vendredi 16 février 2024

Quand les mains anonymes sont belges


La semaine dernière, j'étais à Bruxelles pour assister aux trois représentations de la lecture-spectacle (un peu comme une amorce d'un éventuel travail plus étoffé) de ma pièce Les Mains anonymes, présentées au Centre Wiels, sous la direction de Marie-Gaëlle Verspecht.

Ainsi donc, après l'avoir travaillé deux fois avec Erika Brisson (en novembre 2016 et en février 2018) et une fois avec Guylaine Rivard (en janvier 2023), c'est par une autre interprète - Raphaëlle Bruneau (dont vous pourrez voir ici quelques éléments biographiques) - que j'entendrais de nouveau mon texte! 

Étrange sensation que de s'asseoir, quidam anonyme, dans une salle, au milieu de parfaits inconnus (qui seront près de 200 au total), dans un autre milieu que le mien et de tout à coup voir s'incarner mes propres mots! Étrange distanciation entre quelque chose de plus que familier et de simultanément fort étranger! 

La comédienne accueille les spectateurs, dans un brouillard épais. Son texte en main. Derrière elle, sur le mur, se déploie une grande image numérique aux accents fantasy (qui laissera place, à un seul moment, à une citation tel que le montre la photo). Une petite musique en boucle résonne. 

Puis la lecture commence. 

Le jeu, bien maîtrisé, est rapide (en fait, c'était presque une version TGV... au point qu'à la fin de la première représentation ayant duré une trentaine de minutes, les spectateurs s'attendaient à une autre partie!), esquissant dès le départ une forte montée dramatique au cours des quatre premiers tableaux (sur huit). 

Et c'est là que le décalage se produit entre mon propre rythme d'écriture (et de mise en bouche) et celui de l'équipe de ce projet. Schématiquement parlant, la différence ressemble à ça (le graphique du haut étant mon arc narratif et celui du bas, le leur):

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Le texte résonne alors différemment: ce qui pour moi est une partition d'introspections et de silences douloureux qui mène inéluctablement (en 60-75 minutes) vers le sommet, devient dès lors une matière énergique portée par une jalousie qui dévore le personnage pour être le moteur dramatique. Le personnage - Raphaëlle y plonge avec un solide engagement et une vivacité proche de l'hystérie - se répand en invectives puis en rage dévastatrice avant que d'assumer, d'une certaine façon, son geste et ses conséquences. 

Je regardais la prestation qui me renvoyait, de mon texte, un autre sens. Et c'était fort intéressant! Quelque peu déstabilisant! Avec une forte envie de voir cette ébauche surpasser l'obstacle concret du papier parce qu'une lecture, toute bonne soit-elle, reste une lecture qui retient le regard de l'acteur au lieu de le porter vers son destinataire! L'envie de voir se créer un véritable échange scénique avec la salle! 

Après, bien sûr, le metteur en scène n'est jamais bien loin avec ses questions et ses remarques! Mais ça, c'est entre moi et l'autre metteure en scène! :)