jeudi 27 février 2020

''Le manque de courage du milieu théâtral''

Voici un texte fort, un texte puissant d'Évelyne de la Chenelière paru le 17 novembre 2007 dans Le Devoir (qu'on peut trouver ici, page B5,  sur le site de la BaNQ), quelques jours après les Seconds États Généraux sur le théâtre... Un regard sévère. Sans fard. Sans pitié. Sans tabou. 

Une vision que je partage... Mais c'est tellement facile, de la partager, quand nous ne sommes pas impliqués... 

(Et accessoirement, c'est une lignée parfaitement saguenéenne que nous retrouvons sur la photo, prise lors des États généraux: Patrice Leblanc, Marilyne Renaud, moi, Denise Lavoie et Éric Chalifour!)


mardi 25 février 2020

Le Parfait Galant au théâtre


Si tu veux mettre en relief ton élégance et briller devant les vilains du parterre, aie soin de faire ton entrée par les coulisses et de bousculer les acteurs rassemblés dans le foyer. Puis, quand tu vois le comédien chargé du prologue, tremblant de peur, frottant ses joues pâles pour se raviver le teint, et s'apprêtant à donner aux trompettes le signal de son entrée, fais fi des miaulements et des sifflets de la racaille et fais vite ton apparition sur la scène, ton tabouret d'une main, ton shilling dans l'autre. Fraie ensuite ton chemin jusqu'au rebord du plateau et campe-toi hardiment devant ceux qui ont déjà pris place, pour mieux montrer tes beaux habits, ta blanche main, ta jambe bien tournée, tes boucles et ta barbiche. Tu seras pris pour un grand seigneur et salué respectueusement. Sur ta personne, se concentrera l'intérêt et les yeux te suivront plutôt que de se fixer sur les comédiens. Les spectateurs seront encore mieux conquis si tu parviens, aux passages tragiques, à siffloter bruyamment et montrer du dédain pour l'auteur. Ceci gagnera son respect et te vaudra peut-être une dédicace ou un sonnet de lui...

Ce passage est de Thomas Dekker (né vers 1572 et mort vers 1631, pour plus de détails, voir ici) un auteur satyrique élizabéthain qui a décrit, dans L'ABC du Sot, un pamphlet paru en 1606, la vie mondaine dans l'Angletterre de Jacques 1er, successeur de la Reine Elizabeth.

J'ai trouvé ce petit morceau mordant dans le recueil L'Art du théâtre d'Odette Aslan qui collige de très nombreux extraits de toutes sortes, tous plus fascinants les uns que les autres!

dimanche 23 février 2020

Crash Course Theater and Drama


Je publie ici (après qu'on me les ai fait connaître il y a quelques semaines), toute une série de capsules-vidéos (sur une chaîne Youtube) portant sur l'histoire du théâtre: Crash Course Theater and Drama... Notez qu'il y a des Crash Course sur plein d'autres sujets!

Bon, c'est en anglais (et le mien est plutôt précaire), mais c'est vraiment instructif et fort bien fait.

Il y a, au total (je ne sais pas si la série est évolutive ou si elle est terminée), cinquante-deux capsules d'une quinzaine de minutes, chacune sur un thème bien précis: de la naissance du théâtre au futurisme, en passant par la commedia dell'arte, le classicisme, le théâtre shakespearien jusqu'aux genres un peu plus marginaux comme les minstrel show et le Grand Guignol. À chaque fois, un animateur fait les liens, donne les informations... le tout présenté avec humour et moult images et documents.

Voici à quoi ressemble la surprenante playlist:






C'est une source documentaire à découvrir. Pour passer des heures en visionnement ou juste pour consulter la playlist, le lien est ici

samedi 22 février 2020

Quand la vitalité théâtrale du SLSJ surprend la métropole...

Lorsque le milieu théâtral d'ici se réunit - que ce soit pour des rencontres de concertation ou lors de rencontres dans des instances plus officielles - nous aimons nous targuer d'être le troisième pôle théâtral en importance au Québec.

Et les justifications sont nombreuses: nombre de compagnies, nombre d'artistes locaux impliqués, reconnaissances, etc.

Nous ne sommes pas les seuls à nous en réclamer!

Déjà, en 1969, une telle constatation émanait du Devoir (dans son édition du 1er novembre) et de son journaliste et important critique théâtral, Michel Bélair (peut-être la lecture sera plus facile à même l'édition en ligne, ici, p.11):


Comme quoi le foisonnement théâtral dans notre région n'est pas affaire de nouveauté...

vendredi 21 février 2020

Des expositions virtuelles...


Le site web de la Société d'Histoire du Théâtre (en France) présente, en ligne, de nombreuses expositions virtuelles intéressantes qui mettent en valeur de beaux documents d'archives:

  • Molière à la Société d'Histoire du Théâtre;
  • Un théâtre par ses archives: le Théâtre de la Madeleine;
  • Gravures de théâtre;
  • Regards sur le public;
  • L'improvisation en archive;
  • Miniatures de théâtre;
  • Stanislavski à la SHT;
  • La mode au théâtre;
  • et plusieurs autres.
Il est possible de les visiter en suivant ce lien

mercredi 19 février 2020

Les enjeux de l'actualisation d'une pièce de théâtre

Mon champ de prédilection, comme metteur en scène, réside principalement dans les textes du répertoire (plutôt général)... avec un attrait particulier pour les textes de l'Antiquité, les farces médiévales, le théâtre russe, le théâtre de boulevard et le vaudeville français, le Grand Guignol... et tant d'autres! 

À chaque fois que je me replonge dans la lecture d'une pièce, avec en tête la quête de la prochaine production, revient les mêmes questions: que dit-elle? que me dit-elle? comment résonne-t-elle aujourd'hui? que montre-t-elle du monde actuel? quel est l'écart entre le passé et le présent? quel sens prend son discours?  Pourquoi la monter encore?

Je crois fortement en la valeur des textes de toutes les époques et de leur voix singulière pour dire le monde d'aujourd'hui. 

Mais vient toujours la mise en scène. Se pose alors une grande problématique: comment transposer ce texte ancien? comment faire comprendre la justesse du choix? comment le rendre clair? 

Bref, comment l'actualiser?

En lisant, par temps morts, mon bouquin sur Thomas Ostermeier (dont il était question ), j'ai souligné ce passage (p. 151... de l'auteure de l'ouvrage Jitka Pelechovà et non pas d'Ostermeier) qui représente bien tous les enjeux de ce principe d'actualisation:

Soumettre les textes anciens à une actualisation consiste à les transposer dans notre époque contemporaine selon un mode plus ou moins réaliste. C'est un travail qui se répartit selon une frontière souvent poreuse entre la dramaturgie et la mise en scène [...]. Or, cette épineuse question de l'actualisation soulève trois enjeux majeurs. Le premier est de faire face à la difficulté de trouver des analogies crédibles, subtiles et sensées, entre les faits relatés dans une pièce du passé (les situations, les objets, les costumes, etc., tout un univers visuel et sonore et sa matérialisation) et ce que pourrait être leurs équivalents actuels. Le deuxième, d'éviter de porter par là un regard réducteur sur notre société, ce qui mènerait à un aplatissement à la fois de la pièce et de la réalité actuelle. Le troisième, de ne pas faire dire à un auteur classique ce que l'on voudrait qu'il dise,  en lui faisant tenir certains propos, en  lui prêtant des intentions - c'est-à-dire en se servant de son oeuvre à son détriment.

C'est là, je trouve une belle réflexion... comme une mise en garde.

mardi 18 février 2020

Directeur de théâtre = éducateur et moralisateur...!

Je poursuis ma quête à propos de l'(im)moralité de notre théâtre! Les archives des années 20-30 regorgent de débats sur la question! Des débats qui sortent un peu de l'interdiction religieuse et de la menace pour poser d'intéressantes (et bon, quand même un peu dépassées!) questions sur le rôle de l'art et du théâtre. 

Voici donc, ce matin, un article paru dans La Libre Parole (un journal de Québec), en ce 30 mars 1912:


dimanche 16 février 2020

Une nouvelle peste!

Au Québec, l'histoire théâtrale de la seconde moitié du XIXe siècle est marquée principalement par les grandes tournées américaines (qui présentent également des troupes britanniques et françaises) qui feront défiler, sur les quelques scènes disponibles (propriétés du capital anglophone), les plus grands noms de l'époque... dont Sarah Bernhardt, Lucien Guitry, Réjane et plusieurs autres. À chaque fois - et mon blogue en témoigne! - la moralité se déchaîne dans les journaux.

Quand en 1885, des promoteurs (canadien-français) s'unissent et font des démarches pour créer une scène (francophone) capable de recevoir les tournées françaises voire d'installer une troupe française à Montréal, le bouchon saute!

Mais heureusement, les bons gardiens de la conscience veillent et mettent en garde la population en danger! Le journal La Vérité y va alors, en ce samedi 11 novembre 1885, d'une belle comparaison empreinte de menaces de châtiments divins:




samedi 15 février 2020

Quand le Progrès du Saguenay (de 1929...) se mêle de morale théâtrale...

Le lundi 5 novembre 1929, le directeur du Progrès du Saguenay (et aussi avocat) Eugène L'Heureux y va d'une critique théâtrale pour un spectacle qui s'est tenu quelques jours auparavant. 

Si la première section publiée ici laisse plutôt indifférent le lecteur d'aujourd'hui (parce qu'il est impossible de savoir de quoi il s'agit exactement), la seconde section prend une tournure beaucoup plus intéressante: L'Heureux questionne fortement la moralité de théâtre et la place que doit prendre son journal. 

En plein le genre de littérature qui me plaît: drapée dans la vertu et la convenance!




mercredi 12 février 2020

Une autre montée de lait épiscopale...

Oh. Il y avait longtemps que je ne m'étais pas donné le plaisir de publier une autre fronde ecclésiastique contre le théâtre! Je remédie à cette longue trêve pour ressortir  des souvenirs (et de la BaNQ) une autre montée de lait épiscopale. Cette fois, elle est tirée de l'édition du 3 décembre 1886 du Journal des Trois-Rivières:


Ainsi, pas de théâtres immoraux... et pas de glissoires publiques! Tiens donc. Mais surtout, quelle belle ingérence dans les affaires de la municipalité. L'homme d'Église qui s'accorde ces droits (divins) devrait être, si je me fie au site web du Diocèse des Trois-Rivières, son second évêque, Monseigneur Louis-François Riché-Laflèche:


Il était, selon Wikipédia, le chef des ultramontains, à l'instar de son collègue, Monseigneur Bourget (l'une des vedettes incontestées de ce blogue!). C'est donc dire qu'il n'avait pas le théâtre en odeur de sainteté...

dimanche 9 février 2020

Quand le théâtre se donne à l'UQAC...

C'est un euphémisme de dire et penser que l'Université du Québec à Chicoutimi a joué un rôle majeur dans la constitution, l'évolution, la consolidation, la professionnalisation de notre milieu théâtral (et culturel dans son ensemble). 

Sans être une école de ''spécialisation'' (comme les Conservatoires, l'École Nationale ou les collèges qui dispensent une formation technique), l'UQAC a permis a de nombreuses cohortes d'artistes (dont plusieurs sont très actifs de nos jours) de réfléchir à la chose théâtrale, de peaufiner des démarches, de faire des recherches formelles. Ceux qui n'y ont jamais mis les pieds sont peu nombreux... 

Le théâtre a fait officiellement son entrée dans le cursus de l'UQAC à la session Hiver 1978. Avant cette date, l'art dramatique n'était pas inexistant. Loin s'en faut. Il était soit desservi par le service socioculturel (animé pendant longtemps par Ghislain Bouchard), soit abordé d'un point de vue littéraire par les Lettres. 

Voici comment, le 20 novembre 1977 (dans le Progrès-Dimanche), Rodrigue Villeneuve, initiateur et titulaire du programme, présente le tout nouveau Certificat de théâtre, quelques semaines avant le premier cours, :


Il est assez intéressant de voir que dès le départ, ce programme se destine à stimuler le milieu théâtral régional qu'on espère voir se profiler à l'horizon, à devenir un catalyseur d'une pratique riche en expériences de toutes sortes. Et le dernier paragraphe qui pose des objectifs à longs termes nous permet, de nos jours, de juger du chemin parcouru... 

En 1989, ce programme en théâtre sera intégré au tout nouveau Baccalauréat interdisciplinaire en art (qui fera école et se démarquera par son approche) pour devenir l'une des six concentrations (théâtre, cinéma, design, sculpture, peinture, histoire de l'art).

C'est là que j'ai fait mon bacc. (1997-2000) et ma maîtrise (2003-2005)... et c'est là que je donne, depuis 2006, des charges de cours (principalement en histoire du théâtre au Québec et en création) en plus de faire quelques supervisions.

samedi 8 février 2020

Le théâtre, héros de notre temps?

Thomas Ostermeier, metteur en scène allemand (né en 1968), a une vision précise du théâtre... du rôle du théâtre dans la société. De l'espace que celui-ci occupe... qu'il devrait occuper. Voici comment, en quelques mots, il exprime la dualité théâtrale d'aujourd'hui, dans Le théâtre et la peur (assemblages d'entrevues, de discours et de de conférences), paru en 2016 chez Actes Sud:


[...] Le théâtre n'a pas mérité d'être le héros de notre temps. Il n'a rien fait pour l'être. Au contraire, le théâtre a tout fait pour cesser d'exister. Il a abandonné sa source vitale et essentielle, que sont les auteurs, et il a abandonné la formation de l'acteur, l'art de l'acteur n'est plus important aujourd'hui. Le théâtre a donc tout fait  pour ne pas être un héros de notre temps. Mais en même temps, la société a tout fait pour que le théâtre devienne le héros de notre temps, parce que c'est le dernier endroit d'une véritable liberté. Tous les autres médias sont entre les mains des grosses boîtes de production, tandis que le théâtre subventionné peut encore être un endroit de rêve et de liberté. Dans notre société, il y a de moins en moins de rencontres véritables entre les individus. [...] Dans un monde dominé par le virtuel, on se retrouve tout d'un coup avec une représentation réelle et virtuelle à la fois. Et c'est ça la beauté du théâtre, dans le monde d'aujourd'hui qui nous confronte sans cesse à des médias bidimensionnels.

C'est, d'une part, un regard sévère (ou rigoureux?) porté sur le théâtre... mais aussi un profond engagement envers ce médium. Et tout l'intérêt d'Ostermeier se retrouve dans ces et ses contrastes: de la haine à l'amour des planches, du retour constant aux classiques aux codes du théâtre contemporain,  de sa position d'artiste à celle du gestionnaire, de sa position établie à une recherche permanente de renouvellement. 

vendredi 7 février 2020

À quoi tient la gloire?

Notre bon Progrès du Saguenay (du 2 août 1906) nous révèle un grand secret théâtral... à savoir: à quoi tient la gloire? Question complexe. Cette gloire tient-elle du talent? De la présence? De l'effort? Des heures et des heures de répétition? Que non! C'est bien plus simple! Elle vient du bon et tonique vin St-Michel! Car tous connaissons les bienfaits de l'alcool sur le jeu, la mémoire et la rigueur! 


La belle époque des réclames! Et des témoignages tous plus sincères les uns que les autres... ancêtres de nos bonnes info-pubs!

Par ailleurs, mes premières recherches - sommaires, j'en conviens - ne m'ont pas permis de trouver beaucoup d'informations sur ce pourtant favori tant sur la scène qu'en dehors, et qui a créé nombre de rôles fameux... Qui est-il? (J'imagine que c'est son portrait qui illustre l'annonce...)

Ce n'est pas trop clair... Il semble qu'il fasse partie de ces acteurs français, nombreux au tournant du XIXième siècle, à tenter leur chance dans ce Nouveau-Monde... du moins, si je me fie aux quelques articles que j'ai trouvé annonçant ses départs pour la France et ses retours... Mais il se peut aussi qu'il soit canadien... Dur à dire.

La Presse du 2 juillet 1902, le fait partir pour l'Europe... retour chez-lui ou non?... dur à dire : 


Puis, ont leur fait des adieux, toujours dans La Presse, quelques années plus tard, le 1er juillet 1905:


Revient-il par la suite? Aucune idée. Les archives se taisent. Tout ce que je sais, c'est qu'entre les deux, les choses ne semblent pas avoir particulièrement bien tourné... puisqu'il y a cette toute petite brève (qui porte bien son nom) parue dans Le Nationaliste du 23 juillet 1905:



jeudi 6 février 2020

Quand une critique passe mal...

Les critiques de théâtre exercent un métier dangereux... car oui, les mécontents sont souvent nombreux: parce que trop floues, trop brèves, trop incomplètes, trop dures, trop vague, trop à côté de la track. Trop. Ou pas assez. 

Mais personne, je l'espère, ne réagira comme cet homme dont il est question dans le Devoir du 14 octobre 1913:


mardi 4 février 2020

Nouvelle acquisition... pour stimuler la réflexion!



Je viens tout juste de recevoir ce numéro spécial de la revue Études théâtrales qui dresse le portrait de l'un des importants metteurs en scène contemporains: Thomas Ostermeier

C'est l'un des praticiens que j'aime beaucoup. D'abord, parce qu'il se réclame principalement de Vsevolod Meyerhold (qui reste mon maître à penser et qui était à la base de mes études universitaires à la maîtrise et au début de mon doctorat abandonné...). Puis parce qu'il se réclame du répertoire, du récit, des personnages... n'en ayant rien à faire du théâtre post-dramatique bien qu'il inscrive ses mises en scènes dans une modernité fort actuelle. Un iconoclaste tant pour le passé que pour le présent. Enfin, parce qu'étant une figure hautement médiatique (il est le directeur de la plus grande maison de théâtre de l'Allemagne, la Schaubühne), nous avons accès à de nombreuses sources - ses conférences, ses entrevues, ses écrits - pour tenter de bien saisir sa façon de penser le théâtre, sa vision de la chose dramatique, etc.

Lire Ostermeier, lire sur lui et son travail est donc une bonne source de questionnement, de réflexions. Le genre de lecture qui permet de développer, d'aiguiser la pensée...

lundi 3 février 2020

Devenir fonctionnaire du théâtre... en 1973!

Au cours des mes pérégrinations à travers les archives de la BaNQ, j'ai trouvé cette offre d'emploi, parue en 1973 dans Le Soleil... il y a donc presque 50 ans:


Il s'agit là, en gros, d'un poste de fonctionnaire rattaché au Ministère des affaires culturelles... avec un salaire oscillant entre 19 et 23 000$. De 1973. Ce qui représenterait, de nos jours, selon un calculateur d'inflation pris sur le net, un salaire d'environ 119 000$. 

Un poste de fonctionnaire, oui. Parce qu'encore aujourd'hui, en 2020, je serais curieux de connaître le nombre d'artistes en théâtre qui réussissent à dépasser ce seuil du 20 000$ par année... 

dimanche 2 février 2020

EMPIRE, la genèse d'un projet

Il y a parfois des projets qui semblent sortis de nulle part. Comme cette création du Théâtre 100 Masques qui prendra l'affiche dans un peu plus d'un mois.

Depuis quelques années, je caresse le projet de travailler sur une production de Phèdre. Oui... la version de Racine. Mais aussi - et surtout pour le projet en question - celle d'Euripide, centrée sur la version du beau-fils: Hyppolite porte-couronne (écrite en -428 avant JC). 

J'ai élaboré, en 2016-2017, à partir de diverses traductions et une bonne part de réécriture, une partition pour deux comédiens: Les morts sacrilèges, qui fait s'entremêler les voix des différents protagonistes (Phèdre, Hyppolite, Thésée, les déesses, Théramène, la servante) en de longs récits. Ce texte est, je crois, intéressant... mais en même temps, il lui manque encore un quelque chose.

J'ai alors cherché de nombreux textes autour de ce mythe... principalement dans les textes antiques.

Et le projet a peu à peu bifurqué. 

En lisant sur tout et rien, je me suis attardé aux grandes figures d'autorité dans l'Antiquité... jusqu'à l'empereur Néron... Fascinant personnage. Une courte phrase me revenait toujours en tête: Brûle mon empire, brûle. Plutôt anodine et en même temps bien rythmée. Puis je me suis mis à écrire un monologue dit par le tyran... plus ou moins convaincant. Je l'ai abandonné... vite entré dans le cul-de-sac historique. Mais de lui, resta l'envie de décrire la déchéance d'un empire (!) jusqu'à sa destruction par le feu. Et pas nécessairement l'empire romain.

Après avoir écrit une première ébauche de quelques pages, je me suis fait un plan. Détaillé. Et c'est comme ça que l'écriture a pris son envol, assez rapidement, à l'été 2018, fortement inspirée par l'actualité mondiale d'alors: catastrophes naturelles, humanitaires, épidémiques, politiques... de quoi décourager, foutre le cafard, l'angoisse et l'anxiété à n'importe qui. Le ton était donné.

En résulte donc un long récit. Une chaîne irréversibles d'engrenages malsains et apocalyptiques. Une suite de fatalités de plus en plus catastrophiques. Une conséquence de choix arbitraires. Une extinction. Puis une autre voix s'est insérée pour faire un contrepoint. Un regard extérieur, supérieur. Insensible. Aveuglé par sa suffisance et son ambition. 

En tout, il y a eu 4 versions en quelques semaines. Chacune apportant son lot de modifications (parfois importantes!), de ratures, de réécritures, de modifications substantielles à la rythmique du texte, au vocabulaire, au style. 

Une première création devait être faite l'an dernier. Mais d'autres projets m'ont contraint à le repousser. Et entretemps, j'ai revu la forme. Le texte est passé de deux voix distinctives (qui imposait une relation trop claire et manichéenne) à trois voix interchangeables, liées et en compétition, avec, comme champ de bataille, une cité et un peuple otage de décrets tous plus insensés les uns que les autres, au profit d'une économie dominatrice et dévastatrice.

De Phèdre, plus rien... mais ce n'est que partie remise.

Voici donc comment est arrivé Empire. Comme une recherche. Comme un défoulement. 



samedi 1 février 2020

Une clémence théâtrale

Le XIXième siècle (particulièrement au Québec... mais aussi en France) comporte tout un ensemble de prédicateurs, de curés, de vicaires, d'évêques et de cardinaux qui se posent en farouches pourfendeurs du théâtre. Ils me fournissent, d'ailleurs, un impressionnant corpus de morceaux littéraires qui rivalisent d'originalité, de menaces et de maux envers quiconque va et fait du théâtre. 

Mais certains ressortent du lot par leur souplesse d'esprit (!) face à la chose dramatique... comme ce petit passage du Cardinal Thomas Gousset (biographie ici), figure de l'ultramontanisme français, qui a inspiré, semble-t-il (selon le fort intéressant L'Église et le Théâtre au Québec, de Rémi Tourangeau et Jean Laflamme publié en 1979 chez Fidès), nombre de nos pasteurs... à commencer par Mgr Ignace Bourget qui, au début de son règne, tolérera la pratique de cet art (selon certaines conditions comme la non-mixité et la moralité du répertoire) sans pour autant lui donner sa bénédiction... mais qui finira par sombrer dans une lutte féroce contre les jeux scéniques!



Donc, Gousset, dans sa Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs, parue en 1844, y va de la sempiternelle logorrhée anti-théâtrale:

Ceux qui composent ou qui représentent des pièces des pièces de théâtre vraiment obscènes, comme certaines comédies ou tragédies qui ne respecte ni la vertu ni la sainteté du mariage, pèchent mortellement.

On ne peut, sous peine de péché mortel, concourir à aucune représentation notablement indécente [...], ni par abonnement ou souscription, ni par applaudissement. Il y aurait aussi péché pour les simples spectateurs qui assisteraient à une représentation notablement obscène, pour le plaisir honteux que cette représentation peut occasionner.

Et là - ô surprise - il nuance (ce qui est plutôt rare dans ce type de prescription):

Mais il n'est pas de même pour ceux qui n'y assistent que par curiosité ou par récréation; ils ne pèchent que véniellement [ouf!], pourvu qu'ils se proposent de résister à tout mouvement charnel qui peut survenir, ou qu'ils n'aient pas lieu de craindre de se laisser à quelque faute grave. 

Mais...

Cependant, il serait difficile d'excuser de péché mortel un jeune homme qui, sans nécessité, voudrait assister au spectacle, dans le cas dont il s'agit; à moins qu'il ne fût d'une conscience très timorée et qu'il ne pût s'autoriser sur sa propre expérience. Encore faudrait-il, dans ce dernier cas, que son exemple ne fût pas une occasion pour d'autres jeunes gens d'assister à des représentations indécentes. 

Pourtant, il persiste et signe: le théâtre n'est peut-être pas si pire... et viennent les exceptions qui pourraient trouver grâce à ses yeux:

Si les choses représentées ne sont pas notablement obscènes, et si la manière de les représenter ne blesse point gravement les moeurs, il n'y a que péché véniel à assister au spectacle sans raison légitime. On excusera même de tout péché ceux qui ont quelques juste cause d'y assister: tel est le cas, par exemple, de la femme mariée qui peut assister au spectacle sans pécher, pour ne pas déplaire à son mari, ou encore du fils ou de la fille, pour obéir à leur père. Mais ceux-mêmes qui sont obligés d'aller au spectacle, comme ceux qui croient pouvoir y aller, doivent se tenir en garde contre le danger. 

Ce  XIXième siècle est fascinant.