mardi 13 avril 2021

Ce que je comprends des principes meyerholdiens ou comment je les applique


Je l'ai souvent répété: je suis un adepte des théories et principes édictés par Vsevolode Emilievitch Meyerhold, principalement ceux élaborés entre les années '20 et le milieu des années '30. Et bien entendu, toutes les lectures faites depuis plusieurs années déjà colorent ma vision de le mise en scène et mon travail scénique.

Il fait toujours bon de revenir aux sources, de faire une synthèse de sa propre pratique. Exercice d'autant plus utile ces temps-ci, alors que je travaille avec presque tous des comédiens avec qui c'est la première collaboration et que je dois donc les aligner avec certains préceptes.

Qu'est-ce donc dire? 

Approche formelle du texte 

Avant même que d'être une partition émotionnelle pour le personnage, le texte est une partition formelle qui fera se conjuguer plusieurs éléments:
  • le mot, la phrase, la sonorité;
  • le rythme sur lequel s'élaborera la dynamique des personnages;
  • les silences et les envolées;
  • les points et les contrepoints... de même que les ruptures;
  • le volume et le débit vocal.
Tout ça semble loin de l'approche psychologique... mais en même temps, elle n'en est pas si éloignée. C'est que plutôt de creuser le sens des mots et ce qu'ils provoquent chez le personnage, d'aller à la recherche d'une vie intérieure, de partir d'elle pour aller vers l'extérieur, je reste sur la partition formelle et rythmique, l'extérieur, pour aller trouver ce que sera la figure. Du contenant surgira nécessairement un contenu.  Le personnage s'ébauchera peu à peu à mesure que la structure se développera.

Pour moi, le texte agit, en quelques sortes, comme une musique et est utilisé comme tel pour développer la mise en scène qui prend souvent alors des airs de chorégraphie. (Étrange d'écrire ça quand on sait, par ailleurs, que la musique, la vraie, est pratiquement absente de mes mises en scène... ou en était la base même comme du temps des opérettes à la SALR.)

Les phrases - mais plus encore les mots, voire même les onomatopées provoquées! - sont utilisés comme des stimulus, comme des points d'orgue, des appels à l'action ou à la réaction du partenaire. Ce sont, dans le langage théâtral, des cues.

D'où aussi l'intérêt que je porte à la réécriture plus ou moins grandes selon les œuvres choisies (quand les droits le permettent, bien entendu). Je suis un adepte des ajouts, des coupures, des inversions, des réécritures qui peuvent donner un autre rythme, un autre souffle, une autre respiration aux textes.

Approche formelle l'acteur

Du texte, je vais évidemment vers l'acteur. Lui aussi un élément formel, fondamental dans mon cas:
  • par sa posture, sa tenue, il donne un corps, une forme au personnage qu'il moule sur lui-même;
  • par son déploiement dans l'espace, il est élément rythmique qu'il est possible de moduler à l'infini;
  • par son geste et son mouvement, il précède la réplique dans une variation dynamique qui l'accentue;
  • par son utilisation de l'objet, de l'accessoire, il se prolonge dans l'espace et augmente le potentiel scénique de celui-ci;
  • par sa recherche de précision, de maîtrise, de virtuosité, il se surpasse.
Et ici aussi, de la forme surgira le contenu.

Bien sûr qu'en répétition, je ne fais pas abstraction de ce que pense ou mijote le personnage. Juste que c'est par des indications d'ordre formelles que la consigne parviendra au comédien. Le jeu du comédien est, pour moi, un jeu de monstration, du montré d'abord, du ressenti plus tard.

Si ce passage semble particulièrement tyranniqueintransigeant et limitatif pour l'interprète, il faut pourtant savoir que je considère tout particulièrement ce-dernier comme étant le principal émetteur de cette théâtralité et que les indications se collent généralement avec ses intuitions et ses propositions, et je l'espère, les transcendent, les mènent plus loin. S'il se sent parfois pâte à modeler pour le metteur en scène que je suis, l'idéal est qu'il atteigne, notamment par les enchaînements, une autonomie, une aisance qui lui est propre pour à son tour transcender la mise en scène.

De nouveau, il s'agit d'un travail quasi chorégraphique (ou, pour être plus précis, séquentiel) à partir du texte, tandis que le comédien manœuvre constamment à travers diverses formes d'interactions qui imposent le mouvement et/ou le geste: rapport à l'espace, rapport à l'autre, rapport au décor et au mobilier, rapport à l'accessoire. 

Approche formelle de la scène

La scénographie et/ou le dispositif (pas tant un décor qu'une aire de jeu où règne l'évocation, délimitée principalement par le plancher) sont conçus de façon à dynamiser le jeu, le mettre en valeur, à augmenter le sentiment d'attente de ce qui peut y advenir.  

En tout temps, je cherche à maximiser l'espace, le rendre, par son usage, dynamique tout en préservant l'équilibre du plateau, l'équilibre de la perception du spectateur. 

Les objets qui sont sur scène sont eux aussi mis à profit dans la maximisation spatiale. Ils sont (sur)utilisés, exploités tant pour leur fonction première, leur forme, ou leur qualité d'évocation. Ils sont peu nombreux, du coup, ils doivent être utiles.

Objets, mobiliers, espace, corps... quand la pièce commence, c'est comme tout un système d'engrenage qui se met en place. C'est en quelque sorte un jeu d'échecs: chaque éléments qui y bouge (corps et/ou objet) entraîne nécessairement une réorganisation scénique (du corps et/ou de l'objet).

Le champs, le hors-champs, l'avant-scène, le lointain, les coulisses... tout est utilisé à son plein potentiel.

Une méthode éprouvée

Afin de bien imbriquer ces approches les unes dans les autres (parce que tout se fait en même temps, directement en écriture de plateau), de baliser les codes et les conventions (parce que c'est aussi de cela qu'il s'agit!) la meilleure méthode que j'ai trouvée est d'y aller par couches successives:
  • dès la première rencontre (après une première lecture), je commence à ébaucher une première mise en place brute, avec une découpe rapide du personnage pour en arriver rapidement, dans le premier tiers des répétitions, à un premier enchaînement complet qui donnera une idée générale de l'énergie demandée et de l'utilisation faite de la scène et de ces composantes;
  • les répétitions reprennent du début, scène par scène, avec en tête l'ensemble général de la mise en scène, pour préciser, ajuster, refaire, peaufiner, corriger le rythme, etc. jusqu'à faire un autre enchaînement complet pour cibler les passages qui traînent encore;
  • le processus est alors repris, avec une concentration sur les scènes qui demandent d'autres efforts;
  • puis vient la série d'enchaînements (il y en aura quatre, six, huit... selon le temps restant) qui précède les générales et la première représentation.
Voilà comment c'est, entrer en salle de répétition sous ma direction, avec une vision de la mise en scène nourrie par Meyerhold!