vendredi 2 juillet 2021

Autocritique de «La Cantatrice Chauve»

À défaut d'avoir une critique (ou plus exactement un retour/compte-rendu) dans quelque média que ce soit (bien qu'un truc du genre devrait paraître dans le Quotidien un jour puisqu'il était là à la première), voici ce que j'aurais pu écrire, sur ce blogue, à propos de La Cantatrice Chauve... si je n'avais signé la mise en scène! 

On est jamais mieux servi que par soi-même! 


Ainsi donc, le Théâtre 100 Masques nous revient avec une nouvelle production estivale. Toujours en phase avec sa mission qui est d'explorer le répertoire (et ce dpuis 22 ans!), il jette son dévolu sur l'absurde (déjà abordé en 2006 lors de la mise en scène de Pique-Nique en campagne de Fernando Arrabal) et plonge, avec vigueur dans la première oeuvre d'Eugène Ionesco, maître du genre: La Cantatrice Chauve, pièce phare de ce théâtre existentiel et angoissé de l'après-Guerre.

De cette oeuvre construite sur le vide du langage comme moteur dramatique, la compagnie en a fait glisser quelque peu le sens pour en faire, plus exactement, un théâtre de l'exaspération, de l'impatience, de l'agacement.  Les Smith, les Martin, le Capitaine des pompiers ou Mary la bonne tous sont des éléments subversifs qui existent et agissent pour mettre à mal une routine pétrie de codes et de convenances. Sur scène, chacun des personnages devient source d'énervement, émetteur de contrariétés, jusqu'à l'apothéose de la dernière scène, syncopée, feux d'artifices de défoulement. L'éclatement - au propre comme au figuré - est de mise pendant une heure et demie!

Que de sueur et de sang versés au cours du spectacle!

Sous le jeu dynamique des interprètes qui s'inscrit fortement dans le corps, la posture, l'attitude, le geste et le déplacement, il est possible de sentir les influences meyerholdiennes du metteur en scène pour qui la mise en espace conjuguant rythme et chorégraphie remplace une exploration psychologique poussée. C'est d'ailleurs là une ligne directrice de son travail. Il en résulte une mise en scène fort présente - parfois même un peu trop, pourrait-on dire... - avec des effets comiques récurrents qui parsèment la représentation. Les détails sont nombreux, parfois simultanés, requérant du spectateur un regard actif. 

C'est une mise en scène hautement formelle, tant dans l'approche esthétique (qui unifie costumes et scénographie dans une même matière et une même couleur) que dans l'approche scénique (sur une aire de jeu rose s'étirant sur la largeur respectant un rigoureux principe de symétrie) et dramaturgique (avec des duos, des choeurs, des monologues). Le plateau se prête volontiers à des compositions de toutes sortes avec une utilisation marquée du mobilier et des accessoires.

Ce type de théâtre comporte toutefois de nombreux écueils en ce sens où il demande une énergie accrue du comédien - peu importe la fatigue ou la chaleur manifeste de la salle - et une rigoureuse concentration pour répondre aux différents stimuli dans ce jeu déchaîné d'actions/réactions. 

Il faut dire que chaque scène de ce texte, écrit en 1950, qui aligne les effets stylistiques (énumération, redondances, calembours, proverbes, etc), a un fort potentiel théâtral qui pourra être vif et fougueux... ou au contraire, languissant et lourd s'il n'est pas bien porté. L'hésitation - qu'on ne voit jamais tout à fait faire disparaître en ce début de cycle - est aussi un ennemi du timing.

Qu'un acteur baisse la garde et se perde dans sa tête, qu'une réplique soit escamotée, qu'un geste soit fait mécaniquement sans écoute, que le tempo souffre d'une faiblesse et l'ensemble perd de sa cadence infernale. C'est là un travail théâtral implacable au niveau de l'interprétation... qui force aussi l'admiration devant cette épuisante folie scénique!

Bref, ces six comédiens qui se démènent dans cet univers absurde valent le détour et donnent assurément une production intéressante à voir et à vivre!