samedi 13 août 2016

Un bout de «Chat en poche»


Je suis un fan fini des pièces de vaudevilles et de théâtre de boulevard qui ont fait la belle époque du théâtre de la fin du XIXième et du début du XXième siècle. Et j'ai, dans ma bibliothèque, les collections presque complètes du quatuor fétiche: Labiche, Courteline, Guitry et Feydeau.

D'alleurs, j'ai lu beaucoup dernièrement les pièces de celui-ci, en vue d'une éventuelle production estivale en 2017.

J'aime bien cette écriture vive. Ce ton toujours un peu caustique... parfois même virulent, sombre, noir... mais toujours très drôle. 

Voici le début de l'une de ses premières oeuvres, Chat en poche (1888), où il est d'abord question d'héberger un supposé chanteur d'opéra pour finir en une histoire rocambolesque d'adultère... Tout y est. Les jeux de mots, les quiproquos, les remarques narquoises.

Tous sont assis à table.
Pacarel. — Excellent, ce canard !

Marthe. — La recette est du docteur Landernau.

Landernau. — Eh ! parbleu, c’est le canard à la Rouennaise ! Tout le mystère est dans la façon de le tuer… C’est très simple… au moyen d’une constriction exercée de la main contre le cou du canard, n’est-ce pas, l’air ne pénétrant plus dans le thorax, l’hématose se fait incomplètement, ce qui amène des extravasations sanguines dans le tissu cellulaire qui sépare les muscles sus-hyoïdiens, et sous-hyoïdiens, par conséquent…

Pacarel. — Oui, enfin, vous lui tordez le cou… Ces médecins, ça ne peut rien dire comme les autres… Eh ! bien, c’est excellent. 
[...] (À Tiburce.) Apportez-nous le champagne.

Tiburce remonte chercher le champagne sur le buffet pendant que la bonne enlève les verres à vin et la carafe.

Amandine. — Ah ! je l’adore… mais mon mari, le docteur, me le défend… il dit que ça m’excite trop ! Il ne me le permet que pour mes bains.

Tiburce, à part. — Ah ! pauvre chatte !

Pacarel. — Allons ! tendez vos verres… et vous savez, c’est du vin ! Je ne vous dis que ça… il me vient de Troyes, ville aussi célèbre par son champagne que par le cheval de ce nom.

Julie. — Mais non papa, le cheval et le champagne, ça n’a aucun rapport. Ça ne s’écrit même pas la même chose.

Pacarel. — Pardon ! ai-je dit que… cheval et champagne, ça s’écrit la même chose ?

Julie. — Je ne te dis pas !… Mais il y a Troie et Troyes…ce qui fait deux.

Landernau. — Permettez… trois et trois font six.

Pacarel. — Ah ! très drôle ! Messieurs… Mesdames… Je demande la parole…

Il se lève.

Amandine. — Laissez parler M. Pacarel,

Marthe. — Parle !… Mon mari était fait pour être tribun,

Pacarel. — Messieurs… Mesdames… on ne pourra pas nier.

Marthe. — Ah ! à propos de panier, ma chère Amandine, j’ai retrouvé le vôtre, votre panier à ouvrage

Amandine. — Mon panier, ah ! moi qui le cherchais !

Pacarel. — Allez-vous bientôt me laisser parler ?

Marthe. — Va, mon ami. (À Amandine.) Vous me ferez penser à vous le rendre tout à l’heure.

Pacarel. — Messieurs et Mesdames… et surtout toi, ma fille… je vous ménage une surprise (À Tiburce.) Apportez-nous les rince-bouche.

Marthe. — C’est ça ta surprise?

Pacarel. — Non, ce n’est qu’une interruption… Je veux m’habituer pour si jamais je suis député… (À Tiburce.) Eh ! bien, vous n’entendez pas ? J’ai demandé que vous m’apportassiez les rince-bouche.

Tiburce. — Voilà ! Je vais vous l’apportasser !

Pacarel. — D’abord on dit apporter… On ne dit pas apportasser.

Tiburce. — Ah ! je pensais faire plaisir à Monsieur… comme Monsieur vient de le dire… Oh ! les maîtres !…

Il sort.

Amandine. — Monsieur Pacarel… vous avez la parole…

Tous. — La surprise !… La surprise !…

Pacarel. — Voilà… Je serai bref… Julie… tu t’es illustrée dans ta famille par la confection d’un opéra… tu as refait Faust après Gounod… Gounod était né avant toi, il était tout naturel qu’il eût pris les devants. Ton Faust, j’ai résolu de le faire jouer à l’Opéra même…


Et à partir de là, la machine s'emballe.

Bien entendu, cette pièce, toute drôle soit-elle, ne fait pas partie de la sélection qui repose sur ma table. Mais elle donne bien le ton des pièces à venir!