samedi 28 décembre 2024

Mnouchkine: «Il n'y a pas de recettes, mais des lois.»


Ariane Mnouchkine - une grande parmi les grands - qui explique ici, dans L'Art du présent (Babel-Essai, 2016), une partie de son travail lors de stages avec différents groupes, qu'ils soient artistes professionnels, amateurs, étudiants:

Ce que nous essayons d'enseigner? Qu'il n'y a pas de recettes, mais des lois. Écouter - tout vient de l'autre -, recevoir avant de faire quoi que ce soit, d'ailleurs ne jamais rien faire, ne jamais fabriquer.

Et quelques règles toutes simples. Par exemple: donner une âme complète à son personnage, qu'il puisse être à un moment Einstein, ou Desdémone, ou un gros bébé, ou la reine d'Angleterre, ne pas froisser irrémédiablement la page avant d'être entré sur le plateau, ne pas préjuger d'un personnage. Ne pas composer non plus, mais déplier chaque passion, chercher le petit pour trouver le grand: Dieu est dans les détails. Trouver l'état, le sentiment, comme disait Jouvet. Écouter les nouvelles venues de l'intérieur de soi, comme dit Eschyle. Écouter les nouvelles venues de l'intérieur de l'autre. Ne pas orner. Savoir qu'il n'y a pas de mouvement sans arrêt, aller d'une immobilité à une autre, comme les danseurs qui s'arrêtent, même en l'air, regardez-les! Il n'y a pas musique sans silence. Pas de force sans calme. Pas d'océan qui soit borné par un rivage. Écouter. Tout est vrai, tout se passe à l'instant même, jamais plus tard, jamais avant, jouer au présent, une seule chose à la fois. Oublier complètement l'état précédent pour pouvoir jouer le présenté Écouter. Savoir abandonner, s'abandonner à la versatilité des états. Écouter. Voir ce qui se passe en soi certes, mais aussi se voir dans l'Histoire, ne jamais laisser l'imagination se refermer. Le beau stage est celui où, tous, nous découvrons, nous entendons ce qui, depuis toujours, était là. Masqué par le tohu-bohu.

Et bien sûr, discipline, travail, économie, pas avarice. L'économie, c'est ne pas faire ce qui est inutile comme déplacement, comme geste, comme mots. L'avarice, c'est se contenter d'un vide sec, ne pas faire l'effort pour trouver à l'intérieur de soi ce vide fertile, plein de virtualités.

J'admire cette capacité à définir son propre travail, à savoir y réfléchir, s'y questionner, se positionner avec humilité... positionnement envers soi-même d'abord puis envers l'autre, envers la scène pour aller, collectivement, vers une quête artistique.