dimanche 3 juin 2012

Bravo!




Les applaudissements, lors d'une représentation théâtrale, peuvent aussi servir de matière à réflexion! Comme en fait foi cette petite description - tirée du Dictionnaire de l'art dramatique à l'usage des artistes et des gens du monde par Charles Marchal - qui nous apprends les mécanismes de ceux-ci dans l'Antiquité romaine...

Les Romains portaient très loin l'industrie des applaudissements, ils les divisaient en trois classes, selon Suétone : 1° les bombi, dont le bruit imitait le bourdonnement des abeilles ; 2° les imbrices qui retentissaient comme le pluie tombant sur les tuiles; 3° les testœ, dont le son éclatait comme celui d'une cruche qui se casse. Sénèque nous apprend qu'on applaudissait aussi en faisant voltiger le pan de la robe, ou avec les doigts, qu'on faisait claquer, ou enfin de la même manière que nos applaudissements. Selon Properce, on se levait pour applaudir. Tacite, qui se préoccupe plus de la qualité que de la quantité, se plaint des applaudissements maladroits des gens de la campagne, qui troublent l'harmonie générale des applaudissements modulés. Les comiques romains ne se faisaient pas scrupule de solliciter des applaudissements du public : coutume observée rigoureusement par Plaute et Térence à la tin de leurs pièces, et que nos vaudevillistes ont conservée.

Comme dirait l'autre: «Ils sont fous, ces Romains!»

Atelier sur la recherche-création

 
J'ai participé, au cours des derniers jours (vendredi et samedi) à cet Atelier scientifique sur la recherche-création en théâtre dans le milieu universitaire qui s'est tenu à Québec (et dont tous les partenaires sont soulignés dans le haut de l'image).

Cette activité - qui réunissait de nombreux étudiants, doctorants, professionnels et professeurs - permet d'échanger sur des pratiques, des méthodologies de travail; de passer, d'une certaine façon, le test de la «validation» par les pairs; d'établir un nouveau réseau de contacts de haut niveau; d'entrer dans un circuit de pensée.

Pour ma part, j'ai fait une communication sur l'état de ma recherche. La voici, en partie... la partie qui explique le projet.

Depuis septembre 2009, je poursuis des études doctorales à l’Université Laval, en Littérature et art de la scène et de l’écran. Mon sujet est la redéfinition des deux grands pôles théâtraux que sont la THÉÂTRALITÉ et la PERFORMATIVITÉ dans une approche néo-meyerholdienne… auxquels j’ai ajouté – il en sera question plus loin – la LITTÉRARITÉ («littérarité» que j’utilise à défaut d’avoir un terme plus approprié pour le moment).

Une recherche qui me semble importante, particulièrement à notre époque, alors que le théâtre contemporain, éclaté tant dans le texte que dans la forme, pétri d’une vision téléologique performative, interdisciplinaire, postmoderne ou postdramatique - c’est selon la formule qui plaît le plus à chacun - met à mal, plus souvent qu’autrement, l’une ou l’autre, l’une et l’autre, l’une contre l’autre, l’une pour l’autre ces notions qui paraissent fuyantes, aux contours floues, à la mise en pratique arbitraire selon les différents praticiens-théoriciens-sémiologues… De Roland Barthes à Josette Féral en passant par Ubersfled, Bernard Dort, Michel Corvin, Jean-Pierre Sarrazac , Richard Schechner et Patrice Pavis (de qui je me réclame le plus), sur tous ces sujets, les phrases s’accumulent, se complètent, se contredisent… au même rythme que le théâtre se fragmente, se déconstruit, se reconstruit.

Devant ces innombrables imbroglios lexicaux qui ne manquent pas de donner le vertige à tout chercheur, il me semble utile de revenir (au risque de me faire taxer de radical) au fondements même du théâtre – soit un texte, un comédien, un espace -, pour redéfinir efficacement ces trois grands principes, délimiter leurs champs d’actions et leurs articulations mutuelles.

C’est donc dans cette perspective - soutenir le passage du texte à sa mise en scène par le médium du corps - que cette présente recherche s’échafaude, prenant principalement appui sur les écrits et les conceptions artistiques de l’un des premiers grands metteurs en scène de l’histoire du théâtre, Vsevolod Emilievitch Meyerhold.

Pourquoi lui? Parce que s’insurgeant contre ce qu’il considérait, à l’époque, comme un cul-de-sac artistique, soit le naturalisme, il s’est attaché, à partir de la matérialité du texte, à rehausser, d’une certaine façon, la performativité de l’acteur, à jeter les bases d’un théâtre de la convention consciente pour redonner à la scène ce qu’elle avait délibérément mis de côté : sa théâtralité.

Et si cette source du passé s’avérait, après approfondissement, être d’une étonnante actualité pour tenter de définir ces trois pôles dont il est question? Et si les explorations et les expérimentations de ce praticien, valables dans les années du symbolisme et de ses suites, pouvaient se poser comme réponse solide face à cette dispersion théorico-sémiologique? Et s’il s’agissait, finalement, d’établir une approche néo-meyerholdienne pour aborder le théâtre contemporain sur de nouveaux paradigmes?

En quelques mots, cette approche néo-meyerholdienne devrait être, selon toute vraisemblance, un renouvellement et/ou un dépassement des théories d’avant-garde du metteur en scène russe. En les synthétisant rigoureusement, elle pourrait probablement se profiler comme étant une approche formelle et concrète de ce triumvirat théâtral - que sont la LITTÉRARITÉ, la THÉÂTRALITÉ et la PERFORMATIVITÉ - par le biais de l’interprète qui reste, avec son metteur en scène, au centre de la création. Elle viserait essentiellement une matérialisation du texte (comme moteur dramatique générateur de tensions, de décalages, de rythme), de la scène (comme esthétique motrice et dynamique), du corps (comme paramètres de jeu, de potentiel événementiel, de liberté) pour la construction, dans leurs continuelles interactions, d’effets simples mais efficaces.

Mais soyons plus précis. (À noter que ce qui suit n’est pas exhaustif et subit un peu les contrecoups de la limitation de temps.)
 
 
Posons donc, tout d’abord, dans une optique dramatique, la LITTÉRARITÉ (qui, je le rappelle, est un «mot de travail»), c’est-à-dire l’écriture comme tel, dans sa plus simple expression (les mots, la syntaxe, la ponctuation, le style). Sa spécificité est d’être, par essence ou par choix, destinée à la scène, la mise en voix, la mise en rythme. Passer de l’écrit à la dimension esthético-performative. Ce concept recouvre tout le champ textuel, du texte dramatique à tout autre texte, en passant par toutes les formes de l’écriture actuelle, parce que oui, selon l’approche néo-meyerholdienne, le texte demeure un ancrage essentiel à la production. Ce champ textuel est pris dans sa matérialité (sans pour autant exclure la fable et/ou l’intrigue puisque selon Meyerhold, «la forme et le fond constituent un tout»), devient une véritable matière, une partition physique, un tissus sonore et rythmique qui trouvera son aboutissement dans sa mise en scène. Cet espace de l’auteur deviendra le générateur. Le corps-émetteur.

Il y a ensuite la THÉÂTRALITÉ. Si, de cette notion on retire les éléments propres au champ textuel (dans la formule de Roland Barthes : «Le théâtre moins le texte») et qu’on lui soustrait également les caractères du vivant, de l’éphémère et du sensoriel pour les attribuer à la prochaine notion, cette THÉÂTRALITÉ reste avec ce qu’on pourrait définir comme le champ relatif à la scène, aux codes théâtraux, de la disposition architecturale aux questions de conception de lumières, de scénographies, de costumes. Il s’agit là, pour résumer un peu rapidement, de ce qu’on peut appeler l’écriture scénique dans la lignée même de Patrice Pavis qui y voit une utilisation pragmatique de l’outil scénique, de manière à ce que les composantes de la représentations se mettent réciproquement en valeur. Car oui, cette écriture, cette théâtralité, est au service de l’interprète, elel soutient son jeu comme elle la dynamise. De la définition d’Ubersfeld pour qui la théâtralité est la présence dans la représentation de signes qui disent clairement la présence du théâtre, on se rapproche de ce que Féral mentionne à propos de la théâtralité de Meyerhold, à savoir que cette celle-ci est bel et bien un acte d’ostension porté par l’acteur et qui désigne le théâtre comme tel et non le réel. C’est, en deux mots, le corps esthétique.

À côté des écritures textuelles et scéniques, ne manque plus que l’élément vivant, sensoriel, actif : la PERFORMATIVITÉ. Elle reprend donc, à son compte, le champ sensoriel de la représentation. Elle s’inscrit dans la brèche entre le réel et la fiction. Ses deux caractéristiques principales seraient d’abord son événementialité (et par là, la liberté inhérente à celle-ci, sa faculté d’entrer en contact avec le public) puis une obligation d’engagement de l’acteur (ici pourraient s’inséréer les 4 opérations schechnérienne: être, faire, montrer le faire, expliquer). Alors que la théâtralité crée le code, la performativité crée le(s) sens, ouvre le potentiel d'actions. Personnage ou figure? Peu importe. Ce qui compte, c’est l’action du comédien. C'est ici que réside le côté «unique» de chaque représentation de même que le caractère éphémère du théâtre. C’est, toujours selon l’approche néo-meyerholdienne, l’espace ouvert sur le texte et sur la scène, l’espace nécessaire au comédien pour contrôler son action, agir, rester à l’écoute de ce qui se passe, réagir, sentir le rythme. 
Ce serait donc le fait du corps spatio-temporel (ici et maintenant). Irons-nous jusqu'à définir la performativité d'après cette phrase de Meyerhold: «Chaque acteur, par sa façon de combiner dans son jeu le verbe, le son, le rythme, les objets et les partenaires, est à chaque instant son propre metteur en scène»? Peut-être.

À partir du moment où ces trois grands pôles sont délimités, l’espace de création (le fait du metteur en scène et de l’acteur) a pour but de les conjuguer l’un à l’autre. De les mettre en rapport, en quête de l’équilibre parfait. D’où sa présence centrale, littéraire, théâtrale et performative. Le théâtre se construit sur tout un jeu de poids et de contrepoids, d’actions et de réactions.

Cette mise en scène passe donc principalement en trois différents rapports de matérialité intrinsèques, nécessaires et constants, où chacun de ces pôles trouve son accomplissement dans les deux autres : il y va ainsi de la mise en voix, de la mise en espace, de la mise en corps… Telle sera l’approche néo-meyerholdienne (assez proche, je crois, de sa source originale). Reste à le démontrer.

Mais où se situe alors le glissement, le dépassement, le renouvellement qu’on est en droit d’attendre de celui qui s’inscrit dans un courant vieux de cent ans ? La réponse viendra bientôt, je l’espère…