vendredi 21 janvier 2011

De la perception et de l'engagement


Tiens... pour bien fermer cette journée de lectures kantoriennes, voici un nouveau fragment de pensée de ce grand metteur en scène, toujours pertinent... et qui sait (enfin... savait, puisqu'il est mort il y a tout de même vingt-et-un ans...) encore faire réfléchir.

La perception [de l'oeuvre] est une conséquence tout à fait rationnelle. Je crois que l'on ne peut pas concevoir le théâtre spécialement pour le spectateur. Je crois que l'on doit faire le théâtre, et que le spectateur est quelque chose de tout simplement naturel. Le créateur doit s'engager personnellement à fond, le spectateur aussi. Si, lorsqu'on travaille au théâtre, on pense d'abord: «Il y a le texte: qu'est-ce que je ferai avec le texte pour informer le spectateur?», on commet une erreur grossière: immédiatement commencent toutes ces opérations qui relèvent pour moi du travail académique: «l'application», la «reproduction du texte», l'«interprétation». Je crois que la communication, car il s'agit de communication, notamment entre texte et spectateur, est une conséquence absolue de l'oeuvre d'art. On ne peut créer une oeuvre d'art qui soit absolument isolée. L'oeuvre d'art possède en soi une force d'expansion de l'oeuvre, c'est le moyen pour elle de s'assurer la conquête d'un public qui ne vient ni pour consommer, ni pour se délecter, mais, dans une certaine mesure, et sous une certaine forme, pour «participer».

«À côté de l'action du texte doit exister l'action de la scène», Kantor 1944


Photo de l'un des spectacles les plus importants de la seconde moitié du XXième siècle:
La classe morte.


IL est assez étrange de constater que mes recherches doctorales me ramènent à Tadeusz Kantor -metteur en scène polonais- que j'avais délaissé, pendant mon parcours à la maîtrise, au profit de Vsevolod Meyerhold... Parce que plus mon projet se précise et que se dégagent les enjeux et le plus ce détour devient nécessaire.

Alors voilà. C'est donc un retour.

Son travail (et surtout ce qu'on en dit... puisque je ne l'ai jamais vu sinon en vidéo) m'accroche tout de même à chaque fois. Voici comment, dans la préface de Denis Bablet au très excellent Théâtre de la Mort de l'artiste, est défini son rapport au texte (un sujet qui me passionne...)... et qui peut se conjuguer à l'un de mes derniers billets.

[...] Dans de telles conditions les rapports entre les divers composantes du spectacle n'ont rien à voir avec leurs formes traditionnelles. Pour Kantor, «monter un spectacle» n'est pas «mettre en scène» une «oeuvre littéraire», mais engager un processus, créer une réalité scénique, instaurer un jeu. Il ne s'agit pas pour lui de «traduire» à la scène, de «concrétiser», de «transcrire» et encore moins de «représenter». Il n'est pas davantage question d'«interpréter», de reproduire, d'illustrer, d'expliquer ou d'actualiser. Kantor ne se soumet pas au texte, il ne le soumet pas davantage à lui-même. Le texte n'est pas Dieu le Père, mais il n'est pas non plus simple prétexte. Il ne faut pas le nier, mais savoir que le but de l'art théâtral n'est à aucun moment de rendre manifestes des morceaux et des éléments de littérature, de matérialiser l'écrit. [...]