jeudi 28 décembre 2023

Le théâtre élizabéthain comme un théâtre d'acteurs

Photo de John Tramper, prise .

Je suis encore en pleine période élizabéthaine... mais pour combien de temps encore? Lecture du temps des Fêtes oblige! Je passerai bientôt à autre chose car voilà que je viens de terminer ce bouquin fort intéressant: Le Théâtre du Monde de Frances A. Yates, publié chez Allia en 2019 (en fait, c'est une réédition d'un ouvrage paru une première fois en 1969) qui a fait l'objet de quelques billets depuis les derniers jours.

Intéressant parce que le théâtre du temps de Shakespeare, tant dans sa forme architecturale que dans sa forme dramaturgique, est fascinant... parce que tellement éloigné tout en étant presque familier... parce qu'étant unique dans sa conception (conception qui n'est qu'interprétée aujourd'hui puisqu'aucun bâtiment - de bois et de chaume bien inflammables! - ne nous soit parvenu directement) tout en étant parfaitement clair dans ses conventions.

Mais bref, en voici un autre passage (p. 178):

Les grands théâtres publics en bois construits à Londres [note de moi-même: entendre ici principalement les théâtres échafaudés entre 1576 et 1615 comme le Globe, le Rose, le Cygne, etc.] n'utilisaient pas de scènes en perspective: cette absence au moins est une certitude. Dans ces théâtres, le changement de décor étaient simplement indiqué par le déplacement des acteurs d'un point à l'autre de la scène. Peut-être ces différents points étaient-ils identifiés par des éléments décoratifs mobiles; mais quoi qu'il en soit, les moyens techniques employés pour indiquer différents lieux n'avaient rien de classique. C'est peut-être cet aspect des théâtres publics qui a contribué à empêcher qu'on y décèle la moindre influence classique. Mais il ne faut pas oublier ce qui était tout de même leur aspect le plus remarquable: c'étaient des théâtres d'acteurs, où les effets reposaient entièrement sur les acteurs, avec peu ou pas de moyens visuels. Dans les théâtres publics de Londres, c'est la voix des acteurs qui comptait; tout l'attrait de la représentation reposait sur les paroles qu'ils proféraient, qui devaient être clairement entendues. Depuis la grande scène, la voix des comédiens atteignait les oreilles des spectateurs installés tout autour d'eux, dans la cour et dans les galeries. «Prêtez-moi l'oreille» s'écrie Marc-Antoine dans Jules César. Le type de théâtre pour lequel écrivait Shakespeare était un théâtre d'abord fait pour l'ouïe, propre à véhiculer un grand drame poétique, une vaste caisse de résonance où rien ne devait empêcher les paroles prononcées sur la scène d'atteindre les moindres recoins du théâtre. 

Encore une fois, la thèse défendue ici est que cette architecture - qui ne s'est malheureusement pas imposée dans l'histoire théâtrale - est directement inspirée du théâtre antique et en est, d'une certaine façon, l'une des meilleurs réinterprétation. Une thèse bien intrigante et, à la lecture, bien cohérente qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion.

Pour ceux qui passerez par Londres prochainement, mettez une visite au Globe (une convaincante reconstitution telle que le montre la photo de ce billet) à votre programme pour vivre ce dont il est question ici! J'ai eu cette chance en 2019 et c'est fabuleusement bluffant.