lundi 23 mai 2011

Un dur constat

Un texte de Daniel Mesguish, en page 137-138 de L'Éternel Éphémère. Un texte senti et fichtrement «rentre-dedans». Un texte qui, bien qu'écrit en 1991, peut trouver un fort écho sous nos latitudes, dans notre temps.

... Je souffre parfois de voir le théâtre tomber pour ainsi dire en désuétude. Non, cette plainte n'est pas celle de celui qui a fait profession de l'art dramatique et qui, tel le petit commerçant voyant avec effroi s'installer à cinq mètres de sa boutique une «grande surface», se sentirait écrasé par la ruine et l'injustice, non, cette plainte n'est pas celle de l'archaïque devant l'industriel, cette plainte n'est pas nostalgique, fermée; au contraire: elle est ouverte vers le futur, elle est politique.

Depuis quelques années [...], le théâtre va mal. Le public le déserte, ou croit qu'il le fait, les médias l'ignorent ou le colonisent, la presse lui consacre une part de plus en plus restreinte, bien pis: les hommes et les femmes de théâtre eux-mêmes commencent à reculer, à obéir, recherchent les stars de cinéma ou de télévision, font des spectacles à durée standardisée; et le théâtre «populaire» - je le dis sans aucunement dénier les qualités intrinsèques et les vertus politiques de ce qu'on a parfois nommé ainsi - se transforme plus que jamais en grands shows qui miment les rassemblements populistes, en images qui singent celles de la pratique publicitaire.

[...] Non, non: il ne s'agit pas là de «la mort du théâtre», que l'on annonce périodiquement, annonces qui sont la scansion même de sa respiration, le bruit que fait son cœur; car c'est de toujours être sur le point de mourir que le théâtre vit, c'est sa faiblesse extrême qui fait sa force infinie. («Comment le théâtre pourrait-il mourir, lui qui n'a jamais été pleinement vivant, comment pourrait-il disparaître, lui qui n'est jamais tout à fait présent?» Comment un spectre pourrait-il mourir?)

Pourtant, aujourd'hui plus que jamais, [... alors qu'] il reste une activité, immémoriale, qui joue de la vérité comme on joue du couteau, qui annonce avant tout le Vide et l'Ouvert, qui est l'art de l'écoute avant d'être celui de la parole, et qui est le théâtre - aujourd'hui, donc, plus que jamais, cet art est minimisé, ridiculisé, ou pire, célébré à la manière de l'industrie cinématographique, c'est-à-dire colonisé, annoncé comme un produit marchand, et montré sous un jour amateur et folklorique [...] ou bien comme une vieillerie légèrement archaïsante et nostalgique [...].

Un constat dur, disais-je?