mercredi 7 décembre 2011

Un sonnet pour Sarah

Sarah Bernhardt par Hans Makart, 1881

Il fut une époque où les auteurs et les poètes célébraient les acteurs de belle façon. Il faut dire qu'en ce temps, les scènes théâtrales étaient le royaume de grands monstres sacrés de leur vivant.

Voici, en exemple, un sonnet écrit par Edmond Rostand (qui lui a écrit de grands rôles) dans le cadre d'un grand banquet d'auto-célébration qui a eu lieu en décembre 1896.

En ce temps sans beauté, seule encore tu nous restes,
Sachant descendre, pâle, un grand escalier clair,
Ceindre un bandeau, porter un lis, brandir un fer,
Reine de l'attitude et Princesse des gestes!

En ce temps sans folie, ardente, tu protestes!
Tu dis des vers, tu meurs d'amour, ton vol se perd!
Tu tends des bras de rêve... et puis des bras de chair,
Et quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes...

Avide de souffrir, tu t'ajoutas des cœurs!
Nous avons vu couler, car ils coulent tes pleurs!
Toutes les larmes de nos âmes sur nos joues!

Mais aussi, tu sais bien, Sarah, que, quelque fois,
Tu sens furtivement se poser, quand tu joues,
Les lèvres de Shakespeare aux bagues de tes doigts.

De la demi-mesure...


Devant un filage (ou un enchaînement ou une générale ou une représentation), il arrive parfois - notamment dans un contexte de comédie - d'avoir l'impression que les comédiens, sur scène, en font trop... au point de perdre quelque peu le contrôle d'eux-mêmes et, du coup, de faire dérailler la cohérence de l'ensemble.

Garder la maîtrise de soi est facile à comprendre... mais plus difficile à appliquer. Parce qu'il s'agit là d'une notion qui demande une connaissance approfondie de ses capacités, une aptitude à s'observer de l'extérieur, une faculté d'évaluer sur le champ l'énergie nécessaire et s'y maintenir.

En ce sens, Meyerhold conseillait: Quoique vous fassiez sur la scène, observez en tout une demi-mesure: et dans la voix, et dans le mouvement. Le spectateur remarque toujours la tension d'un acteur qui en fait trop

Cette «demi-mesure», loin d'amortir le jeu de l'interprète, doit lui permettre de se ménager de l'espace de travail, une possibilité d'action qui ne le poussera pas dans ses derniers retranchements. Ce qu'il perd en «intensité» (ce terme étant top souvent surchargé d'excitabilité...), il le gagne aussitôt en nuance.
C'est jouer, en quelque sorte, avec un pied sur le frein, prêt à tout laisser aller au moment opportun... quand le moment scénique s'y prête.

Cette «demi-mesure», c'est un certain cadre que sait se donner un comédien d'expérience, une limitation bénéfique pour la conduite de son jeu... parce que sans auto-restriction, pas de maîtrise.