des dérèglements grossiers et de la manière dissolue dont les femmes y paroissent, parce que ceux qui justifient la Comédie en séparent toujours ces sortes de désordres par l'imagination, quoiqu'on ne les sépare jamais effectivement. On ne parle que de ce qui en est entièrement inséparable. C'est un métier qui a pour but le divertissement des autres; où des hommes et dse femmes paroissent sur un théâtre pour y représenter ds passoins de haine, de colère, d'ambition, de vengeance, et principalement d'amour. Il faut qu'ils les expriments le plus naturellement possible et ils ne le sçauroient faire, s'ils ne les excitent en quelque sorte eux-mêmes, et si leur âme ne prend tous les plis que l'on voit sur leur visage. Il faut donc que ceux qui représentent une passion d'amour en soient en quelque sorte touhez pendant qu'ils la représentent, et il ne faut pas s'imaginer que l'on puisse effacer de son esprit cette impression qu'on y a excitée volontairement, et qu'elle ne laisse pas en nous une grande disposition à cette même passion qu'on a bien voulu ressentir. Ainsy la Comédie par sa nature même, est une école et un exercice de vice, puisque c'est un art où il faut nécessairement exciter en soy-même des passions vicieuses. Que si l'on considère que toute la vie des Comédiens est occupée dans cet exercice; qu'ils la passent toute entière à apprendre en particulier, ou à répéter entr'eux, ou à représenter devant des spectateurs l'image de quelque vice; qu'ils n'ont presque autre chose dans l'esprit que ces folies: on verra facilement qu'il est impossible d'allier ce métier avec la pureté de notre religion: et ainsy il faut avouer que c'est un métier profane et indigne d'un Chrestien; que ceux qui l'exercent sont obligez de le quitter comme tous les Conciles le leur ordonnent; et par conséquent qu'il n'est point permis aux autres de contribuer à les entretenir dans une profession contraire au Christianisme, n'y de l'autoriser par leur présence.
J'aime bien ces lectures qui sentent la bigoterie et le soufre.
Il est impossible qu'on considère le métier de Comédien, et qu'on le compare avec la profession chrestienne, qu'on ne reconnoisse qu'il n'y a rien de plus indigne d'un enfant de Dieu et d'un membre de Jésus-Christ que cet employ. On ne parle pas seulement des dérèglements grossiers et de la manière dissolue dont les femmes y paroissent, parce que ceux qui justifient la Comédie en séparent toujours ces sortes de désordres par l'imagination, quoiqu'on ne les sépare jamais effectivement. On ne parle que de ce qui en est entièrement inséparable. C'est un métier qui a pour but le divertissement des autres; où des hommes et dse femmes paroissent sur un théâtre pour y représenter ds passoins de haine, de colère, d'ambition, de vengeance, et principalement d'amour. Il faut qu'ils les expriments le plus naturellement possible et ils ne le sçauroient faire, s'ils ne les excitent en quelque sorte eux-mêmes, et si leur âme ne prend tous les plis que l'on voit sur leur visage. Il faut donc que ceux qui représentent une passion d'amour en soient en quelque sorte touhez pendant qu'ils la représentent, et il ne faut pas s'imaginer que l'on puisse effacer de son esprit cette impression qu'on y a excitée volontairement, et qu'elle ne laisse pas en nous une grande disposition à cette même passion qu'on a bien voulu ressentir. Ainsy la Comédie par sa nature même, est une école et un exercice de vice, puisque c'est un art où il faut nécessairement exciter en soy-même des passions vicieuses. Que si l'on considère que toute la vie des Comédiens est occupée dans cet exercice; qu'ils la passent toute entière à apprendre en particulier, ou à répéter entr'eux, ou à représenter devant des spectateurs l'image de quelque vice; qu'ils n'ont presque autre chose dans l'esprit que ces folies: on verra facilement qu'il est impossible d'allier ce métier avec la pureté de notre religion: et ainsy il faut avouer que c'est un métier profane et indigne d'un Chrestien; que ceux qui l'exercent sont obligez de le quitter comme tous les Conciles le leur ordonnent; et par conséquent qu'il n'est point permis aux autres de contribuer à les entretenir dans une profession contraire au Christianisme, n'y de l'autoriser par leur présence.
(De la comédie, 1667)