Un metteur en scène doit connaître tous les domaines qui constituent l'art du théâtre. J'ai pu voir Edward Gordon Craig en répétition, et cela m'a toujours subjugué qu'il ne crie pas: «Envoyez la lumière bleue!», mais qu'il indique avec précision: «Branchez la 3 et la 8!» Il était capable d'avoir des discussions professionnelles avec un menuisier, bien qu'il n'ait peut-être lui-même jamais fabriqué de chaise. Il faut être resté des heures dans la cabine des éclairagistes pour pouvoir leur donner des ordres. Quand les couturières apportent les costumes, le metteur en scène ne doit pas bafouiller «Ici, plus étroit, là, plus large», mais dire brièvement: «Il faut découdre ici et mettre là une armature.» C'est à cette condition que des collaborateurs paresseux ne viendront pas rétorquer qu'il est impossible de refaire quoi que ce soit, comme cela arrive habituellement, et vous ne vous mettrez pas à croire tout ce qu'ils disent.
Ce dictat est de Vsevolod Meyerhold (tiré du florilège de ses écrits établi par Béatrice Picon-Vallin aux éditions Actes Sud-Papiers). Et bien que dans ce cas-ci, ce soit assez radical, je dois admettre que je suis plutôt en accord.
Je suis d'accord sur le fait que le metteur en scène doit posséder une connaissance intime (peut-être pas parfaite, mais intime) de tout ce qui compose l'art théâtral. Pas pour être omniprésent ou pire, encombrant... mais pour pouvoir discuter d'égal à égal avec les concepteurs, de comprendre les plans, de visualiser à partir de considérations techniques. Je ne suis pas de l'école qui passe par la métaphore. Ou qui passe par l'abandon de grands pans (souvent esthétiques) à des collaborateurs jusqu'au moment où le résultat se fait voir.
Pour moi, le metteur en scène est, à la base, un technicien...tout comme le sont les acteurs et les concepteurs. Je parle de technicien au sens de maîtrise d'un art, d'un outil. Que ce soit une maîtrise de la mécanique, de la technologie, du corps, de la voix, de la scène dans son ensemble. Le travail de tout cet ensemble implique un savoir-faire. Une capacité de rendre concrète des idées, des atmosphères.
Ce sont là des techniciens sensibles. Sensibles au propos du texte. Sensibles aux demandes et aux besoins des uns et des autres. Et c'est cette sensibilité (partagée, confrontée, négociée, échangée) qui rend vivant ce qui pourrait n'être, au fond, que du plaquage.