L'acteur Gaël Leveugle dans Vêpres de la Vierge Bienheureuse (Photographie: Didier Grappe)
Hier soir était présenté (grâce à la Chaire en recherche du Canada pour une dramaturgie sonore) le projet théâtral Vêpres de la Vierge Bienheureuse créé par le metteur en scène Éric Vautrin, le créateur sonore Jean-Luc Guionnet et le comédien Gaël Leveugle.
Un spectacle exigeant... loin du divertissement populaire. Un spectacle entre jeu, paroles et musique comme le dit le communiqué. Un spectacle qui enlève tous les repères du spectateur pour le laisser dans le tourbillon intense du deuil, de la perte, de l'absence.
L’auteur italien Antonio Tarantino a imaginé les paroles d’un père
démuni devant la dépouille de son fils suicidé. Avec une langue heurtée,
impuissante et maladroite à dire ce qui lui arrive, il invente une mort
mythologique, poétique, à son fils, lui improvisant un voyage au delà
de la vie. Convoquant dans le désordre mythes grecs, rituels chrétiens,
Dante ou actualités de l’Europe contemporaine, il tente de contredire la
mort et avec elle toutes les puissances du ressentiment et de
l’oppression, tout ce qui s’oppose à la vie.
Une parole souffrante. Un dialogue intense entre les mots et la musique, entre les mots et la lumière. Entre une scène consciemment insaisissable et une salle en quête de sens... en création de sens.
Et tout ça dans une théâtralité très épurée... et très efficace.
D'une part un comédien. Solide. Très présent. D'une maîtrise incontestable. Hypnotisant. Sans artifice sinon un jeu physique constant, intense... et un travail vocal abordé comme un construction sonore, tout en rythme, en volume, en débit, en intonation. Une musique envoûtante à partir du moment où le spectateur cesse de combattre pour sa propre compréhension (car les mots se bousuculent, se télescopent, se perdent dans l'accent de l'interprète, l'accent du personnage) et se laisse porter par cette mélopée, ce chant funèbre.
D'autre part, une architecture sonore. Puissante. Sensible. Comme soutien à ce flot verbal. Comme contrepoint. Comme masque. Envahissante et pourtant dans un équilibre constant avec la scène, sans imposition de technologies, de contexte d'énonciation.
Et un éclairage minimaliste. Tout en zones obscures quand il ne fait pas une large part à la noirceur quasi-totale.
Entre les trois (qui commandent une attention et un travail de ce quatrième créateur qu'est le spectateur), un espace pour une certaine performativité. De la rigueur et de l'imprévu. Des rendez-vous et des hasards. Bref, une écoute qui fait envie. Et en bout de ligne, une incarnation (que d'aucuns regretteront) pas tant au cœur d'une
intrigue ou d'une fable qu'au centre d'un état.
Une production exigeante, oui... qui, par les questionnements qu'elle provoque, fait du bien.