vendredi 7 janvier 2022

Les morts sacrilèges - genèse du projet


LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE est un projet de longue date pour le Théâtre 100 Masques, qui a connu de multiples évolutions depuis sa genèse. Un projet sur les traces de l’absolutisme des sentiments provoqués l’orgueil et de la trahison. Une quête de l’humanité dans toute son horreur.

Le projet prend donc son envol, sous une autre forme que celle envisagée.

D’abord, il y a quelques années, j'avais jeté mon dévolu sur le PHÈDRE de Racine. Lectures, analyses, ébauches de projet s’accumulaient… mais en vain. Il faut dire que le défi théâtral est important tant la forme est écrasante. Mais plus encore, dans ce récit par ailleurs fabuleusement écrit, les personnage d’Hippolyte et de son amante, Aricie, m'ont toujours parus superficiels, amoindris qu’ils sont dans une bête histoire d’amours contrariées. Les questionnements sur ceux-ci étaient nombreux.

Mes recherches m’ont donc mené vers les sources antiques du mythe, dont la version d’Euripide (écrite autour de 428 av. J.-C.). Dans celle-ci, titrée HIPPOLYTE PORTE-COURONNE, si Phèdre est toujours présente, le personnage pivot est justement le beau-fils en question. D’Aricie, aucune mention.  Il est montré dans toute sa splendeur : fougueux et fier, il n’a d’yeux que pour Artémis - déesse de la chasse -, refuse tout contact charnel et émotionnel avec une femme et, en ce sens, méprise royalement Aphrodite et ses disciples. C'est d'ailleurs pour ça que cette dernière - car oui, les déesses sont présentes et s'exposent - mettra en branle sa vengeance en instrumentalisant la pauvre belle-mère, déjà maudite par les antécédents de sa famille. Hippolyte est donc entier, tranchant, vindicatif, sans pitié. Devant lui, Phèdre succombe à sa passion et la fureur l’emplit. Du coup, les personnages acquièrent une toute autre dimension qui donne, à cette version, une cruauté troublante, féroce.

Après avoir parcouru plusieurs traductions de ce texte, il est vite apparu qu’aucune n’était tout-à-fait satisfaisante : souvent pompeuses, verbeuses, empêtrées dans une écriture désuète (celles que j'ai lues étant généralement écrites entre 1850 et 1900). C’est ainsi que l’idée de réécriture s’est imposée d’elle-même. Et plus encore, de travailler le texte de façon à pouvoir le faire porter par deux comédiens uniquement, dans une envie de créer une forte partition textuelle où l’interprète, de scène en scène, doit changer de rôles et revêtir les dynamiques soit du dominant, soit du dominé. Parce que dans ce jeu funeste qui se déploie, Phèdre, Hippolyte, Thésée, les déesses et même les serviteurs peuvent, au final, s’interchanger tant ils sont, au fond, pétris de ce même feu de l'orgueil qui couve et qui les consume inéluctablement. Effroyablement.

Sur une année (en 2017), j'ai, à partir des traductions existantes, recoupé le récit en 10 épisodes faisant alterner monologues et duos. Chaque réplique a été revue, comparée, sectionnée, allégée, minimalisée pour rester très près du squelette narratif, dans une ciselure quasi chirurgicale. Plusieurs passages, dont les choeurs, ont été gommés alors que d’autres ont été réécrits. (J'estime ainsi la proportion:  60% de texte original - si on peut dire - et 40% d'apport personnel.)

Une thématique s’est imposée d’elle-même tout au long de ce travail : le déchirement de l’intime sur l'autel de l'orgueil, chaque épisode étant ou une confession, ou une profession de sentiments, ou un repentir. Ce dévoilement, dans ses multiples formes, devient le véritable moteur dramatique, le déclencheur et le combustible de cette destruction annoncée.

Il en résulte un texte, LES MORTS SACRILÈGES, aux rythmes et syntaxes résolument contemporains, profondément rattaché aux échos de sa source antique d’il y a 2500 ans. Une partition énergique, prête à prendre vie avec vigueur et force. Et c’est à lui que nous voulons confronter nos expériences et nos envies scéniques!

Nous - moi et mon équipe de travail - en ferons donc une mise en lecture contemporaine très théâtralisée, aux allures d'un cabaret tragique!

Nous miserons sur cette forme parce que je crois fermement que la thématique de ce projet, telle que définie plus haut, trouvera, dans un tel contexte (présenté à l’Espace Côté-Cour,) peu conventionnel pour ce type de texte, un écrin intimiste, une proximité avec le public qui ne pourra que le servir. 

D’emblée, le cabaret vient avec un potentiel artistique puissant, décomplexé qui déconstruit et reconstruit ses propres codes, étalant également l’aire de jeu jusqu’à la salle. Chacun des dix épisodes de la pièce LES MORTS SACRILÈGES pourra, indépendamment des autres, trouver sa résolution scénique, en faisant intervenir différents moyens :
  • l’usage d’accessoires (objets, vêtements, mobilier);
  • l’usage de lumières de différentes origines (chandelles, torches, lampes, spots, blacklights, etc.);
  • l’usage de projections (que ce soient des images filmées spécifiquement pour ce spectacle, ou d’extraits de films, ou de créations numériques);
  • la création d’espaces sonores par la conception ou l’usage de micros et de programmes de transformations vocales.
Il ouvre ainsi un cadre de création qui allie efficacement le jeu traditionnel à la performativité contemporaine… essentiel à ce type de production syncopée, où les interprètes porteront plusieurs personnages, à coups de transformations à vue, de travail physique et corporel, d’accessoires évocateurs, d’effets produits par les technologies.

Il va sans dire qu’un jeu de monstration sera privilégié, rhapsodique. Une quête de virtuosité pour les comédiens qui devront passer d’un état à un autre avec justesse, avec célérité et efficacité.

Qui dit cabaret dit aussi forte présence musicale. Si les choeurs de la version originelle sont disparus, le projet LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE fera tout de même intervenir – tant entre les épisodes qu’ à l’intérieur d’eux - une autre entité, musicale et sonore!, ayant pour objectif de porter un point de vue extérieur sur l’action, les personnages, les enjeux dramatiques. 

Voilà ce que je veux faire avec ce projet.

Ainsi, au lieu de la constitution d’un univers scénique unique, LES MORTS SACRILÈGES – CABARET TRAGIQUE convoquera plutôt un cadre alternatif aux possibilités multiples qui prendra place, avec, sous-jacente, l’hybridation des genres, des formes. Et c’est comme ça que le Théâtre 100 Masques télescopera à nouveau l’Antiquité avec le monde d’aujourd’hui, pour faire vibrer à nouveau le spectateur, le frapper de plein fouet avec cette histoire dont on n’en a jamais assez!

29, 30 et 31 mars 2022, 20h
Espace Côté-Cour
Textes, mise en scène et conception générale: Dario Larouche
Comédiens: Erika Brisson, Bruno Paradis
Environnement sonore: Gabriel Gagné Gaudreault