[...] C'est notamment la domination de la culture de l'écrit qui nous a fait «oublier» que la tragédie antique, contrairement à la culture de la lecture de la modernité bourgeoise, signifiait en tout premier lieu, et presque exclusivement, une [...] Les textes des tragédies existaient, ils étaient examinés avant les concours et les acteurs en disposaient. Mais les textes des tragédies dont la postérité a fait de puissants chefs-d'oeuvre littéraires ne circulaient pas sous forme textuelle à l'époque classique. S'ils étaient reconnus et récompensés, c'est parce qu'ils faisaient partie d'un événement théâtral, en tant qu'expérience sensible et affective dans la situation théâtrale. La perception déformée qu'on en a communément vient de ce que seul le texte et non le contexte a pu être conservé dans les archives [...].
En d'autres termes, quand nous abordons un texte antique, nous ne l'abordons souvent qu'en fonction de l'objet texte en occultant toute la dimension performative originelle de celui-ci.
C'est un court extrait (pp. 41-42) de l'ouvrage dont la couverture illustre ce billet. Au fil des pages, Hans-Thies Lehmann (le théoricien - qui n'est pas particulièrement facile à lire - du théâtre postdramatique) entreprend de déconstruire les présupposés aristotélicien (de la tragédie, de la mimésis et de la catharsis) pour redéfinir, à partir de racines philosophiques, le rapport à l'expérience tragique. Rien que ça...!
C'est plutôt pointu et j'avoue que je dois parfois recommencer une phrase, un paragraphe, un chapitre entier avant que de bien saisir ce qui est écrit.
Cependant, cette lecture est fort passionnante et ramène à la fascinante époque antique, à la fonction du théâtre et son rôle dans la société.