Peut-être est-ce le trauma répété sur lequel le théâtre est bâti - à chaque dernière, les spectacles disparaissent corps et biens pour hanter un temps les mémoires fragiles des spectateurs puis reposer dans les cimetières froids de l'histoire du théâtre -, peut-être est-ce cette perte inéluctable qui entraîne ce rapport compensatoire ou dénégateur au Tout du théâtre. Il n'y a qu'à assister, à peine éteints les applaudissements de la «dernière», au démontage d'un décor, souvent pratiqué de nuit par une équipe de technique fatiguée et pressée d'en finir, pour mesurer ce à quoi s'exposent ceux qui font le théâtre. On manipule désormais sans précaution superflue un objet qui ne vivra plus, et lorsque les machinistes séparent les éléments les uns des autres, le bruit de ces chocs amortis m'a toujours paru avoir quelque chose de macabre. Ultima necat.
Ce petit passage du bouquin Dramatugies de plateau (de Anne-Françoise Benhamou, publié aux Solitaires intempestifs) est très beau parce qu'il parle de ce moment précis où le théâtre prend fin. De ce moment précis que peu de gens vivent. Ce moment où on voit l'ensemble du travail intensif des derniers mois (tant l'ensemble architecturale que le jeu et la mise en scène) se déconstruire en quelques petites heures en laissant un vide immense, une nostalgie et une lancinante réflexion: tout ça pour ça?
Il n'y aura pas définitivement pas d'autres représentations.
Ce contraste entre l'entrée en salle fébrile, nerveuse et pourtant attentive, et cette sortie rapide sans trop d'états d'âmes surprend toujours... laisse pantois. D'autant qu'il ne s'agit que d'un passage de quelques jours, quelques semaines... Mais quelle intensité!