lundi 24 janvier 2011

Fureur, ironie, mépris: le théâtre expressionniste

Vakhtangov est l'un des metteurs en scène (russe des années 20) les plus caractéristiques du genre...

Pour la mise en scène de La Visite (et éventuellement, du prochain théâtre d'été du Théâtre 100 Masques), toujours dans une optique de dégager une théâtralité forte (et de la confier aux comédiens), je mise sur l'exploration de certaines notions de l'expressionnisme théâtral. J'en ai déjà parlé là et là. Voici une description - qui pourrait servir d'inspiration de base, d'hypothèse de travail - de ce qu'était (ou devait être) un jeu expressionniste (tirée de L'Acteur au XXième siècle d'Odette Aslan).

[Dans des] épisodes relativement courts, l'acteur n'a pas le temps d'éprouver véritablement les affres de son personnage. Il décide d'une intonation, d'une attitude. Il passe brusquement d'un ton de voix à un autre, d'une posture contorsionnée à une autre. [...] Il recompose artificiellement les lignes.

[...] On peut rapprocher de l'expressionnisme les notions d'excitation, d'explosion, de contraste, de concentration, de raccourci, d'épure. Tout cela avec un sens impudique de la mise à jour.

[L'acteur] doit être théâtral, ne pas craindre l'outrance ni la déformation, la caricature, le grotesque. Au lieu de restituer la complexité d'un personnage, il en isole un trait et le souligne.

Plus loin, il est question d'une définition de l'expression gestuelle... Et c'est principalement là que j'aimerais trouver une matière à exploiter...

[...] Rompant avec le geste quotidien et la psychologie, l'acteur expressionniste sélectionne des gestes isolés qui se succèdent sans transition, très marqués, au bord de la caricature, saccadés comme l'est parfois la diction, ou bien suggérés, incomplètement aboutis à manière des gestes du nô. [...] Il doit avoir un corps souple, désarticulé; la tête peut s'incliner en tous sens. [...] Le corps semble divisé en zones de tension qui se révèlent progressivement. Les mains sont crispées ou projetées en l'air. Les gestes découpent l'espace.

Le corps peut être immobile, tendu, laissant agir le regard seul. Les paumes s'ouvrent en signe d'offrande ou les poings se serrent. La passion s'extériorise dans une mobilité intense, un besoin éperdu de se manifester. [...] L'acteur dressé comme un «i» fléchit, s'incurve sous la pression des obstacles, il se conforme à la diagonale du décor. [...] L'acteur prend des attitudes obliques, projette son buste de biais. Le décore n'offre plus ni symétrie ni perspective, il est doué de subjectivité.

Il n'est pas question, bien entendu, de prendre ces indications comme credo ou de reproduire bêtement ce qu'on lit et ce qu'on pense connaître du genre... mais bien de s'en inspirer.

La Visite [Carnet de notes]

Une photo d'une scène (Le Repas... on y reconnaît donc, en ordre, M. Aubry, Monique, Roger et Morence Aubry) de La Visite... une production, cette fois, de la troupe de théâtre Les Compagnons du 1268, en 2004... (Crédit photo: je ne sais pas, mais elle est tirée de ce site JeanBrouillard.com)


Peu à peu (après la seconde fin de semaine de répétitions), les personnages et les enjeux de La Visite se dessinent et prennent du caractère pour donner un ensemble qui sera cohérent, dynamique... voire étourdissant.

Un ensemble qui pourrait d'ores et déjà passer la rampe... et pourtant, j'espère réussir, en leur compagnie, à faire passer cette comédie légère (ce qui n'est pas un jugement de valeur) à une comédie grinçante, corrosive, étrange (qui, à mon sens, l'est déjà de par sa forme).

La machine s'emballe.

La distribution des personnages (multigenre) est un outil pour y parvenir. L'esthétique devra en être une autre (pour créer des personnages monstrueux... dans le sens de hors de l'ordinaire). Et enfin, l'interprétation (dont j'aimerais lui inculquer un côté expressionniste et l'accentuer) devra lier tout cela.

La visite en cause dans cette pièce ne doit plus être un irritant mais un cauchemar.

La première partie (1955) est placée dans sa totalité. Une ébauche qui ne demande plus qu'à se peaufiner et à se consolider à mesure que les comédiens y trouveront leur aisance. Le début de la seconde partie est placé aussi. Il y a, à mon avis (malgré les souhaits exprimés quelques lignes plus haut), de vrais beaux moments.

Reste à voir l'effet quand le décor aura pris sa forme définitive avec les murs qui réduiront l'espace et augmentera l'effet de présence de chacun des personnages.