mercredi 21 décembre 2016

Un accord tout en nuances...


Voici une lettre de Monseigneur Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec (après avoir diriger le diocèse de Chicoutimi quelques années auparavant), qui donne sa position sur la création d'une nouvelle compagnie en remplacement d'une autre, moins morale

Une lettre qui reste, il va sans dire, dans la ligne éditoriale de l'Église (canadienne) de l'époque.

Cette publication vient du journal hebdomadaire La Vérité du  26 janvier 1895.

Archevêché de Québec
Québec, le 12 janvier 1895

Monsieur le curé,

J’ai  reçu hier une lettre au sujet de la réorganisation projetée d’un théâtre à Québec  et je suis heureux d’apprendre : 1- qu’à l’assemblée tenue à l’Hôtel Frontenac, le 10 courant, les catholiques présents ont parfaitement reconnu à l’autorité religieuse diocésaine le droit et le devoir de défendre aux fidèles d’assister au théâtre, quand elle le juge nécessaire; 2- que la nouvelle compagnie entretient sur le théâtre des idées tout à fait différentes de celles qui ont généralement cours parmi les acteurs français, et qu’elle veut s’appliquer à respecter les lois de la morale et les sentiments religieux de la population; 3- que le nouveau gérant s’engage formellement à se conformer aux vues de l’autorité religieuse et à ne donner que des pièces absolument morales; 4- que, pour arriver à ce résultat, un comité spécial de citoyens sera chargé de veiller à la parfaite moralité des spectacles.

J’avais défendu sous peine de péché mortel d’assister au théâtre de la salle Jacques-Cartier pour les graves motifs que l’on sait. Maintenant que cette compagnie n’existe plus et qu’il s’agit d’une organisation toute différente, je ne puis maintenir contre cette dernière la condamnation que la précédente avais si bien méritée.

Mais je ne puis m’empêcher de vous dire avec quel profond chagrin je verrais se réaliser le projet d’établir un théâtre permanent à Québec. Je le regarderais comme un fléau au double ploint de vu moral et matériel : on accoutumerait ainsi notre peuple à une jouissance dont il ne pourrait plus se passer; on lui créerait un besoin de nouveau luxe, de vie factice, un surcroît de dépenses inutiles; on lui ferait abandonner bien vite ces réunions intimes du foyer, où chacun se repose des fatigues du jour sans danger pour les mœurs, sans détriment pour la bourse et où les liens sacrés de la famille ne font que se resserrer pour le plus grand bonheur de tous.

L’Église catholique regarde avec grande raison le théâtre moderne en général comme plein de dangers et elle met les fidèles en garde même contre les pièces considérées par un certain public comme inoffensives.

Jugez alors de mes justes craintes quand j’apprends que pour reconstituer la nouvelle compagnie, on se propose d’employer certains acteurs et actrices qui ont poussé l’ignorance ou le manque absolu de sens moral jusqu’à jouer et répéter dans notre ville de Québec des pièces absolument mauvaises. Vous comprenez que cette affaire entraîne avec elle une grave responsabilité que je ne veux assumer en aucune manière.


Veuillez agréer, monsieur le curé, l’Assurance de mon entier dévouement.

En d'autres termes, nous pourrions résumer cette lettre en Oui mais... ah et puis finalement, non!