samedi 15 novembre 2008

De l'amour et des griffes [journal d'une mise en scène]

Peut-être est-ce une légère impatience causée par un mal de dent chronique... mais il est une chose dont j'ai horreur pendant une période de travail... et c'est qu'un comédien (plus exactement qu'une comédienne dans le cas présent!) ne fasse preuve de mauvaise foi en répétition parce qu'il (elle) estime n'avoir pas assez d'attention, qu'il (elle) ramène toute la création en cours à sa propre personne, à la (fausse) perception qu'il (elle) s'en fait.

Retour en arrière...

La première partie du spectacle De l'amour et des griffes, pour une multitude de raisons, n'a pu se faire le samedi après-midi comme l'autre (qui roule fort bien, soit dit en passant...). Nous nous sommes donc vus sur semaine, parmi toutes nos obligations... très peu, peut-être... mais quand même, nous nous sommes vus et la première mise en place est terminée. Avec encore beaucoup de travail de perfectionnement, d'approfondissement à y apporter. Et je le sais.

Donc, en ce samedi mouilleux, nous nous sommes donnés le luxe - à deux semaines de la première - de faire un enchaînement des deux parties. Mais pendant toute la première, entre les hésitations gestuelles (fragilité normale d'une première exécution complète) et les (fréquents) bogues de texte (moins excusables... point avec lequel je ne fais que très peu de concessions...), l'une des protagonistes ne cessait de passer des commentaires négatifs ("Nous ne sommes pas prêtes", "Nous n'avons pas assez répété", "Nous ne sommes pas drôles", etc), relâchait toute concentration, arrêtait le déroulement de la scène et minait le plaisir de tous en maugréant, soupirant et ne s'impliquant qu'à contrecoeur dans les notes et discussions post-exercice.

Je suis très conscient que cette partie n'est pas encore à niveau... mais j'ai beau expliquer que nous ne jouons pas demain, qu'il reste encore deux semaines et plusieurs heures de répétitions et d'enchaînements, que ce premier canevas est intéressant bien que pas encore à point... rien n'y fait et c'est à une moue boudeuse et une tenue de fermeture que je me heurte. Vraiment, ce type d'attitude devient vite un poids dans une création et nuit au développement d'un sain esprit d'équipe. Quémander de l'attention de la sorte ne donne qu'une seule et unique envie: se retirer. Mais bon... nous sommes encore en travail... et nous traverserons le pont rendu à la rivière.
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Cette anecdote (qui pourrait se confondre avec bien d'autres...) me ramène de nouveau sur l'une des exigences qui me sont nécessaire avec une équipe: la confiance. Non pas une confiance aveugle... tout peut (et devrait) être questionné, discuté, proposé, échangé... Pas une confiance aveugle, mais bien une confiance de base, dans l'autre, dans un projet commun, en soi. Une force positive qui permet d'abattre les obstacle, de sortir des sentiers battus avec un enthousiasme et un plaisir manifeste qui ouvrent les perspectives.

"Et c'est [son] panache!"

Cyrano de Bergerac... un des personnages les plus connus de la littérature universelle... et pourtant, quelle surprise que d'entendre et réentendre ce texte représenté pour la première fois en 1897 - chance que plusieurs ont eu (dont moi... pour la seconde fois) hier soir à l'Auditorium-Dufour dans le cadre de la tournée du Trident.

Coquelin l'aîné, le premier Cyrano de Bergerac, 1897

Cette production, mise en scène (assez convetionnelle par ailleurs) par Marie Gignac a principalement le mérite de nous faire entendre cette oeuvre: ce ton si particulier de la comédie romantique brillant des derniers éclats du mélodrame, cette amertume et nostalgie, cet amour et cette résignation... mais surtout ce sourire pour ne pas dire ce rire qui se noue entre chaque réplique... Des répliques connues et attendues, comme cette tirade du nez. Des déclarations d'amour amusantes et touchantes. Bref, du théâtre comme à la fin du XIX siècle... Une fable portant sur l'être et le paraître qui trouve tout son sens et son essence sur les planches (n'en déplaisent aux amateurs de cinémas et des nombreuses adaptations de la pièce).

Hugues Frenette, photographie: ?

La distribution* est impressionnante: 13 comédiens... enfin... Un acteur principal, Hugues Frenette - qui a lui seul vaut le détour - qui porte les 1 600 vers de ce rôle. Un monumental personnage. Avec une maîtrise du texte, de la scène, avec une aisance magnifique, il crée là un Cyrano amoureux, faisant preuve d'empathie, loyal et touchant qui surprend lorsqu'on vient annoncer, à plusieurs reprises qu'il a beaucoup d'ennemis et qu'on cherche à le piéger. Un comédien principal, donc... et ses faire-valoirs (car ce texte a aussi cette particularité d'être d'abord et avant tout un morceau de résistance pour un comédien...Rostand l'a d'ailleurs écrit pour Coquelin, vedette de l'époque...). Le reste de la distribution se partage les petits rôles (les numéros comiques) et les autres rôles principaux, Roxanne et Christian... bien fades aux côté du lustre omniprésent du rôle-titre.

La scénographie (un peu rétrécie par rapport à la version vue à Québec... tournée oblige!) de Michel Gauthier, tout en étagères mobiles emplis de verreries et en escaliers de métal compose les multiples lieux par de simples déplacements des modules (dans les entrescènes... et qui créent, avec l'agencement des lumières et de la musique de forts beaux moments). Gauthier suggère plus qu'il ne montre, avec peu d'accessoires. Le plus intéressant vient également du fait que le scénographe a choisi de laisser à vue toutes les mécaniques de cette aire de jeu (câbles, poulies, fils, éclairages) de même que toutes les coulisses de chaque côté, les convertissant en lieux d'attente pour les comédiens.

Enfin, quelques réserves... sur la longueur (bien que déjà près d'une heure trente soit retranchée au texte original), sur les costumes (qui surprennent parfois - comme celui de MontFleury et de Roxanne en tenue de camp), sur la figuration (qui me pose toujours problème... comment créer la vie en figurant?). D'autre parts, mais peut-être est-ce dû au fait que je voyais se spectacle pour la seconde fois, il m'a semblé manquer un peu d'énergie et de tenue sur scène... le plaisir qui m'avait transporté ayant peut-être fait place à la fatigue de la tournée...

Voilà. C'était ce que je voulais dire de ce spectacle.


* Une distribution amusante sur autre point: 3 des comédiens de ce spectacle (Jonathan Gagnon, Ansie St-Martin et Christian Michaud) étaient dans la région la semaine dernière dans La Cantatrice Chauve de Frédéric Dubois... Par ailleurs, 4 de ceux-ci ont déjà vécu des expériences théâtrales saguenéenne: Hugues Frenette et Éric Leblanc avec les Têtes Heureuses, Patric Saucier avec l'UQAC et avec La Rubrique comme metteur en scène, Eva Daigle avec La Rubrique.