mardi 26 mai 2020

Quand Phèdre perd des plumes pour en retrouver


Je crois encore que l'un des plus beaux textes français de la littérature dramatique est le Phèdre de Jean Racine, écrit et présenté en 1676-77.

Phèdre est, avec Médée, Hermione (dans Andromaque et non pas dans Harry Potter!) et Hedda Gabbler parmi mes personnages féminins préférés: toutes des femmes fortes et détruites tout à la fois. Passionnées et lucides. Terribles et cruelles pour elles-mêmes, pour les autres. Des abîmes de violence...

Bref, la lecture de ce texte classique durant ma première année de cégep a été une bougie d'allumage plutôt convaincante... 

Une histoire complexe. Phèdre, mariée à Thésée, adore d'un amour inextinguible (punition d'Aphrodite pour des antécédents familiaux), le fils de celui-ci, Hippolyte, qui lui-même aime Aricie, une prisonnière de son père, etc. Le tout, dans une langue ciselée, forte, monument du classicisme. 

Mais au final, outre la qualité des vers, qu'en est-il vraiment du caractère des personnages, de cet Hippolyte et de cette Aricie (qui sont relativement accessoires chez Racine)? Et pourquoi tout ce désastre?

Pour avoir une autre idée de la dynamique entre ces personnages, pour comprendre les caractères en présence et la situation, il faut retourner quelques siècles en arrière. 

Chez Euripide. 

Là, dans son Hippolyte porte-couronne, écrit en 428 avant Jésus-Christ (il aurait écrit un Hippolyte voilé aujourd'hui perdu,voir cet article), se dresse tout à coup un jeune homme fougueux, qui se réclame d'une pureté charnelle, qui n'a d'égard que pour Diane, la déesse de la chasse, méprisant les jeux sensuels d'Aphrodite. Et il y a Phèdre, la belle-mère dont la famille est maudite par ses intrigues amoureuses, en pâmoison devant le bellâtre. Les deux deviennent, pour la déesse de l'Amour, des instruments de vengeance et les déesses en cause prennent position et interviennent et font des pauvres humains des jouets pathétiques. Un jeu d'échec infernal. Dans cette version, pas d'Aricie (qui contrevient, en un sens, à la matière brute et fatale que doit être Hippolyte). Que la vertu versus la passion. Que l'arrogance versus la résignation. Les attaques sont incisives. Les coups portent profondément. Les personnages ont une toute autre dimension.

Après être passer chez le Grec, il faut faire un détour par le Latin. 

Chez Sénèque. 

Pas qu'il soit meilleur, mais bien parce qu'il donne une version un peu différente qui éclaire autrement cette histoire. Car lui aussi se commet dans une tragédie, Phèdre (ou Hippolyte, c'est selon...) écrit quelque part au cours du premier siècle après Jésus-Christ. 

Si dans l'ensemble, il garde le même schéma qu'Euripide, les mêmes caractères (avec encore l'absence d'Aricie), il développe surtout le tourment de Phèdre et de son aveu, son lien avec Thésée.

D'une version à l'autre (Euripide-Sénèque-Racine), il est fort fascinant de voir les partis pris... de voir comment le récit évolue, de voir comment les personnages se contruisent, se refondent. Et surtout, quand on revient dans la beauté qu'est le texte classique, de multiples échos se retrouvent au détour de chaque vers...

Conclusion... D'un point de vue littéraire, Racine, sans aucun doute... quoique. Mais d'un point de vue ramatique, Euripide.