En ce jour de Pâques, voici une petite histoire sur comment et pourquoi le théâtre est-il devenu si néfaste pour l'âme du bon chrétien. Cette description mystico-historique nous vient de Bertrand de la Tour (1700-1780), doyen du chapitre de la cathédrale de Montauban (et apparemment, comme l'indique sa notice publiée plus bas, lié au Québec...), dans son ouvrage Réflexions sur le théâtre (qui peut se retrouver là, sur Google Books) paru dans la seconde moitié du XVIIIième siècle.
Un recueil d'Anecdotes ecclésiastiques, que n'a pas dicté la soumission à l'`Église et le respect pour les choses saintes, mais qui renferme plusieurs choses vraies, accuse le théâtre d'être l'auteur de toutes ces rapsodies, qui ne seraient que burlesques si elles n'intéressaient la vertu.[...] Les représentations théâtrales furent ensevelies sous les ruines de l'empire romain et ne reparurent que longtemps après.
Elles ne se montrèrent d'abord que sous le nom de mystères, sous le voile de la piété. Ces mystères étaient des actions saintes, la vie et la passion de Jésus-Christ, d'où les comédiens prirent le nom de Confrères de la Passion; d'où sont, venues tant de représentations dans l'Église, à Noël, aux Rois, à la semaine sainte, à Pâques, à la Fête-Dieu [...]. Tout cela peu conforme au goût régnant de la philosophie, qui se joue de tout et qui tient à l'irréligion, fort innocent dans son principe, utile même à des peuples dont la piété pure et simple s'en nourrissait avec fruit. Il l'est encore, pourvu qu'on en écarte tout ce que l'imagination bizarre voudrait introduire de puérilités et de bouffonneries, comme elle avait fait dans ces fameuses fêtes des Fous, justement abolies, qui n'étaient qu'un théâtre ambulant dans les processions, adoptées dans les solennités, scandaleusement transportées dans le sanctuaire. Ces fêtes ne furent des folies que parce que c'était l'ouvrage du théâtre qui empoisonne tout ce qu'il touche.
Comme des démons étaient nommés dans plusieurs mystères, il fallut les faire paraître sur la scène pour jouer leurs rôles: il y eut même divers drames où ils paraissaient seuls; ce qu'on appelait des Diableries, il s'en lit sans nombre [...]. C'était le Théâtre du diable, comme aujourd'hui le Théâtre de la Foire, le Théâtre Italien, qui en un sens en mérite encore mieux le nom. Les anciennes diableries donnaient horreur du vice en le montrant puni par les démons; les nouvelles au contraire favorisent, inspirent, embellissent le vice par les grâces des actrices, les agréments de la poésie, les charmes de la musique, la lubricité de la danse, l'obscénité des décorations, le scandale de l'intrigue et du succès. L'un était une leçon hideuse, mais utile; l'autre une école agréable, mais funeste. Il y avait des grandes et des petites diableries, comme aujourd'hui des grandes et des petites pièces; les petites étaient jouées par deux ou trois diables, les grandes par quatre et quelquefois plus; d'où est venu le proverbe, faire le diable à quatre: car quatre pareils acteurs réunis devaient faire un vacarme effroyable. Ils étaient couverts d'habillements horribles [...]: ils faisaient des hurlements affreux, des mouvements, des convulsions épouvantables, des masques hideux leur couvraient le visage, ils tenaient de grandes fourches, jetaient feu et flammes [...] Ainsi, la scène fait un double mal: elle embellit la fausse religion, le paganisme, c'est-à-dire le vice, et défigure la vraie, le christianisme, c'est-à-dire la vertu.
On prenait un plaisir singulier à ces spectacles, en les représentant dans les maisons particulières: il y avait des diableries de société, comme il y a des théâtres de société, et des proverbes infernaux que jouaient les jeunes gens. Le bas peuple les imita dans la campagne (ces déguisements hideux sont faciles à imiter), et firent des fêtes, d'abord religieuses pour craindre l'enfer, mais qui dégénérèrent en licence et toutes sortes de débauches. On choisissait des forêts, des lieux déserts; on prenait le temps de la nuit pour inspirer plus d'horreur, par la solitude, le silence et les ténèbres, pour être plus libres et mieux cacher les infamies qui s'y introduisirent; on y venait en foule, on y dansait, chantait, s'enivrait; il s'y trouvait des libertins, des mendiants, des voleurs, quelques personnes de bonne foi dont on avait surpris la crédulité : voilà le sabbat. Au retour de ces assemblées nocturnes, chacun, selon son caprice, racontait ce qu'il y avait vu; ce qui forme insensiblement ce corps de créance populaire, qui n'est qu'une folie que l'on doit surtout au théâtre, qui en donna le goût, l'idée et le modèle.