mercredi 16 décembre 2009

En matière de critique...


Je veux qu'[elle] soit sincère, grave, profond[e],
se sachant investi[e], à l'égard du poète, d'une fonction créatrice,
digne de collaborer à la même oeuvre que lui
et de porter, comme lui, la responsabilité de la culture.

Jacques Copeau

Jonquière... il neige. Il fait froid... C'était hier.

Une treizaine de praticiens se sont réunis au Côté-Cour pour entendre, échanger, pendant deux heures, avec les quatre invités du Théâtre C.R.I. et du Théâtre 100 Masques dans le cadre du troisième Rendez-Vous Théâtre: Philippe Belley (chroniqueur culturel à CBJ), Paule Therrien (animatrice à CBJ et à CKTV), Michel Lemelin (disons... spectateur critique) et Denise Pelletier (journaliste émérite au Quotidien et blogueuse).

Que retirer de ce Rendez-Vous Théâtre ayant pour thème Autour et au tour de la critique animé de belle façon par François Tremblay (aussi chroniqueur à CBJ)?

Petit compte-rendu qui, dressant les grandes lignes abordées, ne rendra malheureusement pas compte de la richesse des discussions.

D'emblée, une définition de la critique s'impose... et tous rejettent celle inscrite sur le communiqué (celle de Jacques Copeau mise en exergue plus haut) , ou du moins, affirment qu'elle ne peut s'appliquer dans un milieu comme le nôtre (et ici, je tique encore et encore!). La critique, c'est, selon Lemelin (et il redéveloppe son argumentation sur son blogue), une affaire de discernement (par rapport au contexte, au moyens, aux artistes impliqués). C'est une position de spectateur privilégié pour les autres. La critique , au sens où on l'entend (pensons aux Robert Léveques, Jean St-Hilaire, Michel Bélair) existe-t-elle au Saguenay?

Dans notre contexte, aucun des invités ne se considère comme critique. Vu l'espace qui leur est accordé, vu le cadre fixé par les employeurs, vu aussi le caractère généraliste de leur métier. La spécialisation inhérente à une véritable analyse critique fait défaut. Et pourtant, il y a tout de même émission de commentaires, de brèves analyses... parfois plus détaillée. L'expérience aidant, le journaliste peut s'exprimer avec plus de facilité. Par conséquent, il y a, en quelques sortes, critique! Dès lors, on parle de critique médiatique... de critique s'adressant, par médias populaires, à un public précis qui ne recherche, par ailleurs, guère un essai analytique mais plus une description et une appréciation. Selon les uns, ces commentaires ont peu d'influence (et pourtant!)...

On distingue aussi le rôle de la critique conventionnelle (l'utopie de Copeau) avec celui de la critique médiatique qui, outre le fait de donner un compte-rendu de l'oeuvre, se confond également avec celui-ci (peut-être plus primordial) de la promouvoir...

Alors, se sentent-ils à l'aise d'aborder franchement les points négatifs d'un spectacle? Encore une fois, la petitesse du milieu est évoquée avec ce qu'elle peut supposer de relations incestueuses entre les journalistes et les praticiens. On apprécie le fait de pouvoir suivre l'évolution des artistes, on se sent capable de pointer, dans une oeuvre, les questions... de situer une oeuvre dans une démarche. Mais on se sent difficilement en droit de critiquer négativement... Peut-on parler, dans ce cas, d'une production qui ne plaît pas? À moins de la détester (et dans ce cas, on s'abstient), il y a toujours quelque chose à dire sur celle-ci... et des nuances à apporter dans le commentaire (sur le contexte de réception, les moyens utilisés, les tentatives de recherche, etc.).

Que fait le milieu pendant ce temps? Est-il capable de prendre la critique (d'ailleurs, sur ce point, on déplore que cette formulation présuppose qu'il y est fondamentalement réfractaire... et je maintiens celle-ci... surtout dans le cas d'une critique négative!)? La question ferait, à elle seule, l'objet d'un débat enflammé. Ouverture? Frilosité? Les opinions divergent selon qu'on soit assis derrière un micro, un ordinateur, une scène ou qu'on soit praticien.

Donc, en bref, le véritable travail critique doit se faire dans les revues spécialisées, pour un public spécialisé. Elle doit cependant se faire aussi (et surtout!) entre praticiens, dans un échange interpersonnel (l'espace public - comme le blogue - étant un peu malsain selon certains). Il serait important de créer un espace critique. D'ailleurs, on se prend à rêver d'une formule où, dans le cadre d'une journée (par exemple!), tous les praticiens se réunissent pour discuter, selon une horaire précise, de toutes les productions ayant eu cours durant l'année, pour poser des questions aux créateurs, évaluer les démarches, etc.

La discussion fut des plus intéressantes... et pourtant, je reste encore avec l'idée que cette non-existence de la critique (dans son sens premier) dans un milieu (particulièrement comme le nôtre) freine l'évolution de la culture.