Théâtre gallo-romain à Lyon
Je profite de la Journée mondiale du théâtre - l'édition 2012 - pour reprendre mon blogue en main après un passage à Lyon (sur lequel je reviendrai dans les prochains jours...).
Voici le message québécois - décapant et lucide - écrit par Annabel Soutard, directrice artistique du Théâtre Porte-Parole (traduit ici par Fanny Britt, dramaturge qui fait de plus en plus sa marque sur les scènes d'ici):
J’aimerais bien pouvoir vous livrer aujourd’hui un message enthousiaste sur le rôle déterminant que joue le théâtre dans nos vies. Mais ce ne sera pas le cas. Présentement, un acteur ou un autre artiste de la scène vous transmet ces mots.
Le fait que vous soyez ici, dans un théâtre, témoins de sa présence sur scène, en dit long sur la valeur que vous accordez à son travail.
Je serais emballée de m’imaginer que la société en général partage votre point de vue, mais je ne peux pas me l’imaginer, parce que je sais que presque tous les artistes de la scène gagnent un salaire dérisoire pour leur travail.
Je serais émue de croire que vous considérez ce lieu, ce théâtre, comme un espace universel et essentiel au dialogue humain – un lieu qui aurait un impact réel sur l’imagination morale et politique de notre société. Mais je n’y crois pas, parce qu’en comparaison des autres médias, le théâtre est généralement perçu comme une forme d’art marginale et élitiste.
Je ressens un profond conflit intérieur à l’idée de travailler en théâtre, parce que partout autour de moi, j’observe une déconsidération des valeurs que le théâtre incarne à mes yeux. De manière très concrète, je trouve difficile de gagner ma vie comme artiste de théâtre. Et je ne crois pas être la seule.
Mais de quelles valeurs parle‐t‐on ? Commençons par la vérité.
La vérité, en théâtre, est le résultat d’années de collaboration entre des artistes qui aspirent à comprendre les comportements humains puis à donner vie à ces idées devant un public. Pourtant, les foules ne se pressent pas au théâtre pour découvrir la vérité sur notre monde. Nous lui préférons plutôt des histoires préfabriquées, gonflées de doses quotidiennes de vérité enrobée de détails sensationnalistes – incluant souvent des informations intimes sur les malheurs de l’humanité, obtenues de manière douteuse, et vendues à profit.
Et que dire de la liberté ? Aujourd’hui, nous sommes libres d’aller où bon nous semble et de choisir la forme de divertissement que nous préférons pour occuper nos heures de loisir. Pourtant, nous choisissons souvent de rester cloisonnés chez nous et de consommer des histoires qu’on nous injecte par l’intraveineuse de nos câblodistributeurs. Le monde extérieur, après tout, peut se révéler hostile – il n’y a jamais de stationnement, la météo est imprévisible, et l’autobus ne passe jamais à l’heure. Lorsque nous allons au théâtre, nous avons l’impression de prendre un détour risqué.
« Mais si je traverse la ville pour aller à un endroit où je ne reconnais pas le nom des rues, où je ne parle pas la langue des habitants, pour voir une pièce qui ne met pas en vedette un acteur connu ou un auteur bardé de prix ? Et si, après avoir fait tout ça – après avoir toléré tous ces désagréments – je n’aime pas ce que je vois ? J’aurais dû le savoir ! Le critique de théâtre de mon journal favori n’a même pas couvert cette production ! »
Mon esprit est‐il véritablement libre ?
Certains d’entre vous se disent sans doute : « c’est injuste, ce qu’elle nous dit là. Après tout, ne suis‐je pas ici, moi ? Je vais au théâtre, et mes amis y vont aussi. » Mais vous êtes‐vous demandé pourquoi vous constituez une telle minorité ? Parce que vous êtes une minorité. Qu’on se le dise, vous l’êtes. Nous le sommes.
Le théâtre n’est plus une forme d’art populaire. Évidemment, cette affirmation ne surprendra personne, et nous avons tous développé des mantras intérieurs pour nous protéger de ce constat déprimant — que nous consacrons nos vies à un médium qui ne rejoint pas beaucoup de gens : « la qualité vaut mieux que la quantité », « seuls les plus brillants me comprennent », « l’art véritable n’est jamais populaire », « chaque médium finit par céder le passage à d’autres technologies, avec le temps. »
Mais ces énoncés faussement rassurants ne tiennent pas la route lorsque nous nous rappelons les deux grandes époques du théâtre occidental – la Grèce antique et l’Angleterre élisabéthaine – qui ont toutes deux produit une forme de divertissement populaire également considérée comme du grand art. Sans compter que deux mille ans séparent ces deux époques, période pendant laquelle une quantité considérable de nouvelles technologies ont vu le jour.
Je crois profondément que le théâtre devrait être un médium populaire. Et je l’entends dans le sens le plus simple du terme – le théâtre doit être peuplé par les masses parce que le théâtre constitue l’un de ces lieux, rares et précieux, où la masse peut se défragmenter en une saine communauté d’individus qui se nourrissent d’histoires racontées collectivement.
Ensemble.
Ceux d’entre nous qui se battent encore pour créer des spectacles et remplir les salles de théâtre ont la capacité de le rendre populaire à nouveau. Mais nous n’y arriverons que si nous commençons à faire la promotion du théâtre comme étant le moyen le plus efficace pour contrer le pire fléau de notre époque : l’inaction humaine devant les crises politiques, sociales et environnementales. À mon avis, ceux d’entre nous qui travaillent en théâtre doivent commencer à admettre que l’acteur de théâtre est mieux préparé à lutter pour la paix que l’ambassadeur aux Nations Unies, que les bons dramaturges et metteurs en scène sont des experts en justice sociale, que les arts vivants locaux peuvent être aussi mobilisateurs qu’une campagne internet mondiale, et – et c’est là ce qui compte le plus – que le public de théâtre va croître librement et
abondamment lorsqu’on s’adressera à lui comme à un citoyen engagé, et non pas comme à un amoncellement aléatoire de consommateurs.
Mon amour du théâtre prend racine dans ma conviction que cet art devrait être essentiel au dialogue politique et moral de nos communautés. Si c’était le cas, nous pourrions nous attendre à ce que l’acteur soit payé décemment, que l’auteur soit respecté comme un juge, et que le producteur de théâtre soit considéré comme l’un des plus ardents défenseurs de la justice sociale. Aujourd’hui, cependant, nous sommes bien loin d’avoir vu naître cette vision.
J’ose croire que les choses changeront. Car les choses doivent changer.
Le fait que vous soyez ici, dans un théâtre, témoins de sa présence sur scène, en dit long sur la valeur que vous accordez à son travail.
Je serais emballée de m’imaginer que la société en général partage votre point de vue, mais je ne peux pas me l’imaginer, parce que je sais que presque tous les artistes de la scène gagnent un salaire dérisoire pour leur travail.
Je serais émue de croire que vous considérez ce lieu, ce théâtre, comme un espace universel et essentiel au dialogue humain – un lieu qui aurait un impact réel sur l’imagination morale et politique de notre société. Mais je n’y crois pas, parce qu’en comparaison des autres médias, le théâtre est généralement perçu comme une forme d’art marginale et élitiste.
Je ressens un profond conflit intérieur à l’idée de travailler en théâtre, parce que partout autour de moi, j’observe une déconsidération des valeurs que le théâtre incarne à mes yeux. De manière très concrète, je trouve difficile de gagner ma vie comme artiste de théâtre. Et je ne crois pas être la seule.
Mais de quelles valeurs parle‐t‐on ? Commençons par la vérité.
La vérité, en théâtre, est le résultat d’années de collaboration entre des artistes qui aspirent à comprendre les comportements humains puis à donner vie à ces idées devant un public. Pourtant, les foules ne se pressent pas au théâtre pour découvrir la vérité sur notre monde. Nous lui préférons plutôt des histoires préfabriquées, gonflées de doses quotidiennes de vérité enrobée de détails sensationnalistes – incluant souvent des informations intimes sur les malheurs de l’humanité, obtenues de manière douteuse, et vendues à profit.
Et que dire de la liberté ? Aujourd’hui, nous sommes libres d’aller où bon nous semble et de choisir la forme de divertissement que nous préférons pour occuper nos heures de loisir. Pourtant, nous choisissons souvent de rester cloisonnés chez nous et de consommer des histoires qu’on nous injecte par l’intraveineuse de nos câblodistributeurs. Le monde extérieur, après tout, peut se révéler hostile – il n’y a jamais de stationnement, la météo est imprévisible, et l’autobus ne passe jamais à l’heure. Lorsque nous allons au théâtre, nous avons l’impression de prendre un détour risqué.
« Mais si je traverse la ville pour aller à un endroit où je ne reconnais pas le nom des rues, où je ne parle pas la langue des habitants, pour voir une pièce qui ne met pas en vedette un acteur connu ou un auteur bardé de prix ? Et si, après avoir fait tout ça – après avoir toléré tous ces désagréments – je n’aime pas ce que je vois ? J’aurais dû le savoir ! Le critique de théâtre de mon journal favori n’a même pas couvert cette production ! »
Mon esprit est‐il véritablement libre ?
Certains d’entre vous se disent sans doute : « c’est injuste, ce qu’elle nous dit là. Après tout, ne suis‐je pas ici, moi ? Je vais au théâtre, et mes amis y vont aussi. » Mais vous êtes‐vous demandé pourquoi vous constituez une telle minorité ? Parce que vous êtes une minorité. Qu’on se le dise, vous l’êtes. Nous le sommes.
Le théâtre n’est plus une forme d’art populaire. Évidemment, cette affirmation ne surprendra personne, et nous avons tous développé des mantras intérieurs pour nous protéger de ce constat déprimant — que nous consacrons nos vies à un médium qui ne rejoint pas beaucoup de gens : « la qualité vaut mieux que la quantité », « seuls les plus brillants me comprennent », « l’art véritable n’est jamais populaire », « chaque médium finit par céder le passage à d’autres technologies, avec le temps. »
Mais ces énoncés faussement rassurants ne tiennent pas la route lorsque nous nous rappelons les deux grandes époques du théâtre occidental – la Grèce antique et l’Angleterre élisabéthaine – qui ont toutes deux produit une forme de divertissement populaire également considérée comme du grand art. Sans compter que deux mille ans séparent ces deux époques, période pendant laquelle une quantité considérable de nouvelles technologies ont vu le jour.
Je crois profondément que le théâtre devrait être un médium populaire. Et je l’entends dans le sens le plus simple du terme – le théâtre doit être peuplé par les masses parce que le théâtre constitue l’un de ces lieux, rares et précieux, où la masse peut se défragmenter en une saine communauté d’individus qui se nourrissent d’histoires racontées collectivement.
Ensemble.
Ceux d’entre nous qui se battent encore pour créer des spectacles et remplir les salles de théâtre ont la capacité de le rendre populaire à nouveau. Mais nous n’y arriverons que si nous commençons à faire la promotion du théâtre comme étant le moyen le plus efficace pour contrer le pire fléau de notre époque : l’inaction humaine devant les crises politiques, sociales et environnementales. À mon avis, ceux d’entre nous qui travaillent en théâtre doivent commencer à admettre que l’acteur de théâtre est mieux préparé à lutter pour la paix que l’ambassadeur aux Nations Unies, que les bons dramaturges et metteurs en scène sont des experts en justice sociale, que les arts vivants locaux peuvent être aussi mobilisateurs qu’une campagne internet mondiale, et – et c’est là ce qui compte le plus – que le public de théâtre va croître librement et
abondamment lorsqu’on s’adressera à lui comme à un citoyen engagé, et non pas comme à un amoncellement aléatoire de consommateurs.
Mon amour du théâtre prend racine dans ma conviction que cet art devrait être essentiel au dialogue politique et moral de nos communautés. Si c’était le cas, nous pourrions nous attendre à ce que l’acteur soit payé décemment, que l’auteur soit respecté comme un juge, et que le producteur de théâtre soit considéré comme l’un des plus ardents défenseurs de la justice sociale. Aujourd’hui, cependant, nous sommes bien loin d’avoir vu naître cette vision.
J’ose croire que les choses changeront. Car les choses doivent changer.
Bonne journée mondiale du théâtre à tous... aux auteurs, aux comédiens, aux metteurs en scène, aux concepteurs, aux directeurs, aux administrateurs, aux spectateurs, aux subventionneurs!!!